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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 9.1876

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https://doi.org/10.11588/diglit.6770#0042
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U t. U L i Jf S JS

NOUVELLE PRIME GRATUITE

DE L'ECLIPSE

Donnée à tons les nouveaux abonnés d'un an ou aux abonnés
actuels qui renouvelleront leur abonnement d'un an
par anticipation.

L'ÉCLIPSÉ a acquis le droit d'offrir en p-ime à ses abon-
nés le nouveau vo.ume de Touchatout :

LES 50 LETTRES RÉPUBLICAINES

DE GERVAIS MARTIAL

Formant un beau et fort volume grand in-8"

Toute personne qui prendra un abonnement d'un an ou
qui renouvellera, par anticipation, son abonnement, éga-
lement pour un an, aura le droit de retirer gratuitement dans
les bureaux de l'Eclipsé un exemplaire des 50 LETTRES
RÉPUBLICAINES DE GERVAIS MARTIAL. — Les abon-
nés des départements qui désireront recevoir le volume à
domicile d.vront envoyer 8 fr. 80 c, représentant le prix de
l'abonnement et les frais de port de la prime.

LA MIT Dl\ PRÉFET

C'est à l'heure égalitairc du costume de nuit. Alors rien
ne ressemble à un monsieur décoré comme un monsieur
qui ne l'est pas ; il n'y a plus de différence entre celui qui
a un panache et celui qui n'en a point. Ou plutôt tous en
ont un, mais tous arborent le même : le panache du bonnet
de coton, coiffure démocratique qui a plus fait pour la fu-
sion des classes que les pages les plus éloquentes des philo-
sophes, car elle enserre également la tête du ministre et
celle du garçon de bureau, la tête du général et celle du
fabricant de paillassons ; elle ceint les tempes du tout-puis-
sant monarque aussi bien que celle du modeste chef de
claque.

Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre

Est sujet à ses lois,
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre...

N'en a pas toujours défendu nos rois. Dans cette forme
étendue sous le drap, qu'un casque à mèche posant sur
l'oreiller dénonce seul comme appartenant à l'espèce
humaine, qui reconnaîtrait — malgré la veilleuse scintil-
lante sur le meuble où repose l'urne (rien des élections) —
qui reconnaîtrait le puissant d'nier, le dégommé de demain,
l'indécis d'aujourd'hui, l'homme à poigne qui avait promis
de mettre au pas son département, et dont son départe-
ment vient de voter la mise à pied : un préfet, pour l'ap-
peler par son nom.

Le sommeil de oet ami de l'ordre paraît agité. Il n'y a pas
une demi-heure qu'il a clos sa paupière, et déjà il s'est
retourné au moins vingt-cinq fois.

Ah ! si on pouvait se retourner moralement d'une ma-
nière aussi facile 1... Mais voilà, on ne peut pas !

Ecoutez 1 Ses lèvres se sont entr'ouvertes et elles lais-
sent échapper des paroles confuses :

— Hein!... quoi?... Vous dites?... L'ouverture de la
Chambre... La gauche réclame un ministère bonapartiste...
Un télégramma du maréchal rappelle M. buffet en toute
hâte... Tous les fonctionnaires maintenus... Pas possible I

Dans l'élan joyeux que cette nouvelle a provoqué chez le
dormeur, il a légèrement dérangé son drap. La fraîcheur,
qui vient frapper ses membres souples et élégants —
souples surtout — le rappelle au sentiment de la réalité.

Il se dresse tout à coup sur son géant, regarde autour do
lui et, tristement :

— Hélas 1 c'était un rêve!

Le potentat de la veille plonge le^ nez dans la plume ;
mais c'ost en vain qu'il invoque Morpliée et ses pavots.

— Du diable si je dormirai encore cette nuit!

Il se relève, allume une bougie, ouvre un livre au
hasard :

— Qu'est-ce que c'est que ça ? Shakespeare, llamlet. Va
pour Uamlet.

11 commence à lire :

« To be or not to be. Être ou ne pas être. That «s the ques-
tion... »

Posant le livre avec humeur :

— Je no sais pas qu'est-ce qui a fait le succès de ces
auteurs anglais. Moi, je les trouve insupportables.

M. le préfet prend un autre volume :

— A la bonne heure, celui-là est français... Des vers ! Ça
m'endormira peut-être.

Et il lit :

Fatal oracle d'Epidaura,
Tu m'as dit : « Les feuilles des bois
A tes yeux jauniront encore,
Mais c'est pour la dernière fois.
L'éternel cyprès t'environne... »

— Eh bien, non, ça n'est pas drôle non plus ! s'écrie
vivement M. le préfet en envoyant le poëte à l'autre bout
de la chambre. Je croyais m'endormir, et me voilà mainte-
nant éveillé tout à fait.

