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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 9.1876

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https://doi.org/10.11588/diglit.6770#0074
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L * U L i P O fi

NOUVELLE PRIME GRATUITE

DE L ECLIPSE

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par anticipation.

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DE GERVAIS MARTIAL

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REPUBLICAINES DE GERVAIS MARTI\L.—Les abon-
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domicile d- vront envoyer 8 fr. 8u c, représentant le pr:x de
l'abonnement et les frais da port de la prime.

L OUVERTURE DU SALON

Paris, ville éminemment artistique, ne voudrait manquer
pour rien l'ouverture d'un Salon. Manquer l'ouverture !
fichtre, nous serions propres ! Eh bien, et la constatation
du niveau de l'art! De combien, depuis l'an dernier, ce ni-
veau s'est-il élevé ou abaissé ? Si les ouvreurs de Salon
n'étalent pas là pour le décider, qui est-ce qui le décide-
rait? je vous le demande.

Aussi, chaque 1er mai, est-ce étonnant ce qu'il y a de gens
qui s'intéressent tout à coup à l'art et aux artistes. Dès la
veille, la journée s'annonce par d'universels :

— Je vous reverrai demain.

— Où cela ?

— Au Salon.

— Parbleu !
Ou bien :

— Impossible demain, mon chef, ne comptes pas sur
moi. Je vais au Salon. Pour rien au monde je ne voudrais
manquer l'ouverture.

— Tiens, est-ce que vous croyei que je voudrais la man-
quer, moi !

— Alors vous y allô«?

— Si j'y vaisl...

Et l'interlocuteur paraît presque indigné qu'on ait l'air de
le supposer aussi étranger aux Intérêts de l'art.

Ce qu'il y a de curieux, c'est que lorsque tous ces gens
qui s'intéressent tant à l'art sont enfin réunis, Dieu sait à
travers quelles péripéties 1 — dans le bâtiment de l'Exposi-
tion, Il n'y en a pas un seul qui regarde les tableaux.

Pal uû seul, je me trompe ; il y en a un : le .Monsieur
consciencieux.

C'est un vieux Monsieur qui regarde effectivement les ta-
bleaux ; il a même fait l'acquisition d'un catalogue pour
sortir à son honneur de cette lâche ardue ; oui, celui-là re-
garde les tableaux : seulement, par des circonstances indé-
pendantes de sa volonté, il arrive généralement qu'il ne les
voit pas.

Presque toujours, le tableau qu'il cherché" est masqué par
un groupe épais de badauds qui causent de tout, la peinture
exceptée. Tâchons de suivre dans ses moments les plus lu-
cides ce visiteur convaincu.

le monsieub CONSClfiNClÉUX. — Voyons , 1237 ,

où ça se trouve-t-il? Ahl là-haut, je crois. (Feuilletant
son cutalogue.) 1237. Mutine. Je dois me tromper. Je vois un
Monsieur en buste. (Sn regardant mieux*) Parbleu ! C'est le
1227. {Il feuillette son catalogue.) 1227, Galin^so. (Il lit met
conscience : ) « Calypso ne pouvait se consoler du départ
d'Ulysse, etc.. » En bien, mais ce n'est pas ça!

Pendant que ce brave homme poursuit ses recherches, un
Monsieur vient de s'installer tranquillement dans le jardin
devant une des tables de la buvette : c'est le Monsieur qui
ne vient pas à l'Exposition pour se Tatiguer.

Le monsieur qui nb vibnt pas a l'exposition
pour se fatig u f.r, —' Là, ici, je serai très-bien ; je tourne
le dos aux sculptures, j'aime mieux cela, j'ai le temps de
les voir. Moi, je ne suis pas venu au Salon pour me fatiguer.
Garçon, un bock.

Petit à petit, à droite et à gauche, en haut comme en
bas, les types affluent.

lb monsieur, gui tient a cb qu'on sache qu'il y
Était. — Bonjour, cher, bonjour! (H fait signe de loin arec
la main.) Comment, si j'ai vu...? Non, pas encore. Il y a tant
de choses! Vous dites?... Je n'entends pas. (Signe de la
main.) Bonjour 1 (De loin, à un autre.) Psst, Ernest!... Par
ici! (Saluant tout à coup sur sa gauche à grands coups de cha-
peau.) Mesdames !

