santé des végétations tropicales. En regardant à ses pieds il reverra
les nymphéas, les lotus, lourdes plantes, la flore du fleuve fécond où
grouillent des poules d’eau, des canards, des poissons, des crocodiles,
il apercevra les lézards, les vipères, les uraeus qui se chauffent sur le
sable ardent où les élytres mordorés des scarabées sèment des mor-
ceaux de métal. Et quand il lèvera les yeux, ce sera pour deviner au-
dessous des constellations familières qui sèment le plafond bleu, les
oiseaux des solitudes, le grêle ibis, le vautour, l’épervier symbolique
suspendus sur leurs ailes rigides entre le ciel et le désert. Partout, sur
la hauteur des murs, des colonnes, des obélisques, partout fleurira
pour sa joie sensuelle, en bas-reliefs peints, en inscriptions hiéro-
glyphiques, l’écriture vivante dont les émeraudes opaques et les
sombres turquoises, les rouges brûlés, les soufres et les ors lui
rediront la science, la littérature, l’histoire qu’ont si longuement
édifiées ses ancêtres avec leur sang, leurs ossements, leur amour,
leur mémoire, les formes redoutables ou charmantes qui les accom-
pagnaient.
Retranché derrière ce langage formel, le prêtre peut environner
son action d’un mystère qui lui profite. Il sait beaucoup. Il connaît
le mouvement du ciel. Il oriente en observatoire son temple protégé
de paratonnerres. Il possède les grands principes de la géométrie et
de la triangulation. Seulement sa science est secrète. Tout ce que le
peuple en sait se manifeste à lui par quelques tours de spiritisme et
de magie qui lui masquent le sens parfois puéril et souvent profond
de la philosophie occulte que les hiéroglyphes et les figures symboliques
veulent éterniser sur le visage du désert.
Le Pharaon, forme humaine d’Osiris, est l’instrument de la caste
théocratique qui l’accable de puissance afin de le domestiquer. Au-
dessous d’elle et de lui, avec quelques intermédiaires, officiers, chefs
de villes ou de villages, gouverneurs armés du bâton, la multitude.
Pour quelques heures de repos dans la nuit brûlante, sur le sol de boue
durcie, pour le pain et l’eau, rien que la vie d’esclave laboureur ou
moissonneur, maçon ou tailleur de pierre, le travail commandé, les
coups. Cent générations usées à bâtir des montagnes, hommes rompus
de corvées au-dessus des forces de l’homme, femmes déformées avant
l’âge pour avoir été trop misérables et avoir porté trop d’enfants,
enfants déviés et déjetés avant de naître sous le poids invisible des
servitudes séculaires. Un affreux cauchemar. A peine, tout au fond,
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les nymphéas, les lotus, lourdes plantes, la flore du fleuve fécond où
grouillent des poules d’eau, des canards, des poissons, des crocodiles,
il apercevra les lézards, les vipères, les uraeus qui se chauffent sur le
sable ardent où les élytres mordorés des scarabées sèment des mor-
ceaux de métal. Et quand il lèvera les yeux, ce sera pour deviner au-
dessous des constellations familières qui sèment le plafond bleu, les
oiseaux des solitudes, le grêle ibis, le vautour, l’épervier symbolique
suspendus sur leurs ailes rigides entre le ciel et le désert. Partout, sur
la hauteur des murs, des colonnes, des obélisques, partout fleurira
pour sa joie sensuelle, en bas-reliefs peints, en inscriptions hiéro-
glyphiques, l’écriture vivante dont les émeraudes opaques et les
sombres turquoises, les rouges brûlés, les soufres et les ors lui
rediront la science, la littérature, l’histoire qu’ont si longuement
édifiées ses ancêtres avec leur sang, leurs ossements, leur amour,
leur mémoire, les formes redoutables ou charmantes qui les accom-
pagnaient.
Retranché derrière ce langage formel, le prêtre peut environner
son action d’un mystère qui lui profite. Il sait beaucoup. Il connaît
le mouvement du ciel. Il oriente en observatoire son temple protégé
de paratonnerres. Il possède les grands principes de la géométrie et
de la triangulation. Seulement sa science est secrète. Tout ce que le
peuple en sait se manifeste à lui par quelques tours de spiritisme et
de magie qui lui masquent le sens parfois puéril et souvent profond
de la philosophie occulte que les hiéroglyphes et les figures symboliques
veulent éterniser sur le visage du désert.
Le Pharaon, forme humaine d’Osiris, est l’instrument de la caste
théocratique qui l’accable de puissance afin de le domestiquer. Au-
dessous d’elle et de lui, avec quelques intermédiaires, officiers, chefs
de villes ou de villages, gouverneurs armés du bâton, la multitude.
Pour quelques heures de repos dans la nuit brûlante, sur le sol de boue
durcie, pour le pain et l’eau, rien que la vie d’esclave laboureur ou
moissonneur, maçon ou tailleur de pierre, le travail commandé, les
coups. Cent générations usées à bâtir des montagnes, hommes rompus
de corvées au-dessus des forces de l’homme, femmes déformées avant
l’âge pour avoir été trop misérables et avoir porté trop d’enfants,
enfants déviés et déjetés avant de naître sous le poids invisible des
servitudes séculaires. Un affreux cauchemar. A peine, tout au fond,
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