Il s'agite convulsivement sous le drap.

— Dire que depuis quinze jours c'est comme cela toutes
les nuits. Qu'est-ce que je ferais bien ?

' Le regard de son ex-grandeur avise un énorme paquet de
lettres non décachetées et de journaux munis de leurs
bandes.

— Si je lisais mes lettres?... Oh! non, c'est fini, bien fini.
Je n'en lis plus, je n'en lirai plus jamais. C'est comme l'Of-
ficielle ne l'ouvre pas... On peut me destituer, ça m'est égal,
je ne le saurai pas...

Après réflexion.

— Imbécile ! Est-ce que je ne le saurai pas tout de
même un jour ou l'autre. Un Monsieur demandera à me
parler. Il me saluera avec beaucoup de cérémonie et me
dira: — Momsieur le Ministre vous a informé sans doute...

— De quoi donc? — Que vous étiez appelé à d'autres fonc-
tions... A d'autres fonctions!... Ah! je la connais, celle-là!
Massacre et damnation !

Monsieur le Préfet donne un coup de poing sur la table ;
puis il saute tout à coup hors du lit :

— Al-je bien entendu?... On dirait qu'on a sonné. Lui
déjà peut-être ? Mon remplaçant. Tant pis, je me barricade.
Ça n'est pas une heure pour se présenter. Il repassera. Oh!
le pouvoir 1 Ce pouvoir qui m'échappe !

Nouveau coup dç poing.

— Tiens, que je suis bête! c'est ma cuiller qui tintait
dans mon verre, car j'ai pris de la fleur d'oranger en me
couchant.

On dit que ça calme !

Il hausse tristement les épaules.

— Plaisanterie amère !

Monsieur le Préfet passe un pantalon et arpente sa

chambre.

— J'ai déjà cru que c'était lui que je recevais tantôt, lui,
mon remplaçant.

Un homme qui paraissait avoir de la tenue, mais man-
quer de sac. L'air humble en parlant du ministre, superbe
en parlant des administrés. Un vrai type de fonctionnaire.
Je pouvais bien m'y tromper. Que venait-il faire ici ? Son
insistance à pénétrer jusqu'à moi... J'avais pourtant bien dit
que je n'y étais pour personne. Il est entré de force... Heu-
reusement je me défiais. J'ai caché mes mains tout le temps...
Si c'était un émissaire qui venait voir si j'avais des poignes,
il aura été bien attrapé. Je ne sortais la main droite de la
poitrine que pour la mettre dans le dos et la main gauche
de la poebe du pantalon que pour la glisser dans la poche
de la redingote. Ça me sauvera-t-il? Je n'eu sais rien. Ah !
le moyen d'être sauvé, voilà ce qu'il faudrait trouver.

Il se prend la tète dans log mains, et tout à coup :

— Si j'écrivais à monsieur le Ministre que ce n'est pas
moi qui ai offert la candidature à M. Buffet, que la lettre,
ornée de ma signature, qui a pu être trouvée au Ministère
et où jo répondais de l'élection est l'œuvre d'un farceur qui
a abusé de mon nom. Tiens, ça ne serait pas si maladroit!
U ost évident qu'un farceur seul pouvait assurer à M. Buffet
qu'il lo forait élire. Oui, mais tous meg actes administratifs,
depuis deux ans! Le moyen de les attribuer tous au môme
farceur? Hum ! Ce serait hardi tout au moins.

La tôte de Monsieur le préfet retombe dans ses mains.

— Ah ! une idée... Si je démontrais à monsieur le Mi-
nistro que nul n'a fait plus que moi pour le triomphe de la
République. Ce n'est peut-être pas aussi invraisemblable
que cela en a l'air. Il est trop certain pour mol aujourd'hui
qu'à montrer l'ordre moral à l'œuvre, j'ai rendu républi-
cains beaucoup de gens qui n'avaient pas de préférences
arrêtées.

11 est vrai que le ministre pourrait me répondre : « Je

vous remorcle do ce que vous avez fait ; mais nous nous en
tiendrons là. Votre département est devenu républicain
depuis que vous y êtes, c'est bien ; je craindrais en voua le>
laissant que vous ne le rendiez radical.... » Que faire? Si je
demandais à Donatien son avis? C'est un homme de bon
conseil.