le monsieur qui pilote une famille. — Ne nOUS

quittons pas... Où est Emile? Qu'avez-vous fait d'Emile?
Isidore, vous lui donniez la main tout à l'heure... Cet en-
fant sera resté dans la salle F. Attendez-mni là, je reviens.
Surtout ne changez pas de place; nous ne pourrions plus
nous retrouver.

lb jeune homme qui sait bien pourquoi il est

venu. — (A une dame.) Approchons-nous de ce portrait en
pied. Il semble qu'il se produise autour de lui un vide pro-
pice. Oh! Anna, avec quelle émotion je vous attendais !

la dame. — Chut ! Ne parlez pas si haut.

le jeune homme. — Chère âme !

la dame. — Laissez ma main. On peut vous voir.

le jeune homme. — Penchons-nous sur la cimaise.
Comme cela, les yeux dans les yeux.

la dame. — On ne se penche pas sur la cimaise pour
regarder un portrait en pied.

le jeune homme. — Qu'à cela ne tienne. Voici près de
vous un tableau dont les figures sont toutes petites...

le monsieur qu'on n'y reprendra pas. — Je me
disais ce matin ; « Je n'irai pas. » J'avais raison. Il est ab-

surde de venir se faire bousculer pour ne rien voir. Si l'on
m y reprend !

le monsieur consciencieux. — Portrait de la du-
chesse de "*. Ah! Voilà, 052. Quelle étrange idée pour une
duchesse de se faire peindre si peu vêtue... et s'essuyant
les pieds ! Si j'étais le duc, je n'aimerais pas que ma femme
s'exposât aux regards du publie dans uno pareille tenue.
Au moins, quand on se fait peindre, a-t-on l'habitude de
montrer sa figure. Ali! mais, pardon ! je lisais mal, 19oâ. Je
ne suis donc pas à la lettre C. Le diable m'emporte ! j'ai
confondu avec la lettre G.

la dame qui vient pour les toilettes. — C'est

d'un composition déplorable.
le mari. —Je ne trouve pas.

la dame. — Une robe mauve avec une confection bleue.
le m \ k i.—Je ne vois pas du tout que Vercingétorix porte

une confection bleue.

la i'ame, haussant les" épaules. — Hé, qui vous parle de
tableaux !

le monsibur qui ne vient pas a l'f.xposition
pour sk fatiguer.-— Merci, de la poussière à plein nez!
Je n'entre pas là-dedans. Avec l'odeur du vernis qui vous
fuit déjà mal à la tête! Je verrai ça plus tard. On est bien
mieux sur la galerie, à l'air. Je ne suis pas venu ici pour
me fatiguer, moi i

le monsieur Qtrt pilote une famille. — Ah! il
faut que je montre à Clémentine... Où est-elle donc?...
Avec Madame Bonport?... Si ces dames vont d'un côté pen-
dant que nous allons d'un autre, il n'y aura moyen de rien
voir.

le jeunb homme qui sait bien pourquoi il est
venu. — Ces heures compteront parmi les plus délicieuses
de ma vie!
la dame. — Cela est vrai ?
le jeune homme. — Vous en doutez?
la dame. — Prenez garde! Voilà un quart d'heure au
moins que nous sommes devant cet affreux tableau.
le jeune homme. — Celui-là ou un autre, qu'importe!
la dame. — On va vous remarquer.

le monsieur QU'on n'y repkendra pas. —Ah! Si

l'on m'y reprend! J'en étais sûr. Je devais avoir ma redin-
gote arrachée. C'est bien fait aussi; tu n'as que ce que ta
mérites, imbécile ! Aïe, mon cor !... Faites donc attention!

LA DAME qui vient pour les toilettes. — Oh ! i!

est charmant de couleur.

le mari. — Oui, le fond est exquis.

la dame. — Où voyez-vous qu'il ait un fond?

le mari, — Comment, pas de fond! Ce pelit lointain...

la damb, avec une pitié profonde. — Qu'est-ce que vous
faites donc de vos yeux? Je ne vous montre pas ça, je vous
montre ce chapeau.

le monsieur qui tient A cb qu'on sache qu'il Y

était, fendant la foule. — lîonjour ! bonjour! (il court
après quelqu'un.) Ah ! cher, enchanté de vous voir. (Poignée
de main.) Vous écrivez toujours au Furet ! Bravo ! nous
aurons une fine critique de plus... A propos, si vous citez
ceux qui se trouvaient ici aujourd'hui... hein, ne me nom-
mez pas !

le monsieur consciencieux. — Je me demande
pourquoi le peintre a appelé aAn. la Bataille de Muiitji,<in.
(Il relit dans son catuligue.) « Les Suisses, sortis de la ville
par une logue et étroite chaussée, entre deux marais, s'a-
vancèreut piques baissées, etc. » C'est drôle, je ne voi3 pas
les Suisses, je ne vois pas les marais, je ne vois pas même
les piques... Il n'y a rien qu'un fromage sur une assiette.
Aurais-je mal lu le numéro ? Ah ! à la bonne heure ! 23l(i.
(Il feuillette son catalogue.) 231 «. Le Tombeau de Juliette.(Après
réflexion.) Je ne comprends pas.

