fruit des douleurs, des désirs, des espérances populaires qui ne réali-
seront leurs promesses que plus tard, très lentement, dans les besoins
nouveaux des foules, et c’est notre émotion qui nous dira si les vieux
pressentiments des hommes ne les avaient pas trompés.
Si les rudes idoles, les bijoux, les vases, les morceaux de bas-reliefs,
les peintures effacées que nous avons trouvés à Cnossos en Crète, à
Tirynthe et à Mycènes en Argolide nous troublent à ce point, c’est
précisément parce que ceux qui les ont laissés sont restés plus mysté-
rieux pour nous et qu’il est réconfortant de constater, à propos de ces
êtres inconnus, que, sous la variation des apparences et le renouvelle-
ment des symboles, l’émotion et l’intelligence ne changent jamais de
qualité. A travers l’action continue, même obscure et sans histoire, des
générations qui nous ont formés, l’âme des vieux peuples vit dans le
nôtre. Mais ils ne nous paraissent participer à notre propre aventure
que si leur esprit silencieux anime encore les visages de pierre où nous
reconnaissons nos désirs toujours jeunes ou si nous entendons retentir
le bruit de leur passage sur la terre dans l’écroulement des temples
qu’ils ont élevés. L’Égypte, la Chaldée elle-même, par l’Assyrie et la
Perse qui la prolongent jusqu’à nous, projettent leur ombre sous nos
pas. Elles ne nous sembleront jamais très lointaines. La Grèce primi-
tive, au contraire, qui n’entre dans le monde que plusieurs siècles
après elles, recule beaucoup plus dans l’imagination, jusqu’au matin
de l’histoire. Il y a vingt ans, nous ne savions pas si les empreintes
presque effacées qu’on relève çà et là sur les rivages et dans les îles
de la mer Égée, appartenaient à des hommes ou à des ombres fabu-
leuses. Il a fallu creuser le sol, déterrer des pierres, renoncer pour
un temps à ne retrouver en elles que nous-mêmes, pour entrevoir
l’humanité fantôme qui peuplait, avant l’histoire, la Méditerranée
d’Orient. Schliemann, qui croyait Homère sur parole, a retourné la
plaine d’Argos de Tirynthe à Mycènes. M. Evans est entré, en
Crète, dans le labyrinthe de Minos où Thésée tua le Minotaure. Le
mythe et l’histoire s’enchevêtrent. Tantôt le symbole résume cent
événements de même ordre, tantôt l’événement réel, représentatif de
toute une série de coutumes, d’idées, d’aventures, revêt pour nous les
apparences d’une fiction symbolique (i).
Est-ce le corps d’Agamemnon que Schliemann a trouvé, enterré
(i) Victor Bérard. Les Phéniciens et l’Odyssée.
— 8o —
seront leurs promesses que plus tard, très lentement, dans les besoins
nouveaux des foules, et c’est notre émotion qui nous dira si les vieux
pressentiments des hommes ne les avaient pas trompés.
Si les rudes idoles, les bijoux, les vases, les morceaux de bas-reliefs,
les peintures effacées que nous avons trouvés à Cnossos en Crète, à
Tirynthe et à Mycènes en Argolide nous troublent à ce point, c’est
précisément parce que ceux qui les ont laissés sont restés plus mysté-
rieux pour nous et qu’il est réconfortant de constater, à propos de ces
êtres inconnus, que, sous la variation des apparences et le renouvelle-
ment des symboles, l’émotion et l’intelligence ne changent jamais de
qualité. A travers l’action continue, même obscure et sans histoire, des
générations qui nous ont formés, l’âme des vieux peuples vit dans le
nôtre. Mais ils ne nous paraissent participer à notre propre aventure
que si leur esprit silencieux anime encore les visages de pierre où nous
reconnaissons nos désirs toujours jeunes ou si nous entendons retentir
le bruit de leur passage sur la terre dans l’écroulement des temples
qu’ils ont élevés. L’Égypte, la Chaldée elle-même, par l’Assyrie et la
Perse qui la prolongent jusqu’à nous, projettent leur ombre sous nos
pas. Elles ne nous sembleront jamais très lointaines. La Grèce primi-
tive, au contraire, qui n’entre dans le monde que plusieurs siècles
après elles, recule beaucoup plus dans l’imagination, jusqu’au matin
de l’histoire. Il y a vingt ans, nous ne savions pas si les empreintes
presque effacées qu’on relève çà et là sur les rivages et dans les îles
de la mer Égée, appartenaient à des hommes ou à des ombres fabu-
leuses. Il a fallu creuser le sol, déterrer des pierres, renoncer pour
un temps à ne retrouver en elles que nous-mêmes, pour entrevoir
l’humanité fantôme qui peuplait, avant l’histoire, la Méditerranée
d’Orient. Schliemann, qui croyait Homère sur parole, a retourné la
plaine d’Argos de Tirynthe à Mycènes. M. Evans est entré, en
Crète, dans le labyrinthe de Minos où Thésée tua le Minotaure. Le
mythe et l’histoire s’enchevêtrent. Tantôt le symbole résume cent
événements de même ordre, tantôt l’événement réel, représentatif de
toute une série de coutumes, d’idées, d’aventures, revêt pour nous les
apparences d’une fiction symbolique (i).
Est-ce le corps d’Agamemnon que Schliemann a trouvé, enterré
(i) Victor Bérard. Les Phéniciens et l’Odyssée.
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