Là-dessus, M. Je préfet prend une feuille de papier &

lettres et écrit :

« Mon cher Donatien,
« Je sens que tout craque autour de moi. Peux-tu me
fournir un moyen pour rester dans ma préfecture ?
« Réponds vite, en faisant une croix sur la lettre pour

que je la reconnaisse. »
La réponse arrive le lendemain.
Elle est ainsi conçue :

« Mon cher préfet,
« Tu me demandes un moyen de rester dans ta place.
« A défaut de mieux, je puis t'indiquer différents moyens
d'en sortir.

« La plus chic est la sortie anticipée, mais je crains qu'elle
ne soit pas dans tes goûts.

« Reste la sortie de la dernière heure.

« Tu attends que ta destitution soit bien arrêtée, et quand
elle a paru à l'Officiel tu écris au ministre : » Je vous prie
d'accepter ma démission, » et au journal de la localité :
>< C'est volontairement que je me retire. »

« Ce genre de sortie se qualifie : sortis à la don Carlos.

« C'est ce qu'il y a de mieux porté dans ce moment-ci.

« A toi de cœur,

« Donatien. »

PAUL PARFAIT.
-+-_

LE COLLECTIONNEUR DE CARTES DE VISITE

Quelle journée charmante que celle du I" janvier! Do»
baraques sur les boulevards, do la boue dans les rues, des
enfants avec des tambours, des trompettes, des chassepots
et des cymbales, des livres rouges à la vitrine de* libraires,
et partout des gens endimanchés qui colportent des bonbons
et des embrassades à domicile.

C'est une cascade de fêtes :

Noël, le Jour de l'an, les Rois : trois fèves.

Voici donc le 1er janvier.

C'est le seul jour de l'année où le bon Parisien, le Parisien
pur sang, rencontre la joie sur le visage de tous ceux qui
l'environnent. Son concierge lui a monté son journal et ses
lettres. Le facteur lui a offert un. bel almanach, le garçon de
son café une belle pipe ou un cigare choisi orné de faveurs
brillantes. Le tambour de la garde nationale l'a réveillé de
bon matin par un rappel significatif. 11 n'y a plus à se faire
d'illusions.

Tous les ans, la comédie recommence avec les mêmes
scènes, les mêmes personnages, les mûmes trucs. C'est une
habitude à prendre.

Les gens très-riches étant & la campagne doivent lire le
compte rendu avec une légitime satisfaction.

Il y a quelques années, — c'est de l'histoire ancieune,
c'est la nouvelle, — après une de ces terribles journées où
les champs de bataille sont jonchés de porte-monnaie vain-
cus, je m'en allai sonner à *a P°rtc d'un camarade qui m'a-
vait invité à dîner.

Il condamne sa porte et nous nous installons devant un
grand feu et une table servie.

Je lui racontai le détail de mes aventures, et lui montrai
comment un homme de mœurs honnêtes peut se laisser
aller froidement à toutes sortes de mensonges et de capitu-
lations qui n'ont même pas la nécessité pour excuse.

U approuva ma conduite, et comme je m'attendais à une
réponse moins encourageante, il ajouta :

— La société a des usages auxquels il faut se conformer.
Vous avez donné des baisers de Judas et vous avez débité
des sottises. Ce que vous avez prêté, on vous l'a rendu, tout
est donc pour le mieux. La politesse est une fausse monnaie
qui a cours forcé dans le monde et qui facilite l'échange
des valeurs sentimentales. L'essentiel est de ne pas donner
de l'or pour du cuivre.

— Voilà comment vous traites l'amitié?

— Il s'agit de s'entendre. Ce que nous appelons amitié ou
affection n'est à l'ordinaire qu'un commerce fort agréable
de petits sentiments anodins, où chacun veut avoir le plus
gros bénéfice.

— U y a de vrais amis. Avez-vous lu Cicéron?

— Jamais. Je sais que l'antiquité nous a transmis des
exemples d'amis célèbres qui défilent deux à deux : Castor
et Pollux, Nisus et Éuryale, Achille et Patrocle, Horace et Mé-
cène, Catulle et Manlius. Ceux qui n'avaient pas d'amis
avaient des confidents ; mais j'aurais aimé à rencontrerces
touchants modèles autre part que dans la mythologie ou
dans la poésie lyrique.

— Vous niez l'amitié?

— Non, et je vous pose cette question : Supposez qu'un
homme vous sauve la vie, vous offre son toit et sa table,
serait-il votre ami ?

— Certes.

— Eh bien, ce sont là des actes de solidarité humaine.
Ce n'est pas de l'amitié.

— Paradoxe !

