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L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
27 Août 1876.
les tigres et fascine les serpents, s'avance, pâle sous
son bistre. Il tombe à genoux, et frappé d'une ins-
piration subite, saisit l'extrémité du tube qu'il porte
pieusement à ses lèvres et aspire à longs traits ce
liquide qui peut recélerla mort.
Tant d'héroïsme doit avoir sa récompense. Une li-
queur douce comme le miel vient lui rafraîchir la
bouche et lui procure une extase délicieuse 1
Comme tout a une fin en ce monde, la machine
cessa de fonctionner, et force fut au brahmane de
reconnaître que ce n'était pas la bouteille inépui-
sable. En vain lui prodigua-t-il les noms les plus
doux; en vain prononça-t-il les incantations les plus
terribles. Les versets de Mahabarata, furent, eux-
mêmes, aussi impuissants à faire couler l'hydromel,
que les prières et les menaces.
... Le pillage de la maison s'opéra méthodiquement,
et les rôdeurs s'en allèrent à l'aube chargés d'un bu-
tin précieux, sans oublier la « Fontaine dlvoire. »
Instruit d'un prodige aussi étonnant, Raokobar, qui
attendait impatiemment le retour de ses hommes,
convoqua, séance tenante, le ban et l'arrière-ban des
savants, que leur commune ignorance mit d'accord
pour la première fois. Us nièrent l'existence du pro-
dige, et conclurent unanimement, qu'il fallait dé-
truire, au plus vite, cet odieux produit des infâmes
Anglais.
Plus persévérant que ses sujets, le rajah chercha,
sans se rebuter, le mécanisme intelligent qui les
déroutait, et finalement, il découvrit qu'il n'y avait
aucun subterfuge. Mais il ne pouvait en soupçonner
l'usage, bien qu'il eût souvent vu sur les bords de la
Merbuddah, les Ibis se rendre à eux-mêmes, avec
leur long bec rempli d'eau, le service que M. Fleu-
rant veut rendre de force à Orgon.
Il en fit une théière automatique, et c'était mer-
veille de voir sa favorite, la belle Si ta, promener à la
ronde, entre ses doigts aux ongles colorés en rose
par le henné, le petit bouquin de nacre, et verser
l'odorante infusion dans des tasses de porcelaine
représentant les épisodes du règne glorieux de
Tippo-Sahib.
Raokobar, radieux comme un enfant qui possède
un joujou unique, et de plus magnifique comme un
satrape, fit consteller la « théière » de perles, de ru-
bis, d'émeraudes, de saphirs et de diamants. C'est
maintenant une merveille d'un prix inestimable.
Quand le jour des représentations officielles, le grand
maître des cérémonies accompagné de quatre guer-
riers, le cimeterre à la main, la retire du trésor par-
ticulier du roi, c'est un éblouissement, une fulgura-
tion. Il a été donné à un Européen de contempler
cette reine des théières.
Nous continuerons à lui donner ce nom. — Un
traité augmentait de quelque vingt mille roupies,
le tribut annuel du rajah révolté, et sir Arthur
Chasters fut l'heureux négociateur qui mena à
bien cette délicate entreprise.
Le jour de la signature, on prit le thé. Vous pou-
vez juger de la stupéfaction de l'honorable gentle-
man à la vue de l'étrange exhibition de ce récipient
inusité. Après avoir appris de son hôte comment
il le possédait, il ne jugea pas à propos de le dé-
tromper sur son emploi. Il en accepta héroïquement
une dose, qu'il huma du bout des lèvres, c'était une
nouvelle manière de fumer le calumet de paix. La
pensée ne lui vint même pas de refuser, le salut de
la négociation pouvait en dépendre.
L'instrument avait d'ailleurs été le discret servi-
teur de la seule mistress Helena.
Louis B.
MOTS DE LA FIN
Un propos d'ivrogne :
Le père Pochard est presque toujours gris à rouler
le matin à huit heures. Quelqu'un lui dit un jour :
— Voyons, père Pochard, je comprends qu'on boive
un coup le matin pour tuer le ver comme on dit;
mais se griser ainsi, c'est déplorable, il me semble
qu'un verre suffit.
