2'" Année. — N" 137.
PRIX : 5 CENTIMES
Charloville, le 26 Janvier 1916.
Gazette des Ardennes
JOURNAL DES PAYS OCCUPÉS PARAISSANT TROIS FOIS PAR SEMAINE
On s'abonne dans tous le» bureaux de poste
CORFOU
Le i4 novembre i863, quand les îles ionienne*
furent adjointes au royaume de Grèce, l'une d'elle!,
Corfou, fut déclarée neutre. Le 29 mars 1864, l'Angle-
terre, la Franc* et la Russie lignèrent le traité garan-
tissant cette neutralité. En janvier 1916, cette neutra-
lité fut violée, des troupes françaises débarquant à
Corfou.
L'Angleterre resta à l'arrière-plan pendant J'action.
Elle, qui ,*e dit le champion de la neutralité, hésita à
parfaire celte opération elle-même. Elle jugea à propos
d'en charger son alliée.
An rivage de Corfou, au fond d'un parc, brille la
façade de marbre d'un château. C'est l'Achilleion,
acquis, après la mort de l'impératrice d'Autriche, par
l'Empereur d'Allemagne. Ce château fut pris de force.
Quelle victoire I II était gardé par quelques valets de
chambre. C'était magnifique ! Et c'est ainsi qu'à défaut
du chiteau de Berlin que les Russes n'ont pas réussi à
prendre, les Français ont pris celui de Corfou.
Ainsi l'Entente protège les petits états, protège la
Grèce. C'est depuis quelques mois, comme ai la mer,
celle que les anciens Hellènes nommaient » la grande
perCde », montait et engloutissait peu a peu ses îles et
ses côte*. D'abord, ce furent Tenedos, Mytilène, Lem-
nv* où l'Angleterre prit pied. Elles sont si jolies, ces
petites îles, si bien placées devant les Dardanelles I On
notifia simplement à la Grèce : Nous y sommes I Puis,
l'expédition des Dardanelles manquée, on débarqua
à Salonique. De* troupes, qui devaient rejoindre les
Serbes, traversèrent le pays neutre. Mais tu qu'on ne
rencontra plui de Serbes, mais par contre dea Bulgares,
on s'en retourna et retrarersa le paya neutre.
On s'installe i Salonique. Et, peu de jours après,
i Corfou. On e*t, dans ce petit état de la Grèce, à son
aise tout comme chez soi. Quitte à se bourrer les poches
des paperasses' de ees protestation si 11 paraît même qu'on
vise plus haut. Il y a quelques jours, le bruit courut
que des troupes furent débarquées à Phaléron, le port
de guerre grec situé à une demi-heure d'Athèn-is, Après
avoir visité les lieux, on disparut comme une bande
de pirates. Le lendemain, on apparut au Pirée.
Mata, au fond, qu'a donc commis la Grèce pour
mériter pareil traitement ? Rien, elle ne voulait que
rester neutre. Et a'il y a des neutralités sournoises, mi-
nées, incertaines, celle-ci par contre fut même nette-
ment bienveillante pour les Alliés. Alori que lui veu-
lent-ils f L'Angleterre aurait-elle l'arrière-piinséc, non
seulement d'user du territoire de ce petit pays, maia
aussi de aes hommes, pour les substituer à sis propres
célibataires ? Elle voudrait ajouter à la liste do ses vic-
times un nouveau genre d'allié : l'allié malgré lui.
Aussi, quelles pressions n'exerce-t-elle pas pour en-
traîner ce petit Etat de force dafis une guerre qu'elle
prétend avoir entreprise pour sauvegarder la liberté
d'action des petits Etats I Tantôt on retient les navires
grecs dans les ports anglais, ou bien on n'expédie pas
le soufre nécessaire aux planteurs de corinthes, ou
bien on ne laisse plus passer que pour trois jours de
vivre*.
Mais où est donc la France, que fait la France dans
tout cela ? Dans ce lent étranglement, dans ce mélange
de gémissement* humanitaires et d'âpre cruauté, dans
toute celte basse hypocrisie, qu'y-a-t-il des anciennes
traditions chevaleresques de la France ? Est-ce un idéal
flamboyant, un mot sonore et étincelant qui court au-
devant des troupe* débarquée* au Pirée P Non, toute
cette manière n'est pa* française. C'est anglais. Et le
temps viendra, où, tant dans ces affaires grecques que
dan* le» autres choses de cette guerre, la France fera
deux parts. Elle *e reconnaîtra dans l'une et se dira :
Tiens, cela c'est moi 1 Tandis que l'autre, elle la re-
niera, elle en aura honte.
BULLETINS OFFICIELS ALLEMANDS
, Grand Quartier général, lo 22 janvier 11)10.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
Au sud-est d'Yprcs nous avons détruit par une mine
les tranchées ennemies sur une largeur de 70 mètres.
Nos positions entre la Meuse et les Vosges ainsi
qu'une série de localités derrière notre front furent
bombardées sans succès par l'ennemi.
Théâtre de la guerre à l'Est.
Près de Smorgon et devant Dunaburg, combat*
d'artillerie.
Théâtre de la guerre aux Balkans.
Rien de nouveau.
Grand Quartier général, lo 23 janvier 1916.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
Près de Neuville (au nord d'Arras) nos troupes
s'emparèrent, après une explosion de mine efficace, de
la position ennemie la plus avancée sur une largeur
de a5o mètres ; nous avons fait prisonniers 71 Français.
Dans le* Argonnes nous occupâmes, après un court
combat à la grenade, une tranchée ennemie.
A l'est de Belfort, de* installations militaires furent
bombardées.
Théâtre de la guerre à l'Est et théâtre de la guerre
aux Balkans.
La situation est sans changement.
Grand Quartier général, k 24 janvier 1918.
Théâtre de la guerre a l'Ouest.
Vive activité d'artillerie et d'aviateurs de part et
autre. Une escadrille ennemie lança dea bombes sur
Metz, dont l'une tomba sur la maison d'habitation de
l'archevêque et une autre dans la cour d'un lazaret.