LE monsieur qui pilote une famille. — Je pré-

voyais que nous nous perdrions. Amélie, qu'as-tu fait de
ton frère ?

Amélie. — Il est descendu à la sculpture.
le monsieur.—Avec Cyprien ?

amélie. — Non; Cyprieu venait de rencontrer un ami.
Il est parti de ce coté-ci.
; lk monsieur. — Et ces dames

amélie. — Elles étaient fatiguées. Je crois qu'elles se
sont assises.

lb m o n s i eu r. — Où cela ?

AMÉi.iE. — Je ne sais pas.

le mo»sieur. — Nous ne verrons rien de cette façon-là.

le monsieur qui ne vient pas a l'exposition

pour se fatiguer. — Parfait, ce déjeuner, il n'y a rien
de tel pour bien se restaurer que de ne pas être pressé.
Maintenant, un cigare. Du feu, garçon! Je vais aller fumer
sur ce banc près des parterres. (En s'allongeant sur te banc.)
Ou est très-bien là-dessus. Où fabrique-t-on ça ? (Il prend
l'adresse.) Ce système de ressort est très-ingénieux.

un monsieur qui passe, à sa femme. — Si les Dumon-
ceau ne devaient pas venir, ils auraient bien du nous le
dire. Nous ne nous serions pas fatigués à les chercher tout
le temps. Je suis éreinté.

la femme. — Moi aussi. Les jambes me rentrent.

le monsieur qui ne vient pas A L'EXPOSITION

pour se fatiguer. — lis sont éreintés ! Les jambes leur
rentrent! Comme j'ai bien fait de ne pas traverser les sal-
les. Ce cigare est excellent.

le jeune homme qui sait bien pourquoi il est

venu. — Anna, qu'avoz-vous ?
la dame. — Mon ami, ce portrait...

LE jeune homme. — Kll bien !

la dame. — Il m'a donné un coup. J'ai cru voir mon
mari. C'est étonnant comme il lui ressemble.

le jeune homme. — Allons plus loin.

la dame. —Non, Gustave, non, j'ai tort de vous écou-
ter. C'est la Providence qui a pl :cé ce portrait 3ur notre
passage. Je m veux plus vous voir, je ne le dois pas.

le jeune homme, à part. — Que le diable emporte la
peinture !

chœur des sortants. — Le niveau de l'art baisse. —
Cela ne fait pas de doute. — Spectacle attristant 1 — Plus
de grande peinture. — Il ne se détache pas de tout cela
une seule œuvre. — C'est bien inférieur au Salon de l'an
passé.

CHOU POMMÉ

PAUL PARLAIT

Le lundi, jusqu'à midi, de mai en octobre, le tableau que
présente l'intérieur des wagons d'un train de banlieue, re-
venant à Paris, est d'un caractère tout différent de celui
qu'il offre pendant les autres jours ; il est très-particulier.

Ce ne sont sur les banquettes de bois ou recouvertes de
drap, dans toutes les voitures, sans distinction de classes,
que bouquets de fleurs, abondants '< t d'odeurs suaves, au
Printemps ; et, plus tard, que paniers gonflés de fruits've-
loutés.

On s'agite, on cause, on rit, on fredonne. La campagne
est mise sur le tapis. On s'informe du progrès des jardins,
de la taille des arbres, de leur greffe, des fleurs coulées par
le frais du matin, etc.

Celui-ci a fait recrépir son mur, celui-là a fauché son
gazon, cet autre a repiqué des fraisiers.

La foule, de jour en jour plus nombreuse, qui le samedi
soir s'est dispersée joyeuse dans les environs de la capitale,
et y a passé son dimanche, son bienheureux jour de liberté'
de poésie et d'amour, sous le beau ciel suavement bleu,'
retourne résignée, et emportant du bien-être pour une se-
maine - à ses bureaux sombres, à ses ateliers bruyants, à
ses magasins noirs.