— Ah ! vous en parlez bien à votre aise, riposta le
père Pochard; voyez-vous, quand j'ai bu un verre,
là, en me levant, ça me réconforte, je suis tout de
suite un autre homme... alors, il faut bien régaler
l'autre homme, soyez juste.
Après l'apparition des Misérables, M. Cuvillier-
Fleury publia une critique aussi sévère que solen-
nelle du livre de Victor Hugo.
Un des grands reproches que faisait au grand
poète l'académicien Cuvillier-Fleury, c'était surtout
d'avoir écrit, en toutes lettres, le substantif qu'a
immortalisé Cambronne.
Comme réponse, Victor Hugo lui adressa un
exemplaire avec la dédicace suivante : A mon collègue
Villier-Fleury:
On commence à ne plus s'occuper autant de l'af-
faire des compositions de l'Ecole polytechnique. Au
moment où avait lieu le procès intenté, à ce sujet,
par le P. Dulac, dans la salle des Pas-Perdus un avo-
cat soutenait une thèse originale :
— Pourquoi n'avoir pas déclaré à l'opinion publi-
que, disait cet avocat, que si les élèves avaient su
d'avance le sujet, cela tenait uniquement à ce que
la veille on leur avait fait boire de l'Eau de Lourdes
au dessert, et que cette eau donne des apparitions?
C'était encore une bonne excuse par le temps qui
court.
— On dit votre mariage décidé?
— Mon Dieu! oui, l'affaire est dans le sac.
— Je vous félicite : le sac est dans l'affaire.
— Vous revenez des fêtes de Bayreuth? Que pen-
sez-vous, en somme, de Richard Wagner?
— C'est un veinard qui me fait envie.
— Le fait est qu'être un "Wagner!...
— Oh! mon Dieu, vous savez... si j'étais seulement
un richard !...
Tout le monde.
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
27 Août 1876.
les tigres et fascine les serpents, s'avance, pâle sous
son bistre. Il tombe à genoux, et frappé d'une ins-
piration subite, saisit l'extrémité du tube qu'il porte
pieusement à ses lèvres et aspire à longs traits ce
liquide qui peut recélerla mort.
Tant d'héroïsme doit avoir sa récompense. Une li-
queur douce comme le miel vient lui rafraîchir la
bouche et lui procure une extase délicieuse 1
Comme tout a une fin en ce monde, la machine
cessa de fonctionner, et force fut au brahmane de
reconnaître que ce n'était pas la bouteille inépui-
sable. En vain lui prodigua-t-il les noms les plus
doux; en vain prononça-t-il les incantations les plus
terribles. Les versets de Mahabarata, furent, eux-
mêmes, aussi impuissants à faire couler l'hydromel,
que les prières et les menaces.
... Le pillage de la maison s'opéra méthodiquement,
et les rôdeurs s'en allèrent à l'aube chargés d'un bu-
tin précieux, sans oublier la « Fontaine dlvoire. »
Instruit d'un prodige aussi étonnant, Raokobar, qui
attendait impatiemment le retour de ses hommes,
convoqua, séance tenante, le ban et l'arrière-ban des
savants, que leur commune ignorance mit d'accord
pour la première fois. Us nièrent l'existence du pro-
dige, et conclurent unanimement, qu'il fallait dé-
truire, au plus vite, cet odieux produit des infâmes
Anglais.
Plus persévérant que ses sujets, le rajah chercha,
sans se rebuter, le mécanisme intelligent qui les
déroutait, et finalement, il découvrit qu'il n'y avait
aucun subterfuge. Mais il ne pouvait en soupçonner
l'usage, bien qu'il eût souvent vu sur les bords de la
Merbuddah, les Ibis se rendre à eux-mêmes, avec
leur long bec rempli d'eau, le service que M. Fleu-
rant veut rendre de force à Orgon.