Deux personnes civiles furent tuées et huit autres
blessées. Un avion de l'escadrille fut abattu en combat
aérien. Les aviateurs sont prisonniers.
Nos aviateurs bombardèrent des gares et des instal-
lation* militaires derrière le front ennemi. Dans une
série de combats aériens ils gardèrent l'avantage.
Théâtre de la guerre à l'Est.
Au nord de Dunaburg notre artillerie mit le feu i
un train russe.
Théâtre de la guerre aux Balkans.
Une escadrille d'avions ennemis, partie du lerritoirf
grec, bombarda Bitolj (Monastir). Plusieurs habitant*
furent tués ou blessés.
BULLETINS OFFICIELS FRANÇAIS
Paris, 1C janvier 1916, ioir.
En Belgique, notre artillerie, de concert avec l'artillerie'
britannique, a causé de graves dégâts aux tranchées enne-
mies de la région d'Hetsas et provoqué deux fortes explosions
dans les lignes ejlemandea.
Nos batteries ont bombardé avec succès les abords de la
route de Lille au sud de Thélus et fait sauter un dépôt de
munitions. A. la cote 119, au nord-est de Neuville-Saint-
Vaast, une de nos mines a détruit un petit poste allemand
En Argonnc, lutte à coups de bombes et de grenades dans
la région de Vauquois.
En Lorraine, nous avons pris sous notre feu un ras-
semblement ennemi au sud de Brémenil, nord-est de Badon-
viller.
Pari», 17 janvier 1916, 3 heures.
Rien à signaler au cours de la nuit, sauf entro Somme
•t Avre, où notre artillerie a été assez active.
Parie, 17 janvier 1916, aoir.
En Belgique, entre Westende et Middelkerke, notre artil-
lerie à longue portée a tiré *ur un rassemblement ennemi
qui a subi des pertes appréciables.
Deux avions ennemis qui se dirigeaient vers Dunkerque
ont été pris a partie par nos canons spéciaux et contraint*
de faire demi-tour. Ils ont lancé quatre bombes sur le*
dunes sans aucun résultat.
Entro la Somme et l'Aisne, nous avons bombarde les
tranchées allemandes d'IIerbécourt (ouest de Péronne) et de
Moulin-sous-Touvent.
Au nord de l'Aisne, un tir de nos batteries a causé d'im-
portants dégât*' aux organisations ennemies du plateau
Vauclerc et de la région de la ferme du Choléra (nord-ouest
de Berry-au-Bac).
A l'est des Hauts-dc-Mcuse, nos pièces a longue portée
ont bombardé des entrepôts ennemis situés près de Con-
flans-cn-Jarnisy (sud de Briey). On a vu une flamme et une
épaisse colonne de fumée s'élever des bâtiments bombardés. .
Paris, 18 janvier 1916, 3 heurea.
Canonnade intermittente au cour* de la nuit sur divers
points du Iront. Aucun événement important a signaler.
Paria, 18 janvier 1916, soir.
Entre l'Oise et l'Aisne, nos batteries ont bouleversé les
tranchées allemandes de la région de Moulin-sous-Touvent.
En Champagne et en Woôvre, activité de notre.artillerie
sur divers points sensibles du front ennemi.
Dans les Vosges, près de Metzeral, une batterie ennemie
a été fortement endommagée par un tir de nos canons.
Bien à signaler sur le reste du front en dehors de la
canonnade habituelle.
Paria, 19 janvier 1916, 3 heures.
Rien a ajouter au précédent communiqué.
Paris, 19 janvier 1910, aoir.
Au sud de la Somme, dans le secteur de Linons, un block-
haus ennemi a été détruit par notre tir.
Entre Soissons et Reims, nos canons de tranchée ont
causé des dégât* sérieux aux ouvrages ennemis dans la
région d'Aillca, ouest de Craonne,
En Argonne, nous avons canonné des troupes en mouve-
ment dans la région nord des Court es-Chaussej.
En Lorraine, un tir exécuté sur un groupe de maisons
occupées par les Allemands, près d'Ahncourt, ouest de
Chûteau-Salins, a donné meilleur résultat. (
Paris, 20 janvier 1916, 3 heures.
Entre l'Oise et l'Aisne, quelques combats de patrouilles
au cours de la nuit dans la région de Puysaleine.
En Champagne, notre artillerie a dispersé un convoi de
-ravitaillement sur la route de Ville-sur-Totirbe à Vouziers.
Un avion ennemi a lancé sur les faubourgs de Lunéville
trois bombes qui n'ont causé aucun dégât
Un autre appareil ennemi a dû atterrir près de Flein.
Les deux officiers qui le montaient ont été faits prison-
niers près d'Ogeviller (sud-est de Lunévilh»).
LA CAPITULATION MONTÉNÉGRINE
Nous avons reproduit, dans le dernier numéro de la
« Gazelle a, la note que le consul général du Monténégro 1
Paris, avail publiée, pour justifier l'attitude de son roi et
de son gouvernement. Depuis, le même consul vient de
publier une autre note, d'après laquelle le roi et son gou-
vernement auraient refusé les conditions autrichiennes et
continueraient la lutlc.
Ces notes, émanant d'un diplomate qui, «e trouvant
encore dans le milieu gênant de l'Allié abandonné — et
abandonnant i — ne pourront être considérées edmme des
déclarations avant une valeur authentique, vu que le consul
ne peut plus avoir aucun contact direct ni avec son roi ni
avec son gouvernement.
Le communiqué officiel austro-hongrois, qui peut lui
seul nous donner la synthèse exacte de l'état actuel des
choses, nous apprend, à la date du aa janvier, ce qui suit :
La remise des armes de l'armée monténégrine, qui
forme la condition primordiale pour la continuation, dei
pourparlers de paix, esl en train.
Les troupes austro-hongroisef entreprirent dans ce but,
en s'abs-tenant de toute hostilité, ta marche en avant vers
l'intérieur du pays. Les soldats monténégrins devront, par-
tout oà ils rencontrant nos détachements, déposer leurs
armes--, et pourront, tant qu'ils ne présenteront pas de résis-
tance, reprendre dans leurs villages leurs occupations, sous
une surveillance appropriée. Quiconque tenterait de ré-
sister, sera désarmé de force et emmené prisonnier.
