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Gazette des Ardennes: journal des pays occupés — Januar 1916 - Dezember 1916

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https://doi.org/10.11588/diglit.2794#0029
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2* Année. — N" 134.

PRIX : 5 CENTIMES

Charleville, le 19 Janvier 1916.

Gazette des Ardennes

JOURNAL DES PAYS OCCUPÉS PARAISSANT TROIS FOIS PAR SEMAINE
On «'abonna dans tous les bureaux de poste

CONSTANTINOPLE

Comme noue l'avons déjà annoncé, les troupe*
anglaises et françaises, après un violent combat, le
g-janvier, ont dû évacuer Scdul-Bahr, le dernier point
nu'eiles occupaient dans la presqu'île de Gallipoli.
Ainsi se Vrmine, peu ■glorieusement, un*rles grands
épisodes de cette guerre, l'aventure des Dardanelles,
l'expédition de l'Entente contre Constantinople.

Quel en était le but ? Avant tout, d'abattre la Tur-
nuie, l'Alliée de l'Allemagne et de l'Autriche ; on vou-
lait La décapiter, en tranchant la Turquie d'Europe de
celle d'Asie. Alors, en même temps, tout l'empire
oriental et musulman de l'Angleterre était sauvegardé^
Car cela eût été un signe éclatant de sa puissance. Puis
ou autre but, tout aussi important, c'était de se frayer,
a travers les détroits, un chemin vers La Russie. Par
une route directe Marseille—Odessa, on aurait pu lui
fournir du matériel de guerre et les munitions, qui lui
manquent. Finalement, la prise de Constantinople
aurait été aussi la clef de voûte dans le système de
blocus contre l'Allemagne.

Tous ces projets ont échoué. Et ce fut le contraire :
tandis que l'£nfccnte définitivement abandonne la par-
tie fAllemagne, a travers la Serbie vaincue, à travers
La Bulgarie amie, arrive à Constantinople. Le i5 jan-
vier, c'est-à-dire huit jours après la défaite anglaise de
Sedul-Bahx, le chemin de fer Berlin—Constantinople
a fait son premier trajet.

Ainsi la Quadruple-Entente est coupée en deux :
d'un coté La Russie, preeque sans communications avec
l'autre côté, France, Angleterre, Italie. La Quadruple-
Alliance, *par contre, ne forme plus qu'un bloc. Et
à son avantage d'occuper le centre, elle ajoute dès
maintenant une cohésion parfaite, une unité d'action-
formidable, toujours en jeu à l'endroit et au moment
propice^.

C'est une grande défaite. Donc, disent les journa-
listes de l'Entente, il ne nous reste qurHine chose à faire:
changeons-la en victoire l^it vite, on voile, on atténue, on
rapetisscron se donne un air gai, on-admire la prouesse -
dans une fuite et l'ordre dans le désordre. Et du reste

'.-— ajoutent-ils — cette entreprise, ce ftffeoit qu'un
tiers d'eeuvre.

Un hors d'eeuvre un peu cher, Messieurs, et qui a
coûté 100,000 hommes à l'Angleterre, selon les chiffres
officiels. Un hors d'oeuvre ? Mais relises le discours de
Churrhill du i5 juin igi5 :

«Si nous peinons à nos grondes pertes, n'oublions^
pas le but magnifique qui miroite a nos yeux. L'armée
de Sir Hamilton, la flotte de notre amiral Sir liobbcck
ne sont plus séparées' que par quelques lieues d'une

* victoire sans pareille. Une de ccb victoires qui décident
du sort des peuples, et qui nous rapprochera de la fin de
cette guerre I »

Bravo, Churchill, alors ministre, aujourd'hui
■impie major I" Mais Byzance—Constantinople vous
échappe malgré votre grandiloquence, et vous avez pu
rembarquer les employés civile et les administrateurs,
qui, à la suite de l'armée, attendaient la prise de la ville
magnifique, dont les alliés s'étaient déjà partagé le*
qaarLiers.