Il en fit une théière automatique, et c'était mer-
veille de voir sa favorite, la belle Si ta, promener à la
ronde, entre ses doigts aux ongles colorés en rose
par le henné, le petit bouquin de nacre, et verser
l'odorante infusion dans des tasses de porcelaine
représentant les épisodes du règne glorieux de
Tippo-Sahib.
Raokobar, radieux comme un enfant qui possède
un joujou unique, et de plus magnifique comme un
satrape, fit consteller la « théière » de perles, de ru-
bis, d'émeraudes, de saphirs et de diamants. C'est
maintenant une merveille d'un prix inestimable.
Quand le jour des représentations officielles, le grand
maître des cérémonies accompagné de quatre guer-
riers, le cimeterre à la main, la retire du trésor par-
ticulier du roi, c'est un éblouissement, une fulgura-
tion. Il a été donné à un Européen de contempler
cette reine des théières.
Nous continuerons à lui donner ce nom. — Un
traité augmentait de quelque vingt mille roupies,
le tribut annuel du rajah révolté, et sir Arthur
Chasters fut l'heureux négociateur qui mena à
bien cette délicate entreprise.
Le jour de la signature, on prit le thé. Vous pou-
vez juger de la stupéfaction de l'honorable gentle-
man à la vue de l'étrange exhibition de ce récipient
inusité. Après avoir appris de son hôte comment
il le possédait, il ne jugea pas à propos de le dé-
tromper sur son emploi. Il en accepta héroïquement
une dose, qu'il huma du bout des lèvres, c'était une
nouvelle manière de fumer le calumet de paix. La
pensée ne lui vint même pas de refuser, le salut de
la négociation pouvait en dépendre.
L'instrument avait d'ailleurs été le discret servi-
teur de la seule mistress Helena.
Louis B.
MOTS DE LA FIN
Un propos d'ivrogne :
Le père Pochard est presque toujours gris à rouler
le matin à huit heures. Quelqu'un lui dit un jour :
— Voyons, père Pochard, je comprends qu'on boive
un coup le matin pour tuer le ver comme on dit;
mais se griser ainsi, c'est déplorable, il me semble
qu'un verre suffit.
— Ah ! vous en parlez bien à votre aise, riposta le
père Pochard; voyez-vous, quand j'ai bu un verre,
là, en me levant, ça me réconforte, je suis tout de
suite un autre homme... alors, il faut bien régaler
l'autre homme, soyez juste.
Après l'apparition des Misérables, M. Cuvillier-
Fleury publia une critique aussi sévère que solen-
nelle du livre de Victor Hugo.
Un des grands reproches que faisait au grand
poète l'académicien Cuvillier-Fleury, c'était surtout
d'avoir écrit, en toutes lettres, le substantif qu'a
immortalisé Cambronne.
Comme réponse, Victor Hugo lui adressa un
exemplaire avec la dédicace suivante : A mon collègue
Villier-Fleury:
On commence à ne plus s'occuper autant de l'af-
faire des compositions de l'Ecole polytechnique. Au
moment où avait lieu le procès intenté, à ce sujet,
par le P. Dulac, dans la salle des Pas-Perdus un avo-
cat soutenait une thèse originale :
— Pourquoi n'avoir pas déclaré à l'opinion publi-
que, disait cet avocat, que si les élèves avaient su
d'avance le sujet, cela tenait uniquement à ce que
la veille on leur avait fait boire de l'Eau de Lourdes
au dessert, et que cette eau donne des apparitions?
C'était encore une bonne excuse par le temps qui
court.
— On dit votre mariage décidé?
— Mon Dieu! oui, l'affaire est dans le sac.
— Je vous félicite : le sac est dans l'affaire.
— Vous revenez des fêtes de Bayreuth? Que pen-
sez-vous, en somme, de Richard Wagner?
— C'est un veinard qui me fait envie.
— Le fait est qu'être un "Wagner!...
— Oh! mon Dieu, vous savez... si j'étais seulement
un richard !...
Tout le monde.