20
CHAPITRE II
qui en méritât la peine. Celui-ci est du nombre, puisqu’il vous annonce que vendredi,
veille de la Saint-Louis, l’Académie m’a agréé sur un grand tableau de Bélisaire reconnu
par un soldat qui avait servi sous lui, dans le moment qu’une femme lui fait l’aumône.
L’Académie m’a reçu d’une manière peu commune, puisque j’ai été reçu tout blanc,
c’est-à-dire sans aucune fève noire.
» M. le comte D’Angiviller était à la séance de l’Académie et m’a donné les plus
grands encouragements, qu’il attendait de grandes occasions pour m’en donner des preuves.
Vous savez que le comte D’Angiviller est le Ministre et le Surintendant général des Bâti-
ments. Voilà ce que j’avais à vous annoncer et ce que je vous ménageais depuis longtemps.
Si vous venez à Paris voir mes tableaux au Salon, vous en saurez davantage par le public
qui s’y porte en foule. Les grands, les cordons bleus veulent voir l’auteur, enfin on me
dédommage de mes peines. Mme Buron vous logera, parce que mon oncle est à la campagne.
Marquez-moi, je vous prie, si vous viendrez à Paris; je suis actuellement dans les visites
jusqu’au col, à en faire et à en recevoir, mais c’est chez M. Sedaine que l’on vient, car moi
je demeure trop haut. Je demeure sur le quai de la Féraille, en face du Pont-Neuf, chez
M. Hecquet, marchand de fer. Je ne suis encore riche que de gloire, mais d’espèces bien
moins encore, mais j’espère que cela ne tardera pas ; enfin je n’ai pas perdu mon temps. Mes
parents sont à la joie de leur cœur, et c’est à qui m’en témoignera le plus de satisfaction.
» Adieu, ma mère, je vous embrasse de tout mon cœur, et soyez persuadée des senti-
ments respectueux avec lesquels je ne cesserai d’être toute ma vie votre très humble et très
obéissant serviteur.
» David. »
Madame David, rue de la Prison, à Évreux, en Normandie.
Outre ce qu’il avait de flatteur pour notre jeune artiste, ce vote exceptionnel de P Aca-
démie ouvrait à ses ouvrages les portes du Salon. Aussi forment-ils le supplément ajouté au
livret de 1781.
PAR M. DAVID AGRÉÉ
N° 311. Bélisaire reconnu 'par un soldat qui avait servi sous lui au moment qu’une
femme lui fait l’au/mône.
Ce tableau est de 10 pieds carrés.
Dans ce tableau David avait trouvé l’occasion de montrer plus clairement que dans ses
précédents ouvrages le résultat de ses études antiques. Le lieu de la scène, le costume des
personnages, tout, jusqu’au ton général, se ressentait de l’Italie. Mécontent cependant de
son effet, il avait consulté Vien qui lui avait fait couvrir sa femme d’une draperie blanche.
La critique loua le dessin, la composition, l’idée ingénieuse de faire tendre par un enfant le
casque de Bélisaire aveugle ; mais elle fut unanime à regretter la couleur foncée et terne de
cet ouvrage ; quelques écrivains entrant dans plus de détails portèrent leurs observations sur
le soldat qu’ils trouvèrent d’un caractère mesquin et trivial. La justesse de leurs remarques
fut confirmée par les changements que l’auteur apporta dans sa répétition en petit de ce
même tableau; d’autres, se piquant d’érudition, mais oubliant les bas-reliefs de la Colonne
Trajane, lui reprochèrent comme une erreur de lui avoir fait porter son épée à droite.
CHAPITRE II
qui en méritât la peine. Celui-ci est du nombre, puisqu’il vous annonce que vendredi,
veille de la Saint-Louis, l’Académie m’a agréé sur un grand tableau de Bélisaire reconnu
par un soldat qui avait servi sous lui, dans le moment qu’une femme lui fait l’aumône.
L’Académie m’a reçu d’une manière peu commune, puisque j’ai été reçu tout blanc,
c’est-à-dire sans aucune fève noire.
» M. le comte D’Angiviller était à la séance de l’Académie et m’a donné les plus
grands encouragements, qu’il attendait de grandes occasions pour m’en donner des preuves.
Vous savez que le comte D’Angiviller est le Ministre et le Surintendant général des Bâti-
ments. Voilà ce que j’avais à vous annoncer et ce que je vous ménageais depuis longtemps.
Si vous venez à Paris voir mes tableaux au Salon, vous en saurez davantage par le public
qui s’y porte en foule. Les grands, les cordons bleus veulent voir l’auteur, enfin on me
dédommage de mes peines. Mme Buron vous logera, parce que mon oncle est à la campagne.
Marquez-moi, je vous prie, si vous viendrez à Paris; je suis actuellement dans les visites
jusqu’au col, à en faire et à en recevoir, mais c’est chez M. Sedaine que l’on vient, car moi
je demeure trop haut. Je demeure sur le quai de la Féraille, en face du Pont-Neuf, chez
M. Hecquet, marchand de fer. Je ne suis encore riche que de gloire, mais d’espèces bien
moins encore, mais j’espère que cela ne tardera pas ; enfin je n’ai pas perdu mon temps. Mes
parents sont à la joie de leur cœur, et c’est à qui m’en témoignera le plus de satisfaction.
» Adieu, ma mère, je vous embrasse de tout mon cœur, et soyez persuadée des senti-
ments respectueux avec lesquels je ne cesserai d’être toute ma vie votre très humble et très
obéissant serviteur.
» David. »
Madame David, rue de la Prison, à Évreux, en Normandie.
Outre ce qu’il avait de flatteur pour notre jeune artiste, ce vote exceptionnel de P Aca-
démie ouvrait à ses ouvrages les portes du Salon. Aussi forment-ils le supplément ajouté au
livret de 1781.
PAR M. DAVID AGRÉÉ
N° 311. Bélisaire reconnu 'par un soldat qui avait servi sous lui au moment qu’une
femme lui fait l’au/mône.
Ce tableau est de 10 pieds carrés.
Dans ce tableau David avait trouvé l’occasion de montrer plus clairement que dans ses
précédents ouvrages le résultat de ses études antiques. Le lieu de la scène, le costume des
personnages, tout, jusqu’au ton général, se ressentait de l’Italie. Mécontent cependant de
son effet, il avait consulté Vien qui lui avait fait couvrir sa femme d’une draperie blanche.
La critique loua le dessin, la composition, l’idée ingénieuse de faire tendre par un enfant le
casque de Bélisaire aveugle ; mais elle fut unanime à regretter la couleur foncée et terne de
cet ouvrage ; quelques écrivains entrant dans plus de détails portèrent leurs observations sur
le soldat qu’ils trouvèrent d’un caractère mesquin et trivial. La justesse de leurs remarques
fut confirmée par les changements que l’auteur apporta dans sa répétition en petit de ce
même tableau; d’autres, se piquant d’érudition, mais oubliant les bas-reliefs de la Colonne
Trajane, lui reprochèrent comme une erreur de lui avoir fait porter son épée à droite.