L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

34 L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE sa Juillet 1876.

« Les bourgeois se retirent à la campagne pour y mou-
« Ht de leurs rentes. »

Mais ceux qui n'ont pas de campagne ?

Ceux qui n'ont pas de campagne vont dans les
campagnes des autres.

Ceux qui, plus déshérités encore, ne sont pas fa?
vorisés d'une invitation desPopinotde leur connais-
sance, encombrent les gares, s'empilent dans des
wagons en hurlant, et vont embellir de leur présence
les l'êtes patronales des banlieues d'alentour, suivis
de leur progéniture. Ils appellent ce déplacement
dominical « aller à la campagne, » parce qu'il y a un
peu plus de poussière qu'aux Champs-Elysées, ou
bien encore « rompre la monotonie de la vie de fandtt&,t
parce qu'ils sont un peu plus tassés les uns sur les
autres.

Ces fêtes, d'ailleurs, se suivent et se ressemblent :
Des boutiques de porcelaines, des chevaux de bois,
des saltimbanques, un diorama, des tirs à deux
coups pour un sou, des jeux de palets, où un lapin,
très-malin vous observe en broutant une feuille de
chou, des jeux de macarons, des bascules, des mar-
chands de gaufres, de flan et de brioches, une
odeur de pommes de terre frites, un bruit assour-
dissant de grosse caisse et d'orgue de barbarie; puis
enfin le concert des orphéons réunis, un ballon, un
feu d'artifice, et des régates quand la localité est sur
la Seine ou la Marne.

Les cabarets et les guinguettes regorgent de gens
en liras de chemise. Au sein de ces plaisirs cham-
pêtres, s'agitent des populations endimanchées, des
familles entières arborant des robes étonnantes, des
chapeaux chargés de fleurs potagères, quelques châ-
les français, des redingotes qui gardent les plis de
la commode, des casquettes, des pipes neuves et
des cigares d'un sou. Quelquefois la pluie vient se
mêler de la partie : tout fuit dans un beau désordre,
se sauve, se rue, grouille aux stations du chemin de

fer, et, à l'arrivée en gare, emporte d'assaut des om-
nibus complets.

Voilà ce que le peuple le plus spirituel de la terre
appelle la campagne. j. s.

CARNET PARISIEN

CE QU'ON VOIT

Sur le boulevard des Italiens, un brillant équipage
est arrêté. Les passants ralentissent leur marche
pour admirer la forme de la voiture, un cabriolet à
pompe, attelé de deux chevaux, la mode de demain.

Les plus badauds renoncent à leurs affaires et, au
risque de laisser refroidir leur potage et chauffer
leur melon, stationnent autour du véhicule et font
mille commentaires.

Le groom, qui tient en ce moment les rênes, est
extrêmement correct.

— C'est un groom de bonne maison , pense la
foule.

Sur le frontal des chevaux, à tous les croisements
des harnais, des plaques d'argent portent, gravé en
relief, un écusson du meilleur goût surmonté d'un
tortil de baron.

— Cela sent son faubourg Saint-Germain , dit
quelqu'un.

Un cocher de fiacre, que son client fait attendre,
descend de son siège et, plus hardi que les autres,
s'approche des chevaux, leur tate les jambes, leur
caresse la croupe et le garrot, et, faisant claquer sa
langue :

— Les belles bêtes ! s'écrie-t-il.

Et tout autour de la voiture, il y a pendant quel-
ques instants des murmures d'admiration, des re-

VIE ET AVENTURES DE CÉSARIN JOLI-COCO (Suite)

Cependant l'ordre régnait à Paris.