Hier, les Turcs ont ramassé le butin : des canons,
des milliers de fusils, des tentes, des approvisionne-
ments, des débris. Parmi ceux-ci, il se trouve quelque
choie, dont la perte est plus grave pour l'Angleterre
que Celle de la bataille : Sedul-Bahr est le tombeau de
son prestige. ., -

Or, en Orient, l'Angleterre ne règne, pas par la force
des armées, qu'elle n'a pas et qu'elle lâche maintenant,
trop tard, d'improviser, mais précisément par son pres-
tige. Car là-bas, c'est le pays des mirages, et cette petite
île, -vue de si loin, paraissait monstrueuse et d'une
puissance invincible. Mais aujourd'hui, la nouvelle de
sa difaite court : elle saute d'un minaret à l'autre, elle

traverse d'un bond le canal de Suez, elle grimpe sur un
sphinx, et chevauchant ainsi, un fanal À La main, elle
fait le tour de l'Egypte. Puis elle te fait petite, pour
susurrer d'oreille en oreille dans les bazara de la Perse,
Puis, tout d'un coup, elle arrive à la frontière des Indes3
Alors, elle grandit, se bombe comme un nuage, grossit
en tempête. Et les villes saintes, Bénarès, Calcutta,
Bombay, une nuit, flamboient, éclatent de rire devant
cette poignée d'Anglais, qui "veulent dominer, et Les
balayent.

BULLETINS OFFICIELS ALLEMANDS

Grand Quartier général, le 15 janvisr 1916,

Théâtre de la guerre à l'Ouest. a
Sur le front aucun événement essentiel.
Un avion ennemi, abattu par le lieutenant Boelke
au nord-est d'Albert, tomba dans les lignes anglaises et

fut incendié par notre artillerie.

Théâtre de la guerre à l'Est*
Grpupe d'armée du général von Linsingen

Une attaque russe, dans la contrée de Czernysz (au
sud du tournant du Styr) échoua devant Le front de
troupes austro-hongroises.

The'dfre de la guerre aux Balkans*
Bien de nouveau.

Grand Quartier général, le 18 janvier 1910.

Théâtre de la guerre à l'Ouest.

Un moniteur ennemi bombarda inefficacement la
contrée de Westendc.

Les Anglais bombardèrent l'intérieur de La ville de
Lille. Jusqu'à présent il n'a été constaté que peu de
dommage, occasionné par un incendie.

Sur le front partiellement tir actif et activité de
mines^

Théâtre de la guerre à l'Est et théâtre de la guerre
aux Balkans.

La situation est en général sans changement.
Grand Quartier général, le 17 janvier 1910.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
Aucun événement essentiel.

Dans la ville de Lcns, 16 habitants furent tués ou
blessés par le feu de l'artillerie ennemie.

Théâtre de V guerre à l'Est.

Des tempêtes de'neige empêchèrent l'activité de

combat sur la plus grande partie du front. Il n'y eut
que des combats de patrouilles en quelques endroits.

Théâtre de la guerre aux Balkans.

Rien de nouveau.

BULLETINS OFFICIELS FRANÇAIS

'« Paru, 10 janvier 1*14, soir.

Activité générale de l'artillerie sur le front
Sur les Hauts-de-Meuse, bombardement violent des posi-
tions ennemies au bois des Chevaliers. Notre tir a ouvert de
larges brèches dans les tranchées allemandes et provoqué
des éboulements.

En Champagne, le combat a continué au cours de la
journée.. Une série de contre-attaques nous a permis de
réoccuper successivement la presque totalité des éléments
perdus.

Il se confirme que l'attaque allemande a été, tant par

l'importance des effectifs engagés que par les moyens mis
en œuvre, une action à large envergure, destinée à produire
d'importants résultats et quf a abouti a un échec très net.
Nous savoos de source certaine qu'une brigade tout entière
a été lancée sur un seul point du large front attaqué. '

Paria, II janvier 1916, 3 heures.

Entre Somme et Oise, notre artillerie s'est montrée active.

Un détachement ennemi a tenté d'enlever un de nos
postes dans le secteur d'Harmancourt (région de Royc). 11 a
été repoussé par notre feu.

A l'ouest de Soissons, nos canons de tranchée ont détruit
un dépôt de fusées aux environs d'Aulrcchea.

De nouveaux renseignements venus de Champagne con-
firment que nos tirs d'artillerie, la défense des tranchées et
les contre-attaques ont fait pleinement avorter une attaque
ennemie' importante a laquelle ont pris part au moins trois
divisions allemandes.

Nos qoiitre-altaquca et les combats à la grenade de cette
nuit ont, chassé l'ennemi des postes d'écoute qu'il occupait,
sauf d'un petit rectangle & l'ouest de Maisons de Champagne
où de3 fractions se maintiennent difficilement.

Notre; tir, et particulièrement celui de notre artillerie, a
infligé aux Allemands de très lourdes pertes.

