timents, énergies civilisatrices. L’Égypte à son déclin a caressé le corps
de la femme avec cette sorte de passion chaste que la Grèce seule
a connue après elle, mais qu’elle n’a peut-être pas si religieusement
exprimée. Les formes féminines, engainées d’une étoffe étroite, ont
ce lyrisme pur des jeunes plantes qui montent pour boire le jour.
Le passage silencieux des frêles bras ronds aux épaules, à la poitrine
mûrissante, aux reins, au ventre, aux longues jambes fuselées, aux
étroits pieds nus, a la fraîcheur et la fermeté frissonnante des fleurs
qui ne sont pas encore ouvertes. La caresse du ciseau passe et fuit
sur les formes comme des lèvres effleurant une corolle close où elles
n’oseraient pas s’appuyer. L’homme attendri se donne à celle qu’il
n’avait su que prendre jusqu’alors.
Dans ces dernières confidences de l’Égypte, jeunes femmes,
hommes assis comme les bornes des chemins, tout est caresse con-
tenue, désir voilé de pénétrer la vie universelle avant de s’abandonner
sans résistance à son cours. Comme un musicien entend des har-
monies, le sculpteur voit le fluide de lumière et d’ombre qui fait le
monde continu en passant d’une forme à une autre. Discrètement, il
relie les saillies à peine indiquées par les longs plans rythmés d’un
mince vêtement qui n’a pas un seul pli. Le modelé effleure ainsi qu’une
eau les matières les plus compactes. Son flot roule entre les lignes
absolues d’une géométrie mouvante, il a des ondulations balancées
qu’on dirait éternelles comme le mouvement des mers. L’espace con-
tinue le bloc de basalte ou de bronze en recueillant à sa surface l’illu-
mination confuse qui sourd de ses profondeurs. L’esprit de l’Égypte
agonisante essaie de recueillir pour la transmettre aux hommes qui
viendront, l’énergie générale éparse dans l’univers.
Et c’est tout. Les parois de pierre qui contenaient l’âme égyptienne
sont brisées par l’invasion qui recommence et la trouve à bout de
force. Toute sa vie intérieure fuit par la blessure ouverte. Cambyse
peut renverser ses colosses, l’Égypte ne sait pas trouver une protes-
tation virile, elle n’a que des révoltes de surface qui accentuent sa
déchéance. Quand le Macédonien viendra, elle le mettra volontiers
au rang de ses dieux, et l’oracle d’Ammon ne fera pas de difficultés
pour lui promettre la victoire. Dans la brillante époque alexandrine,
son effort personnel sera presque nul. Ce sont les sages grecs, les
apôtres de Judée, qui viendront boire à sa source à peu près tarie
mais encore toute pleine de mirages profonds, pour tenter de forger
T. I.
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de la femme avec cette sorte de passion chaste que la Grèce seule
a connue après elle, mais qu’elle n’a peut-être pas si religieusement
exprimée. Les formes féminines, engainées d’une étoffe étroite, ont
ce lyrisme pur des jeunes plantes qui montent pour boire le jour.
Le passage silencieux des frêles bras ronds aux épaules, à la poitrine
mûrissante, aux reins, au ventre, aux longues jambes fuselées, aux
étroits pieds nus, a la fraîcheur et la fermeté frissonnante des fleurs
qui ne sont pas encore ouvertes. La caresse du ciseau passe et fuit
sur les formes comme des lèvres effleurant une corolle close où elles
n’oseraient pas s’appuyer. L’homme attendri se donne à celle qu’il
n’avait su que prendre jusqu’alors.
Dans ces dernières confidences de l’Égypte, jeunes femmes,
hommes assis comme les bornes des chemins, tout est caresse con-
tenue, désir voilé de pénétrer la vie universelle avant de s’abandonner
sans résistance à son cours. Comme un musicien entend des har-
monies, le sculpteur voit le fluide de lumière et d’ombre qui fait le
monde continu en passant d’une forme à une autre. Discrètement, il
relie les saillies à peine indiquées par les longs plans rythmés d’un
mince vêtement qui n’a pas un seul pli. Le modelé effleure ainsi qu’une
eau les matières les plus compactes. Son flot roule entre les lignes
absolues d’une géométrie mouvante, il a des ondulations balancées
qu’on dirait éternelles comme le mouvement des mers. L’espace con-
tinue le bloc de basalte ou de bronze en recueillant à sa surface l’illu-
mination confuse qui sourd de ses profondeurs. L’esprit de l’Égypte
agonisante essaie de recueillir pour la transmettre aux hommes qui
viendront, l’énergie générale éparse dans l’univers.
Et c’est tout. Les parois de pierre qui contenaient l’âme égyptienne
sont brisées par l’invasion qui recommence et la trouve à bout de
force. Toute sa vie intérieure fuit par la blessure ouverte. Cambyse
peut renverser ses colosses, l’Égypte ne sait pas trouver une protes-
tation virile, elle n’a que des révoltes de surface qui accentuent sa
déchéance. Quand le Macédonien viendra, elle le mettra volontiers
au rang de ses dieux, et l’oracle d’Ammon ne fera pas de difficultés
pour lui promettre la victoire. Dans la brillante époque alexandrine,
son effort personnel sera presque nul. Ce sont les sages grecs, les
apôtres de Judée, qui viendront boire à sa source à peu près tarie
mais encore toute pleine de mirages profonds, pour tenter de forger
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