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CHAPITRE II
La mère de David allait s’asseoir devant ses ouvrages et prenait part aux observations
bienveillantes qu’on faisait à haute voix sur un peintre d’un talent si plein d’espérances.
Elle laissait deviner qu’elle lui tenait de près; pressée de questions, elle avouait avec
bonhomie être sa mère, et comme on la complimentait sur le génie de son fils, elle
s’écriait : « Ah! tout cela n’est rien: si vous connaissiez son cœur. » Ces triomphes la
remplissaient d’orgueil et de joie; aussi, quand elle rentrait dans la famille de son frère,
ne fallait-il plus lui parler d’architecture et d’architecte, tout cela n’arrivait pas à la
cheville de son enfant.
Cependant, comme il le disait à sa mère, ces succès ne .le rendaient riche que de
gloire, car Pierre, directeur de F Académie et premier Peintre du Roi, qui lui avait promis
deux cents louis de son Bélisaire, n’ayant voulu au dernier moment ne lui en donner que
cinquante, il préféra garder son tableau. Cette peinture subit d’étranges destinées. Achetée
par l’électeur de Trêves, elle disparut à la Révolution. Retrouvée ensuite sur un caisson
d’artillerie, elle fut mise en vente avec la collection Tholosan le 24 février 1801, sous
le n° 84 et adjugée 4,800 francs au citoyen Simon qui la céda à Lucien Bonaparte. Elle
passa en Italie quand ce dernier, se retirant des affaires publiques, s’établit dans cette
contrée : elle fait maintenant partie du musée de Lille.
Quant au tableau de Saint Boch intercédant la Vierge pour les pestiférés, M. D’Angi-
viller aurait bien voulu le conserver pour le Roi. N’ayant pu réussir, en le renvoyant à
Marseille, il fit demander par l’intendant de la province et même par un frère du Roi aux
membres du bureau de la Santé, de prouver par une gratification accordée au peintre leur
satisfaction de l’œuvre qu’il leur avait livrée. Ces Messieurs, « jaloux des deniers du com-
merce » , ne voulurent ajouter que 350 francs, représentant les frais de transport et d’agran-
dissement du sujet, au prix convenu de 550 francs, et malgré le désintéressement de l’ar-
tiste qui, avant d’avoir pu connaître le résultat des démarches faites par les plus hauts
personnages, avait déclaré ne rien vouloir accepter au delà de ce qui lui était dû, ils
persistèrent dans leur mauvaise humeur et refusèrent de lui envoyer un mot de remer-
ciement et même de lui accuser réception de son tableau. Cependant, fiers du succès que
cette œuvre qu’ils avaient si peu payée obtenait parmi leurs concitoyens, ils ne voulurent
pas « l’enterrer » dans la chapelle du Lazaret, et ils la placèrent dans les bâtiments de la
Santé où on la voit encore aujourd’hui.
Le talent de David engagea quelques jeunes artistes à lui demander des conseils. Ainsi
fut fondé cet atelier célèbre où vint étudier tout ce que la France et l’Europe comptèrent de
distingué dans les arts. Son premier élève fut Germain Drouais, dont le père et le grand-
père étaient estimés comme peintres de portraits. Il avait été placé par son père chez
Brenet, mais il le quitta attiré par la renommée de David. Wicar, Fabre, Girodet profi-
tèrent aussi les premiers de ses leçons.
Gomme agréé, David avait droit à un logement au Louvre. Pour les appropriations de
ce nouveau domicile il fut adressé à l’entrepreneur des Bâtiments du Roi, à M. Pécoul, le
père de l’ami qu’il avait laissé à Rome. En le recevant, celui-ci lui rappela le message dont
il s’était chargé. L’artiste s’excusa de son oubli, et ayant exposé l’objet de sa visite, il pria
CHAPITRE II
La mère de David allait s’asseoir devant ses ouvrages et prenait part aux observations
bienveillantes qu’on faisait à haute voix sur un peintre d’un talent si plein d’espérances.
Elle laissait deviner qu’elle lui tenait de près; pressée de questions, elle avouait avec
bonhomie être sa mère, et comme on la complimentait sur le génie de son fils, elle
s’écriait : « Ah! tout cela n’est rien: si vous connaissiez son cœur. » Ces triomphes la
remplissaient d’orgueil et de joie; aussi, quand elle rentrait dans la famille de son frère,
ne fallait-il plus lui parler d’architecture et d’architecte, tout cela n’arrivait pas à la
cheville de son enfant.
Cependant, comme il le disait à sa mère, ces succès ne .le rendaient riche que de
gloire, car Pierre, directeur de F Académie et premier Peintre du Roi, qui lui avait promis
deux cents louis de son Bélisaire, n’ayant voulu au dernier moment ne lui en donner que
cinquante, il préféra garder son tableau. Cette peinture subit d’étranges destinées. Achetée
par l’électeur de Trêves, elle disparut à la Révolution. Retrouvée ensuite sur un caisson
d’artillerie, elle fut mise en vente avec la collection Tholosan le 24 février 1801, sous
le n° 84 et adjugée 4,800 francs au citoyen Simon qui la céda à Lucien Bonaparte. Elle
passa en Italie quand ce dernier, se retirant des affaires publiques, s’établit dans cette
contrée : elle fait maintenant partie du musée de Lille.
Quant au tableau de Saint Boch intercédant la Vierge pour les pestiférés, M. D’Angi-
viller aurait bien voulu le conserver pour le Roi. N’ayant pu réussir, en le renvoyant à
Marseille, il fit demander par l’intendant de la province et même par un frère du Roi aux
membres du bureau de la Santé, de prouver par une gratification accordée au peintre leur
satisfaction de l’œuvre qu’il leur avait livrée. Ces Messieurs, « jaloux des deniers du com-
merce » , ne voulurent ajouter que 350 francs, représentant les frais de transport et d’agran-
dissement du sujet, au prix convenu de 550 francs, et malgré le désintéressement de l’ar-
tiste qui, avant d’avoir pu connaître le résultat des démarches faites par les plus hauts
personnages, avait déclaré ne rien vouloir accepter au delà de ce qui lui était dû, ils
persistèrent dans leur mauvaise humeur et refusèrent de lui envoyer un mot de remer-
ciement et même de lui accuser réception de son tableau. Cependant, fiers du succès que
cette œuvre qu’ils avaient si peu payée obtenait parmi leurs concitoyens, ils ne voulurent
pas « l’enterrer » dans la chapelle du Lazaret, et ils la placèrent dans les bâtiments de la
Santé où on la voit encore aujourd’hui.
Le talent de David engagea quelques jeunes artistes à lui demander des conseils. Ainsi
fut fondé cet atelier célèbre où vint étudier tout ce que la France et l’Europe comptèrent de
distingué dans les arts. Son premier élève fut Germain Drouais, dont le père et le grand-
père étaient estimés comme peintres de portraits. Il avait été placé par son père chez
Brenet, mais il le quitta attiré par la renommée de David. Wicar, Fabre, Girodet profi-
tèrent aussi les premiers de ses leçons.
Gomme agréé, David avait droit à un logement au Louvre. Pour les appropriations de
ce nouveau domicile il fut adressé à l’entrepreneur des Bâtiments du Roi, à M. Pécoul, le
père de l’ami qu’il avait laissé à Rome. En le recevant, celui-ci lui rappela le message dont
il s’était chargé. L’artiste s’excusa de son oubli, et ayant exposé l’objet de sa visite, il pria