Dans, la journée d'hier, trois avions-canons ont livré au-
dessus des lignes allemandes, près de Dixmude, une série
de combats à des avions de chasse ennemis du type Fokker.

Un de nos avions, attaqué par un Fokker, a dû atterrir,
mais un avion ennemi, assailli à, son tour~par un des nôtres
qui a tiré sur lui à 25 mètres de distance des obus à mi-
traille, a été abattu.

- Le troisième appareil français a également attaqué un
autre Fokker, qui est tombé dans la foret d'Houthulst, sud-
est de Dixmude.

Paria, 11 janvier lBlfi, soir.

Entre l'Avre et l'Oise, dans la nuit du 10 au 11, une forte
reconnaissance ennemie qui tentait de s'approcher de nos
lignes dans la région de Ribécourt a été décimée par notre
feu. Elle a laissé sur le terrain une dizaine de morts et des
blessés. 'VT? - -

Au cours de la journée, nos batteries ont causé des dégâts
importants aux ouvrages ennemis dans le secteur de la
Pompelle, sud-est de Reims.

En Champagne, duel d'artillerie. Nous avons" bombardé
efficacement les tranchées allemandes entre le «Mont Tétu
et la Butte du Mcsnil. ,

Au sud de Saint-Souplet, nos canons de tranchées ont
fait sauter deux blockhaus ennemis.

En Argonne, notre artillerie lourde a en partie déliuit un
ouvrage; allemand près de Vauquois.

Paria, 12 janvier 1916, 3 heures.
Aucun événement important à signaler au cours de la
nuit, sauf entre Argonne et Meuse, où nos batteries ont dis-
persé des groupes de travailleurs ennemis dans la région de
Malancourt.

Paria, 12 janvier 1910, sois.

Deux hydravions ennemis ont jeté huit obus sur Dun-
kerque, ne causant que des dégâts matériels insignifiants.

Au Bord de l'Aisne, nos canons de tranchée ont boule-
versé Ils ouvrages de l'adversaire, a l'ouest de Soupir.

En Champagne, notre artillerie a bombardé efficacement
les tranchées allemandes au nord de Maisons-de-Champogne
et a l'est de la butte de Souain,

Ën Argonne, les Allemands ont fait exploser à la côte 275
(Haute-Chevauchée) une mine qui a produit un vaste enton-
noir, autour duquel un assez vif combat à la grenade s'est
poursuivi toute la journée. Nous avons fortement organisé
le bord sud de l'entonnoir.

Entre Argonne et Meuse, l'ennemi a tenté une attaque
avec émission de gaz suffocants, dans la région de Forges.
Les mesures de protection voulues ont été prises en temps
opportun, et nos tirs de barrage ont empêché l'ennemi de
sortir de ses tranchées.

Sur les Hauts-de-Meuse, dans la région de Calonnc, un
tir de notre artillerie a provoqué une explosion et un incendie
dons les tranchées ennemies, et détruit des abris de mitrail-
leuses.

Dans les Vosges, notre artillerie a détruit deux ouvrages
allemands dans le secteur de la Fecht.

Parie, 13 janvier 1910, 3 i.....•

Entre la Somme et l'Avre, au cours de la nuit, l'ennemi

a tenté sur un de nos petits postes un coup de main qui a

complètement échoué.

Eu Champagne, deux attaques à la grenade menées

contre nos positions, l'une au nord-est de la butte du Mesnil,

l'autre vers Maisons-dc-Champagne, c^t été arrêtées net

pas nos tirs de barrage.

De nouveaux renseignements sur l'attaque avec émission
de gaz tentée hier par les Allemands dans le secteur de
Forges, signalent qu'au cours de l'opération, une saute de
vent a rabattu la masse gazeuse sur les tranchées ennemies.

Notre bombardement des lignes adverses a été très
violent.

L'Allemagne donnée en exemple an Commerce français

Un de nos lecteurs français nous écrit i

M. Aug. Beasc, administrateur de la Société d'enseigne-
ment professionnel du Rbdne et membre du Conseil supé-
rieur du Travail, a consigné avant la guerre dans un volume
de 5oo pages les résultats des voyages d'étude qu'il a faits
en Allemagne. Les observations et constatations de cette en-
quête ont été faites sur place, avec compétence, dans une
pensée casentvilement pratique.

D'après M. Besie, dont je ne puis qu'&nalyscr sommaire-
ment la substantielle étude, les progrès industriels et com-
merciaux de l'Allemagne viennent en grande partie du
développement souple et progressif de l'enseignement
technique à tous les degrés et du aouci constant de plaire à
la clientèle.