Pareille solution, découlant de la situation militaire au-
tant que du caractère spécial du pays et de la population,
apportera le plus rapidement la paix au Monténégro,
éprouvé par la guerre depuis de longues années. Le haut
commandement monténégrin a été avisé dans ce sens..
Le général KocvcsSj dont l'armée a remporté la vicloir*
décisive sur les Monténégrins, a fait au correspondant de la
« /leichsposi » la déclaration suivante :
-« La discussion diplomatique avec le Monténégro n*
commencera réellement qu'après que les armes auront été
complètement déposées.
a Le désarmement complet sera toutefois, en raison du
manque de communications lélégraphiquei, une tâche com-
pliquée et la capitulation prendra un certain temps.
IL est à signaler que les papiers des parlementaires chargés
de nous transmettre la proposition de paix monténégrine
portaient les signatures personnelles du roi Nicolas et de ses
ministres. » \
Quelle que puisse tire la tournure définitive que prendrons les
événements diplomstiques su Monténégro et particulièrement l'atti-
tude du roi, du gouvernement et d'une partie plus ou moins
grande de l'armée, le grand fait militaire dietstt, la prise du mont
Looccn, suivie de pris par l'entrée à Cettigné des troupes austro-
hongroises, ne saurai! être altéré ou diminué. La presse française
s'en rend Tort bien compte. Dans le c Figaro », M. Joseph Ttcmach
écrit :
« La prise de l'imprenable Lovcen, — 11 n> a de position*
imprenables que dans les déclamations des rhéteurs 1 —
l'occupation de Cettigné, évacuée ; la main-mise de l'Autri-
che sur le malheureux Monténégro, a bout de forces malgré
toute la vaillance 4e ses petite* armées ; le redoublement do
l'activité navale d'un ennemi que son succès a enhardi et
qui, très méthodiquement, suivant un plan bien conçu, s*
prépare à attaquer Dur&zzo et la côte albanaise ; enfin la
menace grandissante de Cattaro, maltreaee d« l'énorm*
montagne, contre l'Adriatique continuent a produire en
Italie un très douloureux retentissement.
En Italie et chez tous les Allié*, chez nous tous, »
M. Clemenceau s'exprime ainsi :
a La prise du mont Lovcen, qui domine les bouches de Cattaro,
et comporte une maîtrise du point principal de l'Adriatique, est,
pour les alliés en général, et pour l'Italie *n particulier, un coup
désagréable. La presse anglaise en prend acte aasez brutalement,
a son ordinaire, tandis que les journaux italiens manifestent une
mauvaise humeur trop explicable, et que nos feuilles du qu*J
d'Orsay se donnent quelque mal pour atténuer l'affaire, dane là
mesure du possible. Rien n'est difficile à qui n'a pas craint de
présenter comme un succéa l'abandon de l'entreprise franco-an*
glaise aux Dardanelles. >
LA TERREUR A SALONIQUE
Au sujet de ! arrestation illégitime des consuls des Puissances
centrales cl de leurs alliés par les soldats du général Serrai], un
lecteur français nous adresao la protestation que voici, qui démon-
tre qu'il reste des consciences françsiies auxquelles répugnent
les méthodes anglaises pratiquées 4.Salonique.
Il y a en Europe une nouvelle Bastille : Salonique. Der-
rière les fortifications que les Alliés ont édifiées autour de
cette ville, sont emprisonnés le .Droit, la Liberté^ le Respect
d'autrui. '
Pour accomplir la délivrance morale de l'Europe, le*
énergumènes qui dirigent la politique balkanique franco-an-
glais* ont inauguré un régime nouveau : celui de la terreur.
Non contents de violer la neutralité de la Grèce an s'ina-
tallant en maîtres dans son territoire, les h protecteur* de*
petits Etats » — eux dont le cri de guerre est la fondation
d'une Europe nouvelle, où les traités feront foi et où les
chiffons de papier redeviendront dea chartes intangibles I_—
viennent de porter un nouveau coup a, la liberté humaine et
au droit des peuples, an arrêtant les consuls de la Quadrupla
Alliance, leurs familles et les autres personne* présente*.
FEUILLETON DE LA eQAZETJS DBS AIIDEKNES»
LE GRIME DE LA RUE MORGUE
Par Edcak Allah POE
Jo pris les pistolets, sans trop savoir ce que je faisais,
pouvant & peine en croire mes oreilles, — pendant que
Dupin continuait, à peu prés comme dans un monologue.
J'ai déjà parlé de ses manières distraites dans ces moments-
la. Son discours s'adressait k moi ; maia sa voix, quoique
montée s un diapason fort ordinaire, avait cette intonation
que l'on prend d'habitude en parlant a quelqu'un placé à
une grande diitaace. Ses yeux, d'une expression vague, ne
regardaient que le mur.
— Lea voix qui se disputaient, disait-il, les voix enten-
duca par les gens qui montaient l'escalier n'étaient pas
celles de ces malheureuses femmes, — cela est plus que
prouvé par l'évidence. Cela nous débarrasse pleinement de
La question de savoir (i la vieille dame aurait assassiné sa
fille et se serait ensuite suicidée.
Je ne parle de ce cas que par amour de la méthode ; car
la force de madame l'Espanaye eût été absolument insuffi-
sante pour introduire le corps de sa Clic dans la cheminée,
de la façon où on l'a découvert ; et la nature des blessures
trouvées sur sa propre personne exclut entièrement l'idée de
suicide. Le meurtre a donc été commis par des tiers, et les
voix de ces tien sont celles qu'un u entendues se quereller.
Permettez-moi maintenant d'appeler votre- attention, —
non pas sur les dépositions relative* a ces voix, — mais sur
c* qu'il y a de particulier dans ces dépositions. Y avez-voua
remorqué quelque chose de particulier?
Je remarquai que, pendant que tous les témoins s'accor-
daient h considérer la grosse voix comme étant celle d'un
. Français, il y avait un grand désaccord relativement à la
voixjiiyue, ou, comme l'avait définie un seul individu, a la
voix âpre.
