SOURCES OU PUISAIT u’AIIT.
271
Malgré cela nul ne saurait trouver un seul livre qui renfermât toutes les données
suffisantes pour expliquer immédiatement un sujet quelconque1.
JII. — MORALE.
Comme introduction aux préceptes évangéliques, la raison a sa place nécessaire; et
sauf la désignation du sabbat, comme jour à sanctifier, personne n’imaginera que les
commandements de Dieu fussent propres aux seuls Juifs. C’était une base commune
à tous les hommes, et sur laquelle devait se construire par surcroît l’édifice des obser-
vances légales qui obligeaient exclusivement le peuple d’Israël. Il y a donc des préceptes
que l’on peut très-bien nommer naturels, comme dit l’École. Pour des artistes, la dif-
ficulté semble considérable, d’exprimer aux yeux ce qui n’est guère accessible qu’à
l’esprit. Le monde a cependant éprouvé de bonne heure le besoin d’appeler les arts
à son secours afin d’enseigner le coeur ; et la littérature des paraboles remonte à
bien des siècles. Ce que l’imagination saisit dans un apologue, le regard s’en empa-
rera dans une scène retracée visiblement par les arts du dessin.
De là les fabliaux qu’on s’étonne à tort de rencontrer sur les murs des églises
ou des cloîtres : comme le loup écolier à Fribourg en Brisgaul’impuissance de
notre raison sans la grâce contre les convoitises3, la force de l’habitude4; la brièveté
de la vie humaine, et l’instabilité des jouissances terrestres rappelées au moyen
d’une parabole attribuée à Barlaam et sculptée au baptistère de Parme 3. La roue de
fortune se voit de bonne heure sur les cathédrales : comme à Vérone, à Bâle, à Beau-
vais, à Amiens 6. L’abbesse Herrade, au folio 214 de son défunt Hortus cleliciarum, avait
1. Une prose de saint Gilles, dans le Missel de Prague
(1Zi78) dit :
« Crimen regis revelatur. »
Les Caractéristiques des saints montreront à divers en-
droits que c’est un renseignement fort utile, mais débattu
entre plusieurs hommes de Dieu qu’il faut encore distin-
guer l'un de l’autre.
2. Mélanges, Ire série, t. I, p. 124; etpl. XXIV.
Cf. Annales archéolog., t. VI, p. 1Zi5, svv.; etc. Virgile et les
griffons d’Alexandre sont une prédication du même genre.
3. Aristote et Virgile (ou Hippocrate) joués par des
femmes figurent dans plusieurs édifices ecclésiastiques ;
comme si l’on avait prévu les inventeurs de la morale in-
dépendante, qui gardent leurs âmes sans Dieu.
lx. Voyez le loup écolier, dans Mélanges..., Ire série, t. 1,
pl. XXIV, et p. 12â, svv.
5. Revue archéolog, X° année (1853), pl. CCXVI. Cela se
trouve tout au long dans saint Jean IJamascène et même
dans les Paraboles du P. Boncwenlure (Giraudeau). Mais le
moyen âge ne s’en était pas fait faute, comme on peut le
voir dans le Violier des liist. romaines, ch. cxxxvii (p. 389,
svv.); et dans divers mss. français, sous le titre Del arbre
del monde. Aussi ne prétends-je pas recommander l’inter-
prétation donnée par la Revue archéologique. Là encore
toute l’ingéniosité du monde doit céder à l’exhibition d’un
texte qui apporte évidence irrécusable. Cf. Reiffenberg,
Légende de Barlaam et Josciphat (Bulletins de l’Académie
royale de Bruxelles, t. X, nos 9 et 10). — Jac. de Voragine,
Legenda ciurea, cap. 180 (alias 175; ed. citit., p. 816).—
Vincent. Bellovac., Specul. historiale, XV, 15 (Douai, 162â,
t. IV, p. 584). — Etc.
6. M. Edél. Duméril tient cette invention pour originaire
de l’antiquité, recours qui n’est pas extrêmement né-
cessaire à mes yeux, malgré la roue de Némésis et les
consolations (un peu stoïques) que la philosophie dictait
à Boèce dans son cachot (De consolât, philos., II), en lui
disant: «Hune continuum ludum ludimus. Rotam volu-
» bili orbe versamus, infima summis, summa infimis
» mutare gaudemus. Ascende si placet; sed ea lege ut ne,
» quum ludicri mei ratio poscet, descendere injuriam
» putes, etc.» Au fond, Boèce n’a pourtant pas été sans
influence grave sur le moyen âge. On peut même bien le
tenir comme un des initiateurs de nos vieux artistes.
Le monde moderne était-il hors d’état d’imaginer à lui
tout seul une comparaison si simple pour des spectacles
quotidiens, sans que ce jeu dût aussi passer pour renouvelé
des Grecs? L’importantet l’indubitable est que tous la con-
naissaient au moyen âge ; témoin les vers cités par le
docte éditeur de Floire et Blcmceflor (Paris, 1856, p. ccccu) :
« Fortune torne en molt poi d’eure ;
Qui rit al main, al vespre pleure.
Al soir est laide, al matin bele.
Si com el torne sa roële,
Qui ele met un jor desus.