L'Allemand, dont le développement économique est de
date récente, n'est pas, comme le Français, figé dans la rou-
tine et confiant dans le passé. Il va de l'avant après s'être
bien préparé et il suit avec patience, aans ae lasser, la mé-
thode claire qu'on lui a enseignée. Aussi, il atteint vite le
but poursuivi. Il est organisé pour la production indus-
trielle, pour le commerce intérieur et pour l'exportation.

Le commerçant et l'industriel allemands font tout pour
plaire à la clientèle grande ou petite, et cette préoccupation
incessante, jointe a la souplesse et a l'esprit laborieux, ainsi
qu'à la ténacité, expliquent qu'il* arrivent a aupplanter
leurs concurrents soit sur les marchés extérieurs, soit
même chez eux.

En outre, les producteurs allemands savent s'entendre,
joindre leurs efforts; ils savent s'unir dans l'intérêt com-
mun. Au contraire, les producteurs français qui sont divi-
sés, se jalousent et ae concurrencent trop souvent entre eux.

L'outillage moderne est très souvent remplacé en Allema-
gne. En France le matériel est usé jusqu'à extinction et
l'industriel, pas su courant, se méfie des perfectionnements
et innovations. v

Le producteur allemand a largement recours à la publi-
cité, il ssit la faire a bon escient et il ae dit que la, comme
ailleurs, il faut semer pour récolter. Le Français conteste ou
nie l'influence féconde de la publicité; s'il en fait, c'est 1
son eorps défendant.

L'Allemand fait connaître ses produits, aait les mettre
en valeur et les offre à qui peut-être les désire et le» re-
-cherche.

Le Français ne se documente pas comme l'Allemand; il,

néglige la lecture des ouvrages techniques et des journaux
professionnels; il rit dea rapports consulaires, cependant li

pleins d'indications précieuses et utilisables. 11 vît replié sur j
lui-même, confiné dans sa routine, attendant le client au
lieu d'aller le chercher. |

Je compléterai l'étude de M. Besse en attribuant aux
commerçants allemands en général, la correction la plua
parfaite en affaires, une scrupuleuse loyauté et une grande
rapidité d'expédition.

Dès lors, peut-on s'étonner du développement considé-
rable du commerce et de l'induitric de l'Allemagne et de la
faveur toujours croissante que le monde entier leur accor-
dait ?

Un tel succès devait porter ombrage à ses rivaux et les
esprits éclairés savent bien pourquoi l'Angleterre est dans la
mêlée. Nombreux sont par contre les commerçants français
et belges qui traitaient avec l'Allemagne et qui souffrent de
cette guerre inutile. Ils désirent qu'après tant de combats
meurtriers, après tant d'héroïsme de part et d'autre, des
paroles de paix ae fassent entendre.

FEUILLETON DE LA iGAZEUB DE* AiWtiANES»

LE CRIME DE LA RUE MORGUE

Par Edca* Allah POE

« Plusieurs autres personnes du voisinage déposent dana
le même sens. On ne cite personne comme ayant fréquenté
« maison. On ne aait paB ai la dame et sa fille avaient dea
parents vivanti. Les volets dea fenêtres de face a'ouvraient
raniment. Ceux de derrière étaient toujours fermés, excepté
>ux fenêtres de la grande arrière-pièce du quatrième étage.
*•* maison était une assez bonne maison, pas trop vieille.

u Isidore Muset, gendarme, dépose qu'il a été mis en
«quiiition, vers trois heures du matin, et qu'il a trouvé à
« grande porte vingt ou trente personnes qui s'efforçaient
de pénétrer dans la maison. 11 l'a forcée avec une baïonnette
*t non pas avec une pince. Il n'a pas eu grond'peine 1
'ouvrir, parce qu'elle était à deux battants, et n'était ver-
rouillée ni par eu haut, ui par eu bas, Les cria ont continué
Jusqu'à ce que ls porte fût enfoncée, puis Us ont soudaine-
ment cessé. On eût dit les cris d'une ou de plusieurs per-
sanes en proie aux plus vives douleurs ; dea cris très hauts,
jj*s prolongés, — non pas des cria brefs, ni précipités. Le
jwnoin a grimpé l'escalier. En arrivant au premier palier,
u » entendu deux voix qui se disputaient très haut et très
■'greruent ; — l'une, une voix rude, l'autre beaucoup plus
''Bue, une voix très singulière. Il a distingué quelques mots
flc « première, c'était celle d'un Français. Il est certain
^ue ce n'était pas une voix de femme. II a pu distinguer les
uoli r* et diable. La voix aiguë éUit celle d'un étranger,
^nc »ait paa précisément si c'était une voix d'homme ou
sumCUini^' " n'° PU devincr •* qu'elle disait, mais il pré-
i'ÉUt ?UieIlc P"10'1 espagnol. Ce témoin rend compte de
de la chambre et des cadavres dans les mêmes lermei
*ae noua l'avons fait hier.

