■^H
LE HIERON AVANT LES FOUILLES.
l'état du Hiéron en 1669'. Tous les autres voyageurs, que nous citerons ensuite,
ont pris Pausanias pour guide et ont entremêlé à leurs propres descriptions celle
du voyageur grec, en sorte qu'on ne distingue pas toujours nettement, en les
lisant, ce qu'ils ont vu de leurs yeux de ce qu'ils ont rétabli par l'imagination.
Desmonceaux, au contraire, ignore Pausanias : sans quoi, il aurait su qu'au Hiéron
il n'y avait ni « ville » ni « palais » ; il aurait su que 1' « amphithéâtre » était le
théâtre bâti par Polyclète, et que l'édifice rond s'appelait la Tholos ; il aurait
connu au moins le nom d'Épidaure et celui d'Esculape, qu'il ne prononce même
point. On ne peut certes pas le soupçonner d'avoir vu les choses à travers le
grec de Pausanias. Il semble être venu à ces ruines sans se demander ce qu'elles
étaient au juste. Mais, comme il le dit de lui-même, il avait « l'œil Architecte »= ; il
s'est intéressé à ces restes d'architecture dont il a très bien senti la beauté, et il
a rédigé de sa courte visite un procès-verbal dont certains détails, — nous le
montrerons plus loin, — ont une grande importance.
Ce que nous en retiendrons pour l'instant, c'est que, au xvne siècle, le Hiéron
était depuis longtemps désert et ses édifices entièrement ruinés, mais aussi que
ses ruines en avaient été jusque-là épargnées en grande partie, puisqu'elles
frappaient le visiteur autant par leur amoncellement que par leur magnificence.
Le plan des monuments se lisait encore sans trop de peine, ou plutôt le seul
obstacle était l'accumulation des débris. La crainte des pirates qui angoissait toute
la région se trouvait être pour les ruines une sauvegarde efficace : elle avait eu
pour effet, — on le voit clairement au récit de Desmonceaux, — de dépeupler les
environs, et les paysans des villages plus éloignés ne devaient pas se soucier de
venir là enlever des pierres à bâtir, au risque d'être enlevés eux-mêmes.
Au cours du xvme siècle, le pays redevint plus tranquille, et dès lors le
sanctuaire abandonné fut exploité comme une carrière. Chandler, qui le visita
presque un siècle après Desmonceaux, ne le vit point tel, à beaucoup près, que
l'avait vu son prédécesseur français. Voici l'essentiel du récit de Chandler' :
« ... Je comptais trouver à Ligourio la possession sacrée d'Esculape, mais on me dit
que les ruines restaient à Gêrao, distant d'une heure environ... Il ne reste plus en cet endroit
que des tas de pierres, des morceaux de murailles en brique et des fragments de marbre
1. Fréret, dans sa « Lettre à l'Éditeur », dit que le voyage de Desmonceaux s'est fait vers l'an 1668. 11
faut entendre que c'est en 1668 que le voyageur est parti; mais il passa d'abord par l'Egypte, le Sinaï,
l'Arabie, la Palestine, et il ne fut en Grèce qu'en 1669. Cette dernière date est donnée formellement comme
celle de l'arrivée de Desmonceaux à Athènes, peu de temps après sa visite à Ëpidaure [Voyage de Le Bruyn,
V, p. 493).
2. Aux environs de Corinthe, à propos d'un monument funéraire mutilé, brisé et renversé, Desmon-
ceaux écrit (Voyage de Le Bruyn, V, p. 487) : 0 Le tout est dans une confusion que l'on ne pourroit rien
connoître, si l'on n'avoit un peu l'œil Architecte. »
3. Voyages en Asie Mineure et en Grèce, en 1764-1766 (trad. Servois et Barbie du Bocage), III,
p. 255-2Ô2.
LE HIERON AVANT LES FOUILLES.
l'état du Hiéron en 1669'. Tous les autres voyageurs, que nous citerons ensuite,
ont pris Pausanias pour guide et ont entremêlé à leurs propres descriptions celle
du voyageur grec, en sorte qu'on ne distingue pas toujours nettement, en les
lisant, ce qu'ils ont vu de leurs yeux de ce qu'ils ont rétabli par l'imagination.
Desmonceaux, au contraire, ignore Pausanias : sans quoi, il aurait su qu'au Hiéron
il n'y avait ni « ville » ni « palais » ; il aurait su que 1' « amphithéâtre » était le
théâtre bâti par Polyclète, et que l'édifice rond s'appelait la Tholos ; il aurait
connu au moins le nom d'Épidaure et celui d'Esculape, qu'il ne prononce même
point. On ne peut certes pas le soupçonner d'avoir vu les choses à travers le
grec de Pausanias. Il semble être venu à ces ruines sans se demander ce qu'elles
étaient au juste. Mais, comme il le dit de lui-même, il avait « l'œil Architecte »= ; il
s'est intéressé à ces restes d'architecture dont il a très bien senti la beauté, et il
a rédigé de sa courte visite un procès-verbal dont certains détails, — nous le
montrerons plus loin, — ont une grande importance.
Ce que nous en retiendrons pour l'instant, c'est que, au xvne siècle, le Hiéron
était depuis longtemps désert et ses édifices entièrement ruinés, mais aussi que
ses ruines en avaient été jusque-là épargnées en grande partie, puisqu'elles
frappaient le visiteur autant par leur amoncellement que par leur magnificence.
Le plan des monuments se lisait encore sans trop de peine, ou plutôt le seul
obstacle était l'accumulation des débris. La crainte des pirates qui angoissait toute
la région se trouvait être pour les ruines une sauvegarde efficace : elle avait eu
pour effet, — on le voit clairement au récit de Desmonceaux, — de dépeupler les
environs, et les paysans des villages plus éloignés ne devaient pas se soucier de
venir là enlever des pierres à bâtir, au risque d'être enlevés eux-mêmes.
Au cours du xvme siècle, le pays redevint plus tranquille, et dès lors le
sanctuaire abandonné fut exploité comme une carrière. Chandler, qui le visita
presque un siècle après Desmonceaux, ne le vit point tel, à beaucoup près, que
l'avait vu son prédécesseur français. Voici l'essentiel du récit de Chandler' :
« ... Je comptais trouver à Ligourio la possession sacrée d'Esculape, mais on me dit
que les ruines restaient à Gêrao, distant d'une heure environ... Il ne reste plus en cet endroit
que des tas de pierres, des morceaux de murailles en brique et des fragments de marbre
1. Fréret, dans sa « Lettre à l'Éditeur », dit que le voyage de Desmonceaux s'est fait vers l'an 1668. 11
faut entendre que c'est en 1668 que le voyageur est parti; mais il passa d'abord par l'Egypte, le Sinaï,
l'Arabie, la Palestine, et il ne fut en Grèce qu'en 1669. Cette dernière date est donnée formellement comme
celle de l'arrivée de Desmonceaux à Athènes, peu de temps après sa visite à Ëpidaure [Voyage de Le Bruyn,
V, p. 493).
2. Aux environs de Corinthe, à propos d'un monument funéraire mutilé, brisé et renversé, Desmon-
ceaux écrit (Voyage de Le Bruyn, V, p. 487) : 0 Le tout est dans une confusion que l'on ne pourroit rien
connoître, si l'on n'avoit un peu l'œil Architecte. »
3. Voyages en Asie Mineure et en Grèce, en 1764-1766 (trad. Servois et Barbie du Bocage), III,
p. 255-2Ô2.