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c’est la foule à qui nous appartenons tous, qui nous définit tous avec
notre consentement ou malgré notre révolte. Il n’a pas le pouvoir de
ramasser les pierres de la maison qu’il nous bâtit au risque de s’écraser
la poitrine et de se déchirer les mains, sur une autre route que celle
que nous suivons à ses côtés. Il faut qu’il souffre de ce qui fait notre
souffrance, que nous le fassions souffrir. Il faut qu’il ressente nos joies,
qu’il tienne de nous ses joies. Il est nécessaire qu’il vive nos deuils
et nos victoires intérieures, même quand nous ne les sentons
pas.
L’artiste ne peut sentir et dominer son milieu qu’à la condition
de le prendre comme moyen de création. Alors seulement il nous livre
ces réalités permanentes que tous les faits et toutes les minutes révèlent
à ceux qui savent les voir et les vivre. Elles survivent aux sociétés
humaines comme la masse de la mer aux agitations de sa surface.
L’art est toujours « un système de relations », et un système synthé-
thique, même l’art primitif qui avoue, dans l’accumulation infati-
gable du détail, la poursuite passionnée d’un sentiment essentiel.
Toute image, au fond, est un résumé symbolique de l’idée que se fait
l’artiste du monde illimité des sensations et des formes, une expres-
sion de son désir d’y faire régner l’ordre qu’il sait y découvrir. L’art
a été, dès ses plus humbles origines, la réalisation des pressentiments
de quelques-uns répondant aux besoins de tous. Il a forcé le monde
à lui livrer les lois qui nous ont permis d’établir progressivement sur
le monde la royauté de notre esprit. Émané de l’humanité, il a révélé
à l’humanité sa propre intelligence. Il a défini les races, il porte seul
le témoignage de leur dramatique effort. Si nous voulons savoir ce
que nous sommes, il faut que nous comprenions ce qu’il est.
Il est l’initiateur de quelques réalités profondes dont la possession
définitive, si elle ne devait tuer le mouvement et par lui l’espérance,
permettrait à l’humanité d’introduire en elle et autour d’elle la suprême
harmonie qui est le but fuyant de son effort. Il est quelque chose d’in-
finiment plus grand à coup sûr que ne se le représentent ceux qui ne
le comprennent pas, de plus pratique peut-être que ne se le repré-
sentent beaucoup de ceux qui sentent la force de son action. Né de
l’association de nos sensibilités et de nos expériences pour la conquête
de nous-mêmes, il n’a rien en tout cas de cette distraction désinté-
ressée où Kant, Spencer, Guyau lui-même ont voulu limiter son rôle.
Toutes les images du monde sont pour nous des instruments utiles,

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