»u'iï r1*11" DuviJ' un Toi,">i *t orfèvre de son état, dépose
X" isiaait partie du groupe de ceux qui sont entrés les

premiers dana la maison. Confirme généralement le témoi-
gnage do Muset. Aussitôt qu'ils se sont introduits dans la
maison, ils ont refermé la porte pour barrer le passage 1 la

foule qui s'amassait considérablement, malgré l'heure plus
que matinale. La voix aiguë, à en croire le témoin, était
une voix d'Italien. A coup sûr ce n'était pas une voix fran-
çaise. 11 ne sait pas au juste si c'était une voix de femme,
cependant cela pourrait bien être. Le témoin n'est pu fami-
liarisé avec ls langue italienne ; il est convaincu d'après
l'intonation que l'individu qui parlait était un Italien, Le
témoin a connu madame l'Esponaye et sa fille. U a fré-
quemment causé avec elles. Il est certain que la von aiguS
n'était celle d'aucune des victimes.

« Odenheïmer, restaurateur. Ce témoin s'est offert de
lui-même. 11 ne parle pas français, et on l's interrogé par
le canal d'un interprète. Il est né à Amsterdam. 11 passait
devant la maison au moment des cris. Us ont duré quel-
ques minutes, dix minutes peut-être. C'étaient des cria pro-
longés, très hauts, très effrayante, — des cris navrants.
Odenhcimer est un de ceux qui ont pénétré dans la maisonr
Il confirme le témoignage précédent, i l'exception d'un seul
point. II est sûr que la voix ai gui était celle d'un homme,
— d'un Français. Il n'a pu distinguer les mots articulés. On
parlait haut et vite, — d'un ton inégal, — et qui exprimait
la crainte aussi bien que la colère. La voix était Apre, plutôt
âpre qu'aiguë. II ne peut appeler cela précisément une voix
siguê. La grosse voix dit à plusieurs reprises : sacré, —
diable, — et une fois : mon Dieu I

<( Jules Mignaud, banquier de la maison Mignaud et fil»,
rue Deloraine. U est l'aîné des Migoaud. MiiUm fEspa-
noyc avait quelque fortune. D lui avait ouvert sm compte
dans «a maison, huit ans auparavant, au printemps. Elle a
souvent déposé chez lui de petite» aornmes d'argent. D ne
lui s rien délivré jusqu'au troisième jour avant m mort, où
elle est venue lui demander eu personne ani somme de
quatre mille francs. Cette somme lui a été payée en or, et un
commis a été chargé de la lui porter ches elle

« Adolphe Lcbou, commis chez Migoaud et fils, dépose
que, le jour en question, vers midi, il a accompagné ma-
dame l'Espanayc à son logis, avec les quatre mille frmncs,
en deux sacs. Quand la porte s'ouvrit, mademoiselle l*Espa-
naye parut, et lui prit des mains l'un de» deux sacs, pendant
que la vieille dame le déchargeait de l'autre. U les salua et

partit. II n'a vu personne dans la rue en ce moment. C'est
une rue borgne, très solitaire.

« William Bird, tailleur, dépose qu'il est un de ceux qui
ae sont introduits dans la maison. Il est Anglais. U a vécu
deux ans i Paris. Il est un des premiers qui ont monté
l'escalier. II a entendu les voix qui se disputaient. La voix
rude était celle d'un Français. Il a pu distinguer quelques
mots, mais il ne se les rappelle pas. Il a entendu dîsiincte-
ment sacré et mon Dieu. C'était en ce moment un bruit
comme de plusieurs personnes qui ae battent, — le tapage
d'une lutte et d'objets qu'on brise. La voix aiguë éiajt très
forte, plus forte que la voix rude. Il est sûr que ce n'était
pas une voix d'Anglais. Elle lui sembla une voix d'Alle-
mand ; peut-être bien une voix de femme. Le. témoin ne
ssit pas l'allemand.

a Quatre des témoms ci-dessuî mentionnés ont été assi-
gnés de nouveau, et ont déposé que la porte de la chambre
où fut trouvé le corps de mademoiselle l'Espanayc était fer-
mée en dedans quand ils y arrivèrent. Tout était parfaite-
ment silencieux ; ni gémissement?, ni bruits d'aucune es-
pèce. Après avoir forcé la porte, ils ne virent pergonne.