Le visage souriant, un peu bruni par le bon nouveau
soleil, les yeux rafraîchis par la verdure exquise, les pou-
mons pleins d'une boudée d'air pur et parfumé, les pro-
priétaires des environs de Paris, petits et grands, sans trop
de regrets, remplis au contraire d'un courage raffermi,
retournent dans la ville épuisante et tumultueuse.

Comme Antée, ils ont touché la terre fortifiante, l'auguste
mère, des pieds et des mains, et comme le géant des temps
anciens, plus robustes de cœur, de nerfs et de muscles, ils
viennent se planter sans peur devant le dur travail en'lui
disant : — Nous voilà ; allons, en lutte !

Dans un wagon de troisième classe, au milieu des nuages
bleuâtres de la fumée des pipes et des cigares, deux bons
vieux, la femme et l'homme, calmes et doux, causaient un
lundi matin devant moi.

Ces deux bons vieux, deux rentiers, deux très-petits ren-
tiers, j'en suis sùr, modestement habillés et vêtus d'habits
faits en ces étoffes antiques et inusables dont le secret se
perd, se tenaient, côte à côte, dans leur petit coin.

Un placide sourire errait sur leurs braves figures de gens
de bien ; et cela me réjouissait de voir ce vieux couple,
candide et simple, échanger parfois un regard où toute une
vie de conflance, d'estime et d'affection réciproques se
peignait.

Le vieillard, pour tout bagage, rapportait, familièrement
étendu sur ses genoux, un magnifique chou pommé.

La vieille dame, nt-cc une sc-rllcTtMe enjouée, lançait
tantôt à son mari, tantôt au légume vigoureusement feuillu
des clins d'yeux triomphants.

Ce chou, malgré sa rustique splendeur, valait cinq sous,
tout au plus.

Aussi, considérant tout d'abord que, sans fatigue, à sa
porte même, dans Paris, il est facile de se procurer mille
choux aussi beaux et aussi bons, je trouvai que se charger
d'un pareil trophée végétal, et s'exposer aux sarcasmes des
passants, était une de ces belles mais inutiles actions qu'un
cœur de propriétaire peut seul concevoir.

A la suite de ce premier mouvement, un petit rire discret,
mais dédaigneux, s'échappa de mes lèvres à l'adresse de
mes voisins.

Puis je me mis à réfléchir, et comme j'avais ri, je me
senlis désarmé de ma raillerie naissante.

Enfin, je l'avoue, un peu d'attendrissement me vint au
cœur, eu voyant avec quelle amitié naïve le pauvre vieux
promenait, ses doigts maigres sur la plante ventrue, aux
feuilles bourgeonnées comme la face de Mirabeau.

Et je me dis :

Ce chou, cette chose vulgaire, ridicule, type légendaire
de la bêtise végétale, que d'heures lentes à s'écouler, de
travail, d'ennuis, de déboires, d'abnégations méritoires, de
privations il a coûté* à ces honnêtes vieillards!

Oui, voilà deux pauvres êtres, deux nobles galériens libé-
rés du travail, que l'espoir de faire pousser un jour, dans
leur vieillesse, ce chou dédaigné, a fait marcher courbés
dans la voie rude de l'honneur depuis quarante ans.

ils se sont refusé toute jouissance, si humble qu'elle fût,
depuis leur entrée en ménage, dans ce seul but : — Nous
reposer, plus tard, l'un près de l'autre, et causer du passé
aux durs souvenirs, sur le seuil de noire maison, dans notre
propriété modeste.

*

Pendant quarante ans, derrière quelque table ou comp-
toir, dans une boutique mal éclairée, au fond d'une rue
populeuse, ils se sont assis tous les deux, se levant tôt, se
couchant tard.

Leur teint clair et vif a fait place aux pâleurs attristantes
du vieil ivoire ; leurs cheveux épais et noirs ont blanchi,
sont tombés. -t

Hélas ! ils ont vite et extrêmement vieilli.

Mais le cœur, qui n'a pas vécu, ne s'est pas énervé ;
tandis que le corps s'usait, il a gardé toute son ingénuité,
toute son aptitude à sentir avec jeunesse, à jouir avec en-
thousiasme des moindres émotions qui me semblent

puériles.

Leur corps a durci ; leur àme s'est attendrie.

Et la récompense de leur existence si bien remplie, si
faconde en vertus ignorées, *st renfermée tout entière dans
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