— Cela constitue l'évidence, dit Dupin, mais non 1*
particularité de l'évidence. Vous n'avez rien observé de dis-
tinctif ; — cependant il y avait quelque choie à observer.
Les témoins, remarquez-le bien, sont d'accord sur la grosse
voix ; la-dessus, il y a unanimité 1 Mais relativement à la
voix aiguG, il y a une particularité, — elle ue consiste paft
dans leur désaccord, — mais en ceci que, quand un Italien,
un Anglais, un Espagnol, un Hollandais essaient de la
décrire, chacun en parle comme d'une voix d'étranger,
chacun est sur que ce n'étaH pas la toïx d'un de ses cosurtsy
triotes.
Chacun la compare, non pas a la voix d'un individu
dont la langue lui serait familière, mais justement au con-
traire. Le Français présume que c'était une voix d'Espagnol,
et il aurait pu distinguer quelques muta s'il était familiarisé
avec l'espagnol. Le Hollandais affirme que c'était la voix
d'un Français; mais il est établi que le témoin, ne sachant
pas le français, a été interrogé par le canal d'uu interprète.
L'Anglais pense que c'était la voix d'un Allemand, et il
n'entend pas l'allemand. L'Espagnol est positivement sût
que c'était la voix d'un Anglais, mais il en juge uniquement
par l'intonation, car il n'a aucune connaissance de l'anglait.
L'Italien croit a une voix de Russe, mais il n'a jamais causé
avec une personne native de Russie. Un autre Français,
cependant, diffère du premier, et il est certain que c'était
une voix d'Italien ; mais, n'ayant pas la conna Issu née de
celte langue, il fait comme l'Espagnol, il tire sa certitude
de l'Intonation, Or, cette voix était donc bien insolite et
bien change, qu'on ne pût obtenir à son égard que de pa-
reils témoignages ? Une voix dans les intonations de laquelle
des citoyens des çinq grandes parties de l'Europe n'ont rien
pu reconnaître qui leur (ut familier 1 Vous me direr que
c'était peut-être la voix d'un Asiatique ou d'un Africain.
Les Africains et les Asiatiques n'abondent pas è Pans, mois
sans nier U possibilité du cas, j'appellerai simplement votre
atlcnlion sur trois points.
Un témoin dépeint la voix ainsi : plutôt âpre qu'aigul.
Deux autres en parlent rnmme d'une voix brève et saccadée.
Ces témoins n'ont dislm<rué aucunes paroles, — aucuns
sons ressemblant à des paroles.
Je ne sais pas, continua Dupin, quelle impression J'ai
pu faire sur votre entendement; mais je n'hésite pas a af-
firmer qu'on peut tirer des déductions légitimes de cette
partie môme des dépositions, — la partie relative aux deux
voiï, — la grosse voix, et la voix aiguë, — très suffisante*
en elles-mêmes pour créer un soupçon qui indiquerait la
route dans loule investigation ultérieure du mystère.
J'ai dit : déductions légitimes, maia cette expression ne
rend pas complètement ma pensée. Je voulais faire entendre
que ces déductions sont les seules convenable*, et que ce
soupçon en surgît inévitablement comme le seul résultat
possible. Cependant, de quelle nature est ce soupçon, je ne
vous le dirai pas immédiatement. Je désire simplement vous
démontrer que ce soupçon était plus que suffisant pour
donner un caractère décidé, une tendance positive ù l'en-
quête que je voulais faire dans la chambre.
Maintenant, transportons-nous en imagination dans
celte chambre. Quel scia le premier objet de notre recher-
che ? Les moyens d'évasion employés par les meurtriers.
Mous pouvons affirmer, n'est-ce pas, que noua ne croyons
ni l'un ni l'autre aux événements surnaturels P Mesdames
l'Espanaye n'ont pas élé assassinée* par les esprits. Lee
auteurs du meurtre étalent dea Cires matériels, et ils ont
fui matériellement.
Or, comment? Heureusement, il n'y a qu'une manière
de raisonner sur ce point, et cette manière nous conduira a
une conclusion positive. Examinons donc, un n un, les
moyens possibles d'évasion. Il est clair que les assassins
étaient dans la rhambre où l'on a trouvé mademoiselle
l'Espanaye, ou au moins dans la chambre adjacente quand
la foule a moulé l'escalier. Ce n'est donc que dans eea deux
chambres que nous avons à chercher des issues. La police a
.levé les parqueta, ouvert les plafonds, sondé la maçonnerie
des murs. Aucune issue secret* n'a pu échapper à sa pers-
picacité. Mais je ne me suis pas fié à ses yeux, et j'ai examiné
avec les miens ; il n'y a réellement pas d'i&sue secrète. Les
déni portes qui conduisent des chambres dans le corridor
étaient solidement fermées, et les clefs en dedans. Voyons
les cheminées Celles-ci, qui sont d'une largeur ordinaire
jusqu'il une dislnnce de huit ou dix pieds au-dessus du
foyer, ne livreraient pas au delà un passage suffisant i un
gros chat.
L'un possibilité de la fuite, du inoins par les voies ci-
dessus indiquées, étant donc absolument établie, nous en
sommes réduits aux fenêtres. Personne n'a pu fuir par celle*
de la chambre du devant, sans être vu par la foule du de-
hors. Il a donc fallu que les meurtriers s'échappassent par
celles de lt chambre de derrière.
Maintenant, amenés, comme nous le sommes, • cette
conclusion par des déductions aussi irréfragables, noué
n'avons pas le droit, en tant que raisonneurs, de 1a rejeter
■ en raison de son apparente impossibilité. Il ne noua reste
donc qu'à démontrer que cette impossibilité apparente
n'existeras en réalités
Il y a deux fenêtres dans la chambre. L'une des deux
n'est pas obstruée par l'ameublement, et est restée entière-
ment visible. La partie inférieure de l'autre est cachée par
le chevet du lit, qui est fort massif ci qui cai puuuii-kuit
contre. On a constaté que la première était solidement assu-
jettie en dedans Elle a résisté aux efforts les plus violent*
de ceux qui ont essayé de ln lever. On avait percé dans son
châssis, h gauche, un grand trou avec une vrille, et on y
trouva un gros clou enfoncé presque jusqu'à la tête. En
examinant 1 autre fenêtre, on y a trouvé un clou sembla-
ble ; et un vigoureux effort pour lever le châssis n'a pas ea
plus de succès que de l'autre côté. La police était dès lor*
pleinement convaincue qu'aucune fuite n'avait pu s'effectuer
par ce chemin. II fut donc considéré comme superflu de re-
tirer les clous et d'ouvrir les fenêtres.