« Les fenêtres, dana la chambre de derrière et dana celle
de face, étaient fermées et solidement assujetties en dedans.
Une porte de communication était fermée, mais pas à clef.
La porte qui conduit de la chambre du devant au corridor
était fermée a clef, et la clef en dedans ; une petite pièce sur
te devant de la maison, au quatrième étage, a l'entrée du
corridor, ouverte, et la porte entre-bàillée ; cette pièce, en-
combrée de vieux bois de lit, de malles, etc. On a soigneu-
sement dérangé et visité tous ces objets. U n'y a pas un
pouce d'une partie quelconque de la maison qui n'ait été
soigneusement visité. On a fait pénétrer, des ramoneurs
dons les cheminées. La maison est à quatre étages avec des
mansardes. Une trappe qui donne sur le toit était condam-
née et solidement fermée avec des clous ; elle ne semblait
pas avoir été ouverte depuis des années. Les témoins va-
rient sur U durée du temps écoulé entre le moment où l'on
a entendu les voix qui se disputaient et celui où l'on a forcé
la porte de la chambre. Quelques-uns 1'-évaluent très court,
deux ou trois minutes, — d'autres, cinq minutes. La porte
ne fut ouverte qu'à grond'peine.

te Alfonso Garcio, entrepreneur des pompes funèbres,
dépose qu'il demeure rue Morgue. Il est né en Espagne. Il
«*t un de ceux qui ont pénétré dana U maison. II n'a pas

monté l'escalier. Il a les nerfs très délicats, et redoute les
conséquences d'une violente agitation nerveuse. Il a entendu
les voix qui se disputaient. La grosse voix était celle d'un
Français. Il n'a pu distinguer ce qu'elle disait.%a voix sigué
tl.nl celle d'un Anglais, il en est bien sûr. Le témoin ne sait
pas l'anglais, mais il juge d'après l'intonation.

» Alberto Montani, confiseur, dépose qu'il fut des pre
mien qui montèrent l'escalier. Il a entendu les voix en
question. La voix rauque était celle d'un Français. Il a dis-
tingué quelques mots. L'individu qui parlait semblait faire
des remontrances. Il n'a pas pu deviner ce que disait la voix
aiguë, bile parlait vile et par saccades. Il Ta prise pour la
voit d'un Busse. Il confirme en général les témoignages
précédents. Il est un Italien ; il avoue qu'il n'a jamais causé
avec un Busse.

u Quelques témoins, rappelés, certifient que les chemi-
nées dans tputes les chambres, au quatrième étage, son!
trop étroites pour livrer passage à un être hamain, Quand
ils ont parlé de ramonage, ils voulaient parler de ces
brosses en formes de cylindres dont on se sert pour nettoyer
les cheminées. On a fait passer ces brosses du haut en bas
dans tous les tuyaux de la maison. Il n'y a sur le derrière
aucun passage qui ait pu favoriser la fuite d'un assassin,
pendant que les témoins montaient l'escalier. Le corps de
mademoiselle l'Espanayc était si solidement engagé dans la
cheminée, qu'il a fallu, pour le retirer, que quatre ou cinq
des témoins réunissent leurs forces.

« Paul Dumas, médecin, dépose qu'il a été appelé au
point du jour pour examiner les cadavres. Ils gisaient tous
les deux sur le fond de sangle du lit dans la chambre ou
avait été trouvée mademoiselle l'Espanayc Le corps de lu
jeune dame était fortement meurtri et excorié. Ces parti-
cularités s'expliquent suffisamment par le fait de son intro-
duction dons la cheminée. La gorge était singulièrement
SCOrchéa. U y avait, juste au-dessous du menton, plusieurs
égratignurca profondes, avec une rangée de taches livides, -
résultant évidemment de la pression de» doigts. La face était
affreusement décolorée, et les globes dea yeux sortaient de
la tite. La langue était coupée à moitié. One largo meurtris-
sure se manifestait au creux de l'estomac, produite, selon
toute apparence, par ls pression d'un genou. Dans l'opinion
de M. Dumas, mademoiselle l'Espanoye avait été étranglée
par un ou par plusieurs individus inconnus.

(A suivre.)
 
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