— A Paris, c'est possible. Mais sans être tenu à de la re-
connaissance, vous trouverez de pareils services au désert
et chez les sauvages.

— C'est vrai.

— J'ai connu dans ma vie plus de six mille personnes.
Quand je passe leurs noms en revue, je suis forcé de m'a-
vouer que je n'ai jamais reçu ce bienfait des dieux qu'on
appelle un ami, et pourtant j'ai connu trois habitants du
Monomotapa.

— Comment avez-vous conservé le souvenir de leurs
noms ?

Il fit Jouer un ressort et tira un tiroir de sa commode.

— Ce tiroir, dit-il, est divisé en compartiments. Tous ces
petits cartons, que vous voyez disposés comme les tables
mobiles d'un cataloque de bibliothèque, sont des cartes de
visite. Depuis ma sortie du collège, j'ai conservé avec soin
toutes celles que j'ai reçues des gens avec lesquels j'ai été
en relations. J'ai là,classés sans autre distinction que l'ordre
alphabétique, mes parents, mes amis (il appuya sur le mot),
mes camarades et mes connaissances. On y trouverait, à
peu d'exceptions près, la nomenclature de toutes les pro-
fessions sociales : il y a des avocats, des médecins, des
magistrats, des avoués, des notaires, énormément d'huis-
siers, des sous-préfets, des députés, des maires, des con-
suls, des fonctionnaires de toutes les grandes administra-
tions publiques ; toutes les branches de l'industrie et du
commerce, les chemins de fer, le clergé, la marine, l'ar-
mée, les métiers, les arts, les sciences et les lettres y sont
représentés.

-— C'est effrayant.

— Quelquefois, quand je suis seul, je passe ma soirée à
parcourir mon catalogue ; mais, en principe, je consacre
ma journée du i" de l'an à une revùe générale. Chaque
carte a une annotation particulière, selon les individus,
mentionnant un fait, une date, un service rendu, ou toute
autre indication. Par parenthèse, le bristol est une excel-
lente invention. Les cartes sur porcelaine ont l'inconvénient
de n'être pas commodes pour écrire, et les noms s'effacent
vite par le frottement. Je veille à cela. U n'est pas indiffé-
rent de pouvoir, à un moment donné, reconstituer la filière
de son existence, d'en remonter le cours et de se ressouve-
nir de tous ceux qui se sont mêlés à notre vie par le jeu
des événements, des relations et des rencontres ; il y a une
multitude de gens dont le nom serait effacé de ma mémoire
si je n'avais pas eu la précaution de conserver leurs cartes
de visite. Je puis, avec elles, revivre dans le passé et,
comme un panorama qui se déroule, voir défiler mes
souvenirs les plus lointains.

— Mais c'est un travail de bénédictin!

— Cela m'amuse. J'ai aussi ma correspondance reliée en
volumes, année par année, qui m'évite bien des annota-
tions.

« Quand une fois j'eus posé les bases de ce monument,
11 m'est arrivé ce qui arrive à tous les collectionneurs : mon
musée, que j'appelle le musée du souvenir, était incomplet.
Ce qui n'était dans l'origine qu'une idée excentrique, est
devenu une passion et une manie. Ces sortes de maladies-
là font des progrès rapides et ne nous quittent qu'au tom-
beau.

« U n'y a rien, pour combattre une grande douleur,
comme de faire une collection; c'est, je crois, le seul et le
meilleur remède contre l'absolu désespoir. Donc, sans cal-
culer encore la pente sur laquelle je glissais de jour en
jour en vertu des lois de la vitesse acquise, j'empilais carte
sur carte, recherchant celles qui me manquaient.

« A force de regarder mes cartes, je finis par leur trouver
une sorte de physionomie. Le nom me sembla en harmonie
avec le caractère et la personne de celui qui le portait. Une
fois là, j'étais perdu; je n'étais plus une créature humaine,
j'étais un collectionneur.

« Je résolus d'avoir des connaissances sur tous les bâtons
de l'échelle sociale. C'est ainsi que je me sentis entraîné à
demander la carte du maître du café où je déjeunais. J'é-
tendis le cercle de mes relations pour avoir des cartes cor-
respondant à une fonction, un métier quelconque. J'ai de-
mandé une audience à un ministre pour avoir la sienne,
car il faut nécessairement que je connaisse, au moins de
vue, ceux qui figurent ians ma collection.

« J'ai été plus loin : j'ai confectionné une comédie iné-
narrable et je l'ai présentée pour connaître un directeur de
: théâtre. J'ai fréquenté les gens de lettres, les comédiens,
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