Mon examen fut un peu plus minutieux, et cela, par 1*
raison que je vous ai donnée tout à l'heure. C'était le ca*. -
je le savais, où il /allait démontrer que l'impossibilité
n'était qu'apparente.
Je conlinuai à raisonner ainsi, — à posteriori. Les meur-
triers s'étaient évadés par l'une de ces fenêtres. Cela étant,
ils ne pouvaient pas avoir réassujetti les châssis en dedan»,
comme on les a trouvés; considération qui, par son évi-
dence, a borné les recherches de la police dans ce sens-la.
Cependant ces châssis étaient bien fermés. 11 faut donô
qu'ils puissent se fermer d'eux-mêmes. U n'y avait.pin
moyeu d'échapper à cette conclusion. J'allai droit k la fe-
nêtre non bouchée, je retirai le clou avec quelque difficulté,
et j'essayai de lever le châssis. 11 a résisté k tous nie* ef-
forts, comme je m'y attendais. H y avait donc, j'en étais sûr
maintenant, un ressort caché ; et ce fait, corroborant mop
idée, me convainquit au moins de la justesse de mes pré-
misses, quelque mystérieuses que m'apparussent toujours
les circonstances relatives aux clous. Un examen minu-
tieux me fit bientôt découvrir le ressort secret. Je le pous-
sai, et, satisfait de ma découverte, je m'abstins de lever le
châssis.
(À suivre. )
PRIX : 5 CENTIMES
Charloville, le 26 Janvier 1916.
Gazette des Ardennes
JOURNAL DES PAYS OCCUPÉS PARAISSANT TROIS FOIS PAR SEMAINE
On s'abonne dans tous le» bureaux de poste
CORFOU
Le i4 novembre i863, quand les îles ionienne*
furent adjointes au royaume de Grèce, l'une d'elle!,
Corfou, fut déclarée neutre. Le 29 mars 1864, l'Angle-
terre, la Franc* et la Russie lignèrent le traité garan-
tissant cette neutralité. En janvier 1916, cette neutra-
lité fut violée, des troupes françaises débarquant à
Corfou.
L'Angleterre resta à l'arrière-plan pendant J'action.
Elle, qui ,*e dit le champion de la neutralité, hésita à
parfaire celte opération elle-même. Elle jugea à propos
d'en charger son alliée.
An rivage de Corfou, au fond d'un parc, brille la
façade de marbre d'un château. C'est l'Achilleion,
acquis, après la mort de l'impératrice d'Autriche, par
l'Empereur d'Allemagne. Ce château fut pris de force.
Quelle victoire I II était gardé par quelques valets de
chambre. C'était magnifique ! Et c'est ainsi qu'à défaut
du chiteau de Berlin que les Russes n'ont pas réussi à
prendre, les Français ont pris celui de Corfou.
Ainsi l'Entente protège les petits états, protège la
Grèce. C'est depuis quelques mois, comme ai la mer,
celle que les anciens Hellènes nommaient » la grande
perCde », montait et engloutissait peu a peu ses îles et
ses côte*. D'abord, ce furent Tenedos, Mytilène, Lem-
nv* où l'Angleterre prit pied. Elles sont si jolies, ces
petites îles, si bien placées devant les Dardanelles I On
notifia simplement à la Grèce : Nous y sommes I Puis,
l'expédition des Dardanelles manquée, on débarqua
à Salonique. De* troupes, qui devaient rejoindre les
Serbes, traversèrent le pays neutre. Mais tu qu'on ne
rencontra plui de Serbes, mais par contre dea Bulgares,
on s'en retourna et retrarersa le paya neutre.
On s'installe i Salonique. Et, peu de jours après,
i Corfou. On e*t, dans ce petit état de la Grèce, à son
aise tout comme chez soi. Quitte à se bourrer les poches
des paperasses' de ees protestation si 11 paraît même qu'on
vise plus haut. Il y a quelques jours, le bruit courut
que des troupes furent débarquées à Phaléron, le port
de guerre grec situé à une demi-heure d'Athèn-is, Après
avoir visité les lieux, on disparut comme une bande
de pirates. Le lendemain, on apparut au Pirée.
Mata, au fond, qu'a donc commis la Grèce pour
mériter pareil traitement ? Rien, elle ne voulait que
rester neutre. Et a'il y a des neutralités sournoises, mi-
nées, incertaines, celle-ci par contre fut même nette-
ment bienveillante pour les Alliés. Alori que lui veu-
lent-ils f L'Angleterre aurait-elle l'arrière-piinséc, non
seulement d'user du territoire de ce petit pays, maia
aussi de aes hommes, pour les substituer à sis propres
célibataires ? Elle voudrait ajouter à la liste do ses vic-
times un nouveau genre d'allié : l'allié malgré lui.
Aussi, quelles pressions n'exerce-t-elle pas pour en-
traîner ce petit Etat de force dafis une guerre qu'elle
prétend avoir entreprise pour sauvegarder la liberté
d'action des petits Etats I Tantôt on retient les navires
grecs dans les ports anglais, ou bien on n'expédie pas
le soufre nécessaire aux planteurs de corinthes, ou
bien on ne laisse plus passer que pour trois jours de
vivre*.
