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nous l’ignorerons nous-mêmes si nous n’avons pas le désir passionné
de la rechercher et si nous n’éprouvons aucun enthousiasme à la
dire. Celui qui laisse chanter en lui les voix divines, celui-là seul sait
respecter le mystère de l’œuvre où il a puisé le besoin de faire partager
aux autres hommes son émoi. Michelet n’a pas trahi les ouvriers
gothiques ou Michel-Ange, parce que la passion qui soulève le vais-
seau des cathédrales ou déchaîne son orage aux voûtes de la Sixtine
le dévorait. Baudelaire a pénétré jusqu’au foyer central d’où rayonne
en force et en lumière l’esprit des héros, parce qu’il est un grand
poète. Et si les idées de Taine ne sont pas mortes avec lui, c’est que
sa nature d’artiste dépasse sa volonté et que sa raideur dogmatique est
débordée sans cesse par le flot toujours renouvelé des sensations et
des images.
Il est venu à l’heure où nous apprenions que notre propre destinée
était liée aux actes de ceux qui nous précèdent sur la route et à la
structure même de la terre où nous sommes nés. Il avait le droit
de voir la forme de notre pensée sortir du moule de l’histoire. « L’art
résume la vie. » Il entre en nous avec la force de nos sols, avec la cou-
leur de nos ciels, à travers les préparations ataviques qui le déter-
minent, les passions et les volontés des hommes qu’il définit. Nous
employons à l’expression de nos idées les matériaux qu’atteint notre
regard et que nos mains peuvent toucher. Il est impossible que Phi-
dias et Rembrandt, le sculpteur qui vit dans la lumière du Midi, au
milieu d’un monde accusé, le peintre qui vit dans la brume du Nord,
au milieu d’un monde flottant, deux hommes que séparent vingt siècles
au cours desquels l’humanité a vécu, a souffert, a vieilli, se servent
des mêmes mots... Seulement il est nécessaire que nous nous recon-
naissions dans Rembrandt comme dans Phidias.
C’est notre langage, et seulement notre langage qui prend et
garde l’apparence de ce qui frappe immédiatement nos sens autour
de nous. Nous ne demanderions à l’art que de nous enseigner l’his-
toire s’il n’était qu’un reflet des sociétés qui passent avec l’ombre des
nuages sur le sol. Mais il nous raconte l’homme, et l’univers à travers
lui. Il dépasse l’instant, il élargit le lieu de toute la durée, de toute
la compréhension de l’homme, de toute la durée et l’étendue
de l’univers. Il fixe l’éternité mouvante dans sa forme momen-
tanée.
En nous racontant l’homme, c’est nous qu’il nous apprend.

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