est riche, Giorgione règne sur son atelier, et quand il devient pauvre,
il y a toujours quelque chose de la flamme italienne au centre du rayon
qui suit sa descente dans les ténèbres de l'esprit. C'est l'Italie qui orga-
nise le tumulte de Rubens, qui révèle à Velasquez l'espace, à Poussin
l'architecture de la terre, à Claude Lorrain l'architecture des cieux.
Dès qu'on la touche, on se sent envahi par l'ivresse de comprendre.
L'intelligence et l'instinct s'y confondent, le savant y consent à ce
que l'artiste s'empare de la mécanique et de la géométrie, l'artiste
accepte de broyer la couleur et de pétrir le mortier. La volupté la
plus atroce y touche à la sainteté, la chasteté brûle comme une orgie.
L'amour, ici, est funèbre comme la mort, la mort a l'attirance et le
mystère de l'amour. L'ambition de dominer y attise la soif de conquérir
et de connaître, et la connaissance et la conquête ne sont jamais
assez définitives pour que celui qui veut conquérir et connaître se
trouve digne de commander. L'orgueil s'y fortifie au point de s'humi-
lier toujours devant ce qui lui reste à apprendre pour s'affirmer publi-
quement. Nulle part le crime et le génie ne sont aussi près l'un de
l'autre. Caïn et Prométhée se devinent sous tous les fronts levés, au
fond de tous les yeux ouverts, dans toutes les mains qui se crispent au
manche du poignard ou de l'outil. Le sol y tremble, et pourtant on
sent quelque chose d'éternel dans le profil des monts et la courbe des
rivages. Partout le monde y tient l'esprit incorporé à sa forme et veut
que la passion des cœurs l'en arrache insatiablement. Italie! quelque
chose fait mal dans l'amour que nous avons pour toi, nous avons peur
de ne jamais savoir entièrement ce que tu veux nous apprendre.
La force virtuelle qui est là doit s'imposer malgré tout. Byzance
elle-même apporte moins qu'on l'a dit. Sauf à Ravenne, colonie de
l'empire grec, sauf à Venise, où vit l'Orient, sauf en Sicile, pays grec
où les éléments byzantins se mêlent aux éléments arabes et normands
pour constituer au Moyen Age un style voluptueux, cruel, paradoxal,
barbare, impossible à définir, difficile à reconnaître, Byzance ne fournit
pas à l'Italie une seule idée dont la transplantation puisse devenir
l'origine d'un nouvel ordre architectural. L'Italie n'accepte la coupole
que parce qu'elle recouvre déjà le Panthéon. Quand Nicolas de Pise,
en plein xiiie siècle, alors que les imagiers français, maîtres de la
sculpture occidentale, sont appelés partout, étudie les sarcophages
romains pour apprendre à travailler le marbre, et taille comme à la
hache des figures pressées en foule, ardentes à vivre, rudes, tendues
dans un brutal effort, il dresse vis-à-vis des artistes du Nord la reven-
dication tranchante du génie latin primitif. L'Italie n'oublie pas, parce
qu'elle reste l'Italie.
On accorde trop souvent à une volonté de tradition transmise par les
— 170 — -
il y a toujours quelque chose de la flamme italienne au centre du rayon
qui suit sa descente dans les ténèbres de l'esprit. C'est l'Italie qui orga-
nise le tumulte de Rubens, qui révèle à Velasquez l'espace, à Poussin
l'architecture de la terre, à Claude Lorrain l'architecture des cieux.
Dès qu'on la touche, on se sent envahi par l'ivresse de comprendre.
L'intelligence et l'instinct s'y confondent, le savant y consent à ce
que l'artiste s'empare de la mécanique et de la géométrie, l'artiste
accepte de broyer la couleur et de pétrir le mortier. La volupté la
plus atroce y touche à la sainteté, la chasteté brûle comme une orgie.
L'amour, ici, est funèbre comme la mort, la mort a l'attirance et le
mystère de l'amour. L'ambition de dominer y attise la soif de conquérir
et de connaître, et la connaissance et la conquête ne sont jamais
assez définitives pour que celui qui veut conquérir et connaître se
trouve digne de commander. L'orgueil s'y fortifie au point de s'humi-
lier toujours devant ce qui lui reste à apprendre pour s'affirmer publi-
quement. Nulle part le crime et le génie ne sont aussi près l'un de
l'autre. Caïn et Prométhée se devinent sous tous les fronts levés, au
fond de tous les yeux ouverts, dans toutes les mains qui se crispent au
manche du poignard ou de l'outil. Le sol y tremble, et pourtant on
sent quelque chose d'éternel dans le profil des monts et la courbe des
rivages. Partout le monde y tient l'esprit incorporé à sa forme et veut
que la passion des cœurs l'en arrache insatiablement. Italie! quelque
chose fait mal dans l'amour que nous avons pour toi, nous avons peur
de ne jamais savoir entièrement ce que tu veux nous apprendre.
La force virtuelle qui est là doit s'imposer malgré tout. Byzance
elle-même apporte moins qu'on l'a dit. Sauf à Ravenne, colonie de
l'empire grec, sauf à Venise, où vit l'Orient, sauf en Sicile, pays grec
où les éléments byzantins se mêlent aux éléments arabes et normands
pour constituer au Moyen Age un style voluptueux, cruel, paradoxal,
barbare, impossible à définir, difficile à reconnaître, Byzance ne fournit
pas à l'Italie une seule idée dont la transplantation puisse devenir
l'origine d'un nouvel ordre architectural. L'Italie n'accepte la coupole
que parce qu'elle recouvre déjà le Panthéon. Quand Nicolas de Pise,
en plein xiiie siècle, alors que les imagiers français, maîtres de la
sculpture occidentale, sont appelés partout, étudie les sarcophages
romains pour apprendre à travailler le marbre, et taille comme à la
hache des figures pressées en foule, ardentes à vivre, rudes, tendues
dans un brutal effort, il dresse vis-à-vis des artistes du Nord la reven-
dication tranchante du génie latin primitif. L'Italie n'oublie pas, parce
qu'elle reste l'Italie.
On accorde trop souvent à une volonté de tradition transmise par les
— 170 — -