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et la raison Vemportent, au Ve siècle, pour le bien des multitudes, peut-
être, et P exploration de la route unique où la politique et la science mo-
dernes ont fini par s’engager. Mais c’est au détriment de cette ivresse
grandiose qui donne à la plus humble forme sortie des mains du statuaire
d’Égypte, de Chine ou d’Hindoustan, le privilège de paraître appartenir
toujours à un ensemble invisible qui nous dépasse et nous entoure et dont
les ondes subtiles la pénètrent incessamment. Il est impossible de réunir
dans un équilibre plus stable que celui dont l’art de Phidias nous offre le
spectacle, tous les éléments de sensualité et de volonté, de sensibilité et
d’intelligence qui donnent à notre univers familier ce caractère d’humanité
que nous répudions souvent quand nous ne sommes pas en sa présence mais
qui nous touche toujours si vivement dès que nous nous y retrouvons. Il
est impossible, par contre, d’interdire plus complètement à notre imagina-
tion suprasensible, en lui présentant l’image d’une telle perfection, de
pénétrer plus loin dans l’empire intérieur de l’âme et par suite de lui per-
mettre d’en tirer une forme — moins vraie par le détail, plus rayonnante
par l’ensemble — qui en symbolise et en résume la plus secrète aspiration.
Cet art splendide, le plus sage, le plus rationnel de tous, nous appa-
rait, pour cette raison même, en quelque sorte comme monstrueux. Et le
seul qui soit monstrueux. Nous pouvons transporter l’art hindou, ou chi-
nois, ou même égyptien, si vivants par leur esprit, dans un monde imagi-
naire où ils seraient viables pleinement de par leur rigueur structurale.
Nous pouvons transporter l’art hollandais, ou espagnol, dans notre monde
même et regarder vivre parmi nous leurs réalisations qui se sont bornées
à poursuivre l’extrême caractère ou l’extrême vraisemblance, si f en excepte
là Rembrandt, ici Greco et Goya. La forme grecque, qui est idéalement
parfaite, est impossible en dehors d’elle-même et ne peut pas se situer.
Elle s’exile involontairement. Animée et placée au milieu des hommes,
elle n’y paraîtrait ni familière ni étrangère : nous y verrions, certes, un
aspect possible ou désirable de nous-mêmes, mais nos tares, nos insujfi-
sances, nos à peu près et nos demi-mesures ne s’y reconnaîtraient pas. Dans
un monde idéal, elle semblerait immobile, cristallisée, trop limitée et pas
assez résolument étrange pour nous faire entrevoir nos abîmes intérieurs.
Elle fait de son mieux, au contraire, pour nous les dérober. Mais l’homme
de toujours est plus complexe qu’elle, sinon plus ambitieux. Il veut tenir
sans cesse prêtes toutes ses possibilités. Phidias me paraît être quelque
chose comme le saint Paul de l’ordre esthétique. Comme il répugne aussi
bien à accepter l’homme tel qu’il est qu’à le transposer dans un univers

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