9 Juillet 187(1.
LS
Je saisis mon unique baromètre, ouvrage admira-
ble de l'ingénieur Duerav-Chcvalier, et qui me ser-
vait à prendre mes altitudes. J'en brisai héroïque-
ment le tube, dont je versai le contenu dans un
vase de terre, où je le triturai longuement et soi-
gneusement avec de la graisse d'hippopotame. Je
possédais bientôt une superbe pommade . dosée
vigoureusement secundum artem, que j'employai en
frictions à la plante des pieds et à la paume des
mains ; je prescrivis un régime ad hoc, et me retirai
plein de confiance. Je répétai la même manœuvre
pendant un certain temps, et une amélioration sen-
sible se manifesta rapidement. Le mieux s'accrut de
jour en jour, et si, usant du privilège du narrateur,
je vousi'ais franchir un espace de six semaines, nous
trouvons Koutloklo attablé ou plutôt accroupi devant
un rognon de rhinocéros qu'il engloutit avec la vo-
racité d'un cannibale.
Mon baromètre avait fait merveille ! Que dut pen-
ser l'ombre de Torricelli ?
Mon royal malade est gras comme un marsouin,
luisant comme une botte vernie et gai comme un
blesbuck. Tout en reconnaissant que je suis le pre-
mier médecin du monde, il ne peut comprendre
comment la petite friandise (car il en a mangé) que
j'ai tirée de ce tube de verre a pu le guérir si vite et
si bien. Il tourne et retourne le baromètre, veuf de
sa colonne liquide, et m'en propose finalement l'é-
change contre douze défenses d'éléphant. Je le lui
offre généreusement. Sa joie est délirante. Il l'élève
au-dessus de sa tète comme une idole, appelle à
grands cris tous les siens, et ils s'en vont, musique
en tête, brandissant leurs armes, l'accrocher au tronc
d'un baobab énorme, situé au milieu de la ville. Je
crois qu'on en a fait un dieu.
Les offrandes abondent, les calebasses pleines de
bière de Sorgho sont rangées au pied de l'arbre, les
chants commencent, les'danses leur succèdent, on
boit à la ronde, et je distingue avec stupeur, au mi-
lieu des cris assourdissants de ces noirs pochards,
des mots français rhythmés d'une façon bizarre et
accompagnés d'une musique macabre.
J'étais pétrifié.
Son altesse, madame Koutloklo, toujours complai-
sante, me donne la clef du mystère. Son époux attri-
buant une vertu magique aux caractères gravés sur
la plaque de cuivre du baromètre, l'avait priée de
les lui lire. C'était l'adresse du fabricant. Elle lui
répéta ces mots à satiété pendant quinze jours ; il les
retint comme un perroquet, et les fit apprendre à
ses meilleurs chanteurs que sa moitié dirigeait en
qualité de chef d'orchestre.
Voilà comment le baromètre devint un dieu chez
les Maravis. Quant à la prière qu'ils lui adressent, je
regrette de n'avoir pu en noter la musique, mais je
puis au moins avec les paroles vous donner une
idée du rhythme. Voici l'étrange refrain que tous
beuglent à pleins poumons, ei. qui dans mille ans
pourra faire écrire bien des volumes sur l'origine des
cultes :
L'In-gé-nieur-Du-cray-Che-va-lier-Paris.
!.. B.-D.
LS
Je saisis mon unique baromètre, ouvrage admira-
ble de l'ingénieur Duerav-Chcvalier, et qui me ser-
vait à prendre mes altitudes. J'en brisai héroïque-
ment le tube, dont je versai le contenu dans un
vase de terre, où je le triturai longuement et soi-
gneusement avec de la graisse d'hippopotame. Je
possédais bientôt une superbe pommade . dosée
vigoureusement secundum artem, que j'employai en
frictions à la plante des pieds et à la paume des
mains ; je prescrivis un régime ad hoc, et me retirai
plein de confiance. Je répétai la même manœuvre
pendant un certain temps, et une amélioration sen-
sible se manifesta rapidement. Le mieux s'accrut de
jour en jour, et si, usant du privilège du narrateur,
je vousi'ais franchir un espace de six semaines, nous
trouvons Koutloklo attablé ou plutôt accroupi devant
un rognon de rhinocéros qu'il engloutit avec la vo-
racité d'un cannibale.
Mon baromètre avait fait merveille ! Que dut pen-
ser l'ombre de Torricelli ?
Mon royal malade est gras comme un marsouin,
luisant comme une botte vernie et gai comme un
blesbuck. Tout en reconnaissant que je suis le pre-
mier médecin du monde, il ne peut comprendre
comment la petite friandise (car il en a mangé) que
j'ai tirée de ce tube de verre a pu le guérir si vite et
si bien. Il tourne et retourne le baromètre, veuf de
sa colonne liquide, et m'en propose finalement l'é-
change contre douze défenses d'éléphant. Je le lui
offre généreusement. Sa joie est délirante. Il l'élève
au-dessus de sa tète comme une idole, appelle à
grands cris tous les siens, et ils s'en vont, musique
en tête, brandissant leurs armes, l'accrocher au tronc
d'un baobab énorme, situé au milieu de la ville. Je
crois qu'on en a fait un dieu.
Les offrandes abondent, les calebasses pleines de
bière de Sorgho sont rangées au pied de l'arbre, les
chants commencent, les'danses leur succèdent, on
boit à la ronde, et je distingue avec stupeur, au mi-
lieu des cris assourdissants de ces noirs pochards,
des mots français rhythmés d'une façon bizarre et
accompagnés d'une musique macabre.
J'étais pétrifié.
Son altesse, madame Koutloklo, toujours complai-
sante, me donne la clef du mystère. Son époux attri-
buant une vertu magique aux caractères gravés sur
la plaque de cuivre du baromètre, l'avait priée de
les lui lire. C'était l'adresse du fabricant. Elle lui
répéta ces mots à satiété pendant quinze jours ; il les
retint comme un perroquet, et les fit apprendre à
ses meilleurs chanteurs que sa moitié dirigeait en
qualité de chef d'orchestre.
Voilà comment le baromètre devint un dieu chez
les Maravis. Quant à la prière qu'ils lui adressent, je
regrette de n'avoir pu en noter la musique, mais je
puis au moins avec les paroles vous donner une
idée du rhythme. Voici l'étrange refrain que tous
beuglent à pleins poumons, ei. qui dans mille ans
pourra faire écrire bien des volumes sur l'origine des
cultes :
L'In-gé-nieur-Du-cray-Che-va-lier-Paris.
!.. B.-D.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le crayon des autres
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)