L’autre le retrebuce jus ;
De tant com el Ta mis plus hait,
Tant prend-il aval grignor sait. »
Cf. Reiffenberg, Chronique rimêe de Phil. Mouskes, t. II,
271
Malgré cela nul ne saurait trouver un seul livre qui renfermât toutes les données
suffisantes pour expliquer immédiatement un sujet quelconque1.
JII. — MORALE.
Comme introduction aux préceptes évangéliques, la raison a sa place nécessaire; et
sauf la désignation du sabbat, comme jour à sanctifier, personne n’imaginera que les
commandements de Dieu fussent propres aux seuls Juifs. C’était une base commune
à tous les hommes, et sur laquelle devait se construire par surcroît l’édifice des obser-
vances légales qui obligeaient exclusivement le peuple d’Israël. Il y a donc des préceptes
que l’on peut très-bien nommer naturels, comme dit l’École. Pour des artistes, la dif-
ficulté semble considérable, d’exprimer aux yeux ce qui n’est guère accessible qu’à
l’esprit. Le monde a cependant éprouvé de bonne heure le besoin d’appeler les arts
à son secours afin d’enseigner le coeur ; et la littérature des paraboles remonte à
bien des siècles. Ce que l’imagination saisit dans un apologue, le regard s’en empa-
rera dans une scène retracée visiblement par les arts du dessin.
De là les fabliaux qu’on s’étonne à tort de rencontrer sur les murs des églises
ou des cloîtres : comme le loup écolier à Fribourg en Brisgaul’impuissance de
notre raison sans la grâce contre les convoitises3, la force de l’habitude4; la brièveté
de la vie humaine, et l’instabilité des jouissances terrestres rappelées au moyen
d’une parabole attribuée à Barlaam et sculptée au baptistère de Parme 3. La roue de
fortune se voit de bonne heure sur les cathédrales : comme à Vérone, à Bâle, à Beau-
vais, à Amiens 6. L’abbesse Herrade, au folio 214 de son défunt Hortus cleliciarum, avait
1. Une prose de saint Gilles, dans le Missel de Prague
(1Zi78) dit :
« Crimen regis revelatur. »
Les Caractéristiques des saints montreront à divers en-
droits que c’est un renseignement fort utile, mais débattu
entre plusieurs hommes de Dieu qu’il faut encore distin-
guer l'un de l’autre.
2. Mélanges, Ire série, t. I, p. 124; etpl. XXIV.
Cf. Annales archéolog., t. VI, p. 1Zi5, svv.; etc. Virgile et les
griffons d’Alexandre sont une prédication du même genre.
3. Aristote et Virgile (ou Hippocrate) joués par des
femmes figurent dans plusieurs édifices ecclésiastiques ;
comme si l’on avait prévu les inventeurs de la morale in-
dépendante, qui gardent leurs âmes sans Dieu.
lx. Voyez le loup écolier, dans Mélanges..., Ire série, t. 1,
pl. XXIV, et p. 12â, svv.
5. Revue archéolog, X° année (1853), pl. CCXVI. Cela se
trouve tout au long dans saint Jean IJamascène et même
dans les Paraboles du P. Boncwenlure (Giraudeau). Mais le
moyen âge ne s’en était pas fait faute, comme on peut le
voir dans le Violier des liist. romaines, ch. cxxxvii (p. 389,
svv.); et dans divers mss. français, sous le titre Del arbre
del monde. Aussi ne prétends-je pas recommander l’inter-
prétation donnée par la Revue archéologique. Là encore
toute l’ingéniosité du monde doit céder à l’exhibition d’un
texte qui apporte évidence irrécusable. Cf. Reiffenberg,
Légende de Barlaam et Josciphat (Bulletins de l’Académie
royale de Bruxelles, t. X, nos 9 et 10). — Jac. de Voragine,
Legenda ciurea, cap. 180 (alias 175; ed. citit., p. 816).—
Vincent. Bellovac., Specul. historiale, XV, 15 (Douai, 162â,
t. IV, p. 584). — Etc.
6. M. Edél. Duméril tient cette invention pour originaire
de l’antiquité, recours qui n’est pas extrêmement né-
cessaire à mes yeux, malgré la roue de Némésis et les
consolations (un peu stoïques) que la philosophie dictait
à Boèce dans son cachot (De consolât, philos., II), en lui
disant: «Hune continuum ludum ludimus. Rotam volu-
» bili orbe versamus, infima summis, summa infimis
» mutare gaudemus. Ascende si placet; sed ea lege ut ne,
» quum ludicri mei ratio poscet, descendere injuriam
» putes, etc.» Au fond, Boèce n’a pourtant pas été sans
influence grave sur le moyen âge. On peut même bien le
tenir comme un des initiateurs de nos vieux artistes.
Le monde moderne était-il hors d’état d’imaginer à lui
tout seul une comparaison si simple pour des spectacles
quotidiens, sans que ce jeu dût aussi passer pour renouvelé
des Grecs? L’importantet l’indubitable est que tous la con-
naissaient au moyen âge ; témoin les vers cités par le
docte éditeur de Floire et Blcmceflor (Paris, 1856, p. ccccu) :
« Fortune torne en molt poi d’eure ;
Qui rit al main, al vespre pleure.
Al soir est laide, al matin bele.
Si com el torne sa roële,
Qui ele met un jor desus.
L’autre le retrebuce jus ;
De tant com el Ta mis plus hait,
Tant prend-il aval grignor sait. »
Cf. Reiffenberg, Chronique rimêe de Phil. Mouskes, t. II,