Mais où est donc la France, que fait la France dans
tout cela ? Dans ce lent étranglement, dans ce mélange
de gémissement* humanitaires et d'âpre cruauté, dans
toute celte basse hypocrisie, qu'y-a-t-il des anciennes
traditions chevaleresques de la France ? Est-ce un idéal
flamboyant, un mot sonore et étincelant qui court au-
devant des troupe* débarquée* au Pirée P Non, toute
cette manière n'est pa* française. C'est anglais. Et le
temps viendra, où, tant dans ces affaires grecques que
dan* le» autres choses de cette guerre, la France fera
deux parts. Elle *e reconnaîtra dans l'une et se dira :
Tiens, cela c'est moi 1 Tandis que l'autre, elle la re-
niera, elle en aura honte.
BULLETINS OFFICIELS ALLEMANDS
, Grand Quartier général, lo 22 janvier 11)10.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
Au sud-est d'Yprcs nous avons détruit par une mine
les tranchées ennemies sur une largeur de 70 mètres.
Nos positions entre la Meuse et les Vosges ainsi
qu'une série de localités derrière notre front furent
bombardées sans succès par l'ennemi.
Théâtre de la guerre à l'Est.
Près de Smorgon et devant Dunaburg, combat*
d'artillerie.
Théâtre de la guerre aux Balkans.
Rien de nouveau.
Grand Quartier général, lo 23 janvier 1916.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
Près de Neuville (au nord d'Arras) nos troupes
s'emparèrent, après une explosion de mine efficace, de
la position ennemie la plus avancée sur une largeur
de a5o mètres ; nous avons fait prisonniers 71 Français.
Dans le* Argonnes nous occupâmes, après un court
combat à la grenade, une tranchée ennemie.
A l'est de Belfort, de* installations militaires furent
bombardées.
Théâtre de la guerre à l'Est et théâtre de la guerre
aux Balkans.
La situation est sans changement.
Grand Quartier général, k 24 janvier 1918.
Théâtre de la guerre a l'Ouest.
Vive activité d'artillerie et d'aviateurs de part et
autre. Une escadrille ennemie lança dea bombes sur
Metz, dont l'une tomba sur la maison d'habitation de
l'archevêque et une autre dans la cour d'un lazaret.
Deux personnes civiles furent tuées et huit autres
blessées. Un avion de l'escadrille fut abattu en combat
aérien. Les aviateurs sont prisonniers.
Nos aviateurs bombardèrent des gares et des instal-
lation* militaires derrière le front ennemi. Dans une
série de combats aériens ils gardèrent l'avantage.
Théâtre de la guerre à l'Est.
Au nord de Dunaburg notre artillerie mit le feu i
un train russe.
Théâtre de la guerre aux Balkans.
Une escadrille d'avions ennemis, partie du lerritoirf
grec, bombarda Bitolj (Monastir). Plusieurs habitant*
furent tués ou blessés.
BULLETINS OFFICIELS FRANÇAIS
Paris, 1C janvier 1916, ioir.
En Belgique, notre artillerie, de concert avec l'artillerie'
britannique, a causé de graves dégâts aux tranchées enne-
mies de la région d'Hetsas et provoqué deux fortes explosions
dans les lignes ejlemandea.
Nos batteries ont bombardé avec succès les abords de la
route de Lille au sud de Thélus et fait sauter un dépôt de
munitions. A. la cote 119, au nord-est de Neuville-Saint-
Vaast, une de nos mines a détruit un petit poste allemand
En Argonnc, lutte à coups de bombes et de grenades dans
la région de Vauquois.
En Lorraine, nous avons pris sous notre feu un ras-
semblement ennemi au sud de Brémenil, nord-est de Badon-
viller.
Pari», 17 janvier 1916, 3 heures.
Rien à signaler au cours de la nuit, sauf entro Somme
•t Avre, où notre artillerie a été assez active.
Parie, 17 janvier 1916, aoir.
En Belgique, entre Westende et Middelkerke, notre artil-
lerie à longue portée a tiré *ur un rassemblement ennemi
qui a subi des pertes appréciables.
Deux avions ennemis qui se dirigeaient vers Dunkerque
ont été pris a partie par nos canons spéciaux et contraint*
de faire demi-tour. Ils ont lancé quatre bombes sur le*
dunes sans aucun résultat.
Entro la Somme et l'Aisne, nous avons bombarde les
tranchées allemandes d'IIerbécourt (ouest de Péronne) et de
Moulin-sous-Touvent.
Au nord de l'Aisne, un tir de nos batteries a causé d'im-
portants dégât*' aux organisations ennemies du plateau
Vauclerc et de la région de la ferme du Choléra (nord-ouest
de Berry-au-Bac).
A l'est des Hauts-dc-Mcuse, nos pièces a longue portée
ont bombardé des entrepôts ennemis situés près de Con-
flans-cn-Jarnisy (sud de Briey). On a vu une flamme et une
épaisse colonne de fumée s'élever des bâtiments bombardés. .
Paris, 18 janvier 1916, 3 heurea.
Canonnade intermittente au cour* de la nuit sur divers
points du Iront. Aucun événement important a signaler.
Paria, 18 janvier 1916, soir.
Entre l'Oise et l'Aisne, nos batteries ont bouleversé les
tranchées allemandes de la région de Moulin-sous-Touvent.
En Champagne et en Woôvre, activité de notre.artillerie
sur divers points sensibles du front ennemi.
Dans les Vosges, près de Metzeral, une batterie ennemie
a été fortement endommagée par un tir de nos canons.
Bien à signaler sur le reste du front en dehors de la
canonnade habituelle.
Paria, 19 janvier 1916, 3 heures.
Rien a ajouter au précédent communiqué.
Paris, 19 janvier 1910, aoir.
Au sud de la Somme, dans le secteur de Linons, un block-
haus ennemi a été détruit par notre tir.
Entre Soissons et Reims, nos canons de tranchée ont
causé des dégât* sérieux aux ouvrages ennemis dans la
région d'Aillca, ouest de Craonne,
En Argonne, nous avons canonné des troupes en mouve-
ment dans la région nord des Court es-Chaussej.
En Lorraine, un tir exécuté sur un groupe de maisons
occupées par les Allemands, près d'Ahncourt, ouest de
Chûteau-Salins, a donné meilleur résultat. (
Paris, 20 janvier 1916, 3 heures.
Entre l'Oise et l'Aisne, quelques combats de patrouilles
au cours de la nuit dans la région de Puysaleine.
En Champagne, notre artillerie a dispersé un convoi de
-ravitaillement sur la route de Ville-sur-Totirbe à Vouziers.
Un avion ennemi a lancé sur les faubourgs de Lunéville
trois bombes qui n'ont causé aucun dégât
Un autre appareil ennemi a dû atterrir près de Flein.
Les deux officiers qui le montaient ont été faits prison-
niers près d'Ogeviller (sud-est de Lunévilh»).
LA CAPITULATION MONTÉNÉGRINE
Nous avons reproduit, dans le dernier numéro de la
« Gazelle a, la note que le consul général du Monténégro 1
Paris, avail publiée, pour justifier l'attitude de son roi et
de son gouvernement. Depuis, le même consul vient de
publier une autre note, d'après laquelle le roi et son gou-
vernement auraient refusé les conditions autrichiennes et
continueraient la lutlc.
Ces notes, émanant d'un diplomate qui, «e trouvant
encore dans le milieu gênant de l'Allié abandonné — et
abandonnant i — ne pourront être considérées edmme des
déclarations avant une valeur authentique, vu que le consul
ne peut plus avoir aucun contact direct ni avec son roi ni
avec son gouvernement.
Le communiqué officiel austro-hongrois, qui peut lui
seul nous donner la synthèse exacte de l'état actuel des
choses, nous apprend, à la date du aa janvier, ce qui suit :
La remise des armes de l'armée monténégrine, qui
forme la condition primordiale pour la continuation, dei
pourparlers de paix, esl en train.
Les troupes austro-hongroisef entreprirent dans ce but,
en s'abs-tenant de toute hostilité, ta marche en avant vers
l'intérieur du pays. Les soldats monténégrins devront, par-
tout oà ils rencontrant nos détachements, déposer leurs
armes--, et pourront, tant qu'ils ne présenteront pas de résis-
tance, reprendre dans leurs villages leurs occupations, sous
une surveillance appropriée. Quiconque tenterait de ré-
sister, sera désarmé de force et emmené prisonnier.
Pareille solution, découlant de la situation militaire au-
tant que du caractère spécial du pays et de la population,
apportera le plus rapidement la paix au Monténégro,
éprouvé par la guerre depuis de longues années. Le haut
commandement monténégrin a été avisé dans ce sens..
Le général KocvcsSj dont l'armée a remporté la vicloir*
décisive sur les Monténégrins, a fait au correspondant de la
« /leichsposi » la déclaration suivante :
-« La discussion diplomatique avec le Monténégro n*
commencera réellement qu'après que les armes auront été
complètement déposées.
a Le désarmement complet sera toutefois, en raison du
manque de communications lélégraphiquei, une tâche com-
pliquée et la capitulation prendra un certain temps.
IL est à signaler que les papiers des parlementaires chargés
de nous transmettre la proposition de paix monténégrine
portaient les signatures personnelles du roi Nicolas et de ses
ministres. » \
Quelle que puisse tire la tournure définitive que prendrons les
événements diplomstiques su Monténégro et particulièrement l'atti-
tude du roi, du gouvernement et d'une partie plus ou moins
grande de l'armée, le grand fait militaire dietstt, la prise du mont
Looccn, suivie de pris par l'entrée à Cettigné des troupes austro-
hongroises, ne saurai! être altéré ou diminué. La presse française
s'en rend Tort bien compte. Dans le c Figaro », M. Joseph Ttcmach
écrit :
« La prise de l'imprenable Lovcen, — 11 n> a de position*
imprenables que dans les déclamations des rhéteurs 1 —
l'occupation de Cettigné, évacuée ; la main-mise de l'Autri-
che sur le malheureux Monténégro, a bout de forces malgré
toute la vaillance 4e ses petite* armées ; le redoublement do
l'activité navale d'un ennemi que son succès a enhardi et
qui, très méthodiquement, suivant un plan bien conçu, s*
prépare à attaquer Dur&zzo et la côte albanaise ; enfin la
menace grandissante de Cattaro, maltreaee d« l'énorm*
montagne, contre l'Adriatique continuent a produire en
Italie un très douloureux retentissement.
En Italie et chez tous les Allié*, chez nous tous, »
M. Clemenceau s'exprime ainsi :
a La prise du mont Lovcen, qui domine les bouches de Cattaro,
et comporte une maîtrise du point principal de l'Adriatique, est,
pour les alliés en général, et pour l'Italie *n particulier, un coup
désagréable. La presse anglaise en prend acte aasez brutalement,
a son ordinaire, tandis que les journaux italiens manifestent une
mauvaise humeur trop explicable, et que nos feuilles du qu*J
d'Orsay se donnent quelque mal pour atténuer l'affaire, dane là
mesure du possible. Rien n'est difficile à qui n'a pas craint de
présenter comme un succéa l'abandon de l'entreprise franco-an*
glaise aux Dardanelles. >
LA TERREUR A SALONIQUE
Au sujet de ! arrestation illégitime des consuls des Puissances
centrales cl de leurs alliés par les soldats du général Serrai], un
lecteur français nous adresao la protestation que voici, qui démon-
tre qu'il reste des consciences françsiies auxquelles répugnent
les méthodes anglaises pratiquées 4.Salonique.
Il y a en Europe une nouvelle Bastille : Salonique. Der-
rière les fortifications que les Alliés ont édifiées autour de
cette ville, sont emprisonnés le .Droit, la Liberté^ le Respect
d'autrui. '
Pour accomplir la délivrance morale de l'Europe, le*
énergumènes qui dirigent la politique balkanique franco-an-
glais* ont inauguré un régime nouveau : celui de la terreur.
Non contents de violer la neutralité de la Grèce an s'ina-
tallant en maîtres dans son territoire, les h protecteur* de*
petits Etats » — eux dont le cri de guerre est la fondation
d'une Europe nouvelle, où les traités feront foi et où les
chiffons de papier redeviendront dea chartes intangibles I_—
viennent de porter un nouveau coup a, la liberté humaine et
au droit des peuples, an arrêtant les consuls de la Quadrupla
Alliance, leurs familles et les autres personne* présente*.
FEUILLETON DE LA eQAZETJS DBS AIIDEKNES»
LE GRIME DE LA RUE MORGUE
Par Edcak Allah POE
Jo pris les pistolets, sans trop savoir ce que je faisais,
pouvant & peine en croire mes oreilles, — pendant que
Dupin continuait, à peu prés comme dans un monologue.
J'ai déjà parlé de ses manières distraites dans ces moments-
la. Son discours s'adressait k moi ; maia sa voix, quoique
montée s un diapason fort ordinaire, avait cette intonation
que l'on prend d'habitude en parlant a quelqu'un placé à
une grande diitaace. Ses yeux, d'une expression vague, ne
regardaient que le mur.
— Lea voix qui se disputaient, disait-il, les voix enten-
duca par les gens qui montaient l'escalier n'étaient pas
celles de ces malheureuses femmes, — cela est plus que
prouvé par l'évidence. Cela nous débarrasse pleinement de
La question de savoir (i la vieille dame aurait assassiné sa
fille et se serait ensuite suicidée.
Je ne parle de ce cas que par amour de la méthode ; car
la force de madame l'Espanaye eût été absolument insuffi-
sante pour introduire le corps de sa Clic dans la cheminée,
de la façon où on l'a découvert ; et la nature des blessures
trouvées sur sa propre personne exclut entièrement l'idée de
suicide. Le meurtre a donc été commis par des tiers, et les
voix de ces tien sont celles qu'un u entendues se quereller.
Permettez-moi maintenant d'appeler votre- attention, —
non pas sur les dépositions relative* a ces voix, — mais sur
c* qu'il y a de particulier dans ces dépositions. Y avez-voua
remorqué quelque chose de particulier?
Je remarquai que, pendant que tous les témoins s'accor-
daient h considérer la grosse voix comme étant celle d'un
. Français, il y avait un grand désaccord relativement à la
voixjiiyue, ou, comme l'avait définie un seul individu, a la
voix âpre.
— Cela constitue l'évidence, dit Dupin, mais non 1*
particularité de l'évidence. Vous n'avez rien observé de dis-
tinctif ; — cependant il y avait quelque choie à observer.
Les témoins, remarquez-le bien, sont d'accord sur la grosse
voix ; la-dessus, il y a unanimité 1 Mais relativement à la
voix aiguG, il y a une particularité, — elle ue consiste paft
dans leur désaccord, — mais en ceci que, quand un Italien,
un Anglais, un Espagnol, un Hollandais essaient de la
décrire, chacun en parle comme d'une voix d'étranger,
chacun est sur que ce n'étaH pas la toïx d'un de ses cosurtsy
triotes.
Chacun la compare, non pas a la voix d'un individu
dont la langue lui serait familière, mais justement au con-
traire. Le Français présume que c'était une voix d'Espagnol,
et il aurait pu distinguer quelques muta s'il était familiarisé
avec l'espagnol. Le Hollandais affirme que c'était la voix
d'un Français; mais il est établi que le témoin, ne sachant
pas le français, a été interrogé par le canal d'uu interprète.
L'Anglais pense que c'était la voix d'un Allemand, et il
n'entend pas l'allemand. L'Espagnol est positivement sût
que c'était la voix d'un Anglais, mais il en juge uniquement
par l'intonation, car il n'a aucune connaissance de l'anglait.
L'Italien croit a une voix de Russe, mais il n'a jamais causé
avec une personne native de Russie. Un autre Français,
cependant, diffère du premier, et il est certain que c'était
une voix d'Italien ; mais, n'ayant pas la conna Issu née de
celte langue, il fait comme l'Espagnol, il tire sa certitude
de l'Intonation, Or, cette voix était donc bien insolite et
bien change, qu'on ne pût obtenir à son égard que de pa-
reils témoignages ? Une voix dans les intonations de laquelle
des citoyens des çinq grandes parties de l'Europe n'ont rien
pu reconnaître qui leur (ut familier 1 Vous me direr que
c'était peut-être la voix d'un Asiatique ou d'un Africain.
Les Africains et les Asiatiques n'abondent pas è Pans, mois
sans nier U possibilité du cas, j'appellerai simplement votre
atlcnlion sur trois points.
Un témoin dépeint la voix ainsi : plutôt âpre qu'aigul.
Deux autres en parlent rnmme d'une voix brève et saccadée.
Ces témoins n'ont dislm<rué aucunes paroles, — aucuns
sons ressemblant à des paroles.
Je ne sais pas, continua Dupin, quelle impression J'ai
pu faire sur votre entendement; mais je n'hésite pas a af-
firmer qu'on peut tirer des déductions légitimes de cette
partie môme des dépositions, — la partie relative aux deux
voiï, — la grosse voix, et la voix aiguë, — très suffisante*
en elles-mêmes pour créer un soupçon qui indiquerait la
route dans loule investigation ultérieure du mystère.
J'ai dit : déductions légitimes, maia cette expression ne
rend pas complètement ma pensée. Je voulais faire entendre
que ces déductions sont les seules convenable*, et que ce
soupçon en surgît inévitablement comme le seul résultat
possible. Cependant, de quelle nature est ce soupçon, je ne
vous le dirai pas immédiatement. Je désire simplement vous
démontrer que ce soupçon était plus que suffisant pour
donner un caractère décidé, une tendance positive ù l'en-
quête que je voulais faire dans la chambre.
Maintenant, transportons-nous en imagination dans
celte chambre. Quel scia le premier objet de notre recher-
che ? Les moyens d'évasion employés par les meurtriers.
Mous pouvons affirmer, n'est-ce pas, que noua ne croyons
ni l'un ni l'autre aux événements surnaturels P Mesdames
l'Espanaye n'ont pas élé assassinée* par les esprits. Lee
auteurs du meurtre étalent dea Cires matériels, et ils ont
fui matériellement.
Or, comment? Heureusement, il n'y a qu'une manière
de raisonner sur ce point, et cette manière nous conduira a
une conclusion positive. Examinons donc, un n un, les
moyens possibles d'évasion. Il est clair que les assassins
étaient dans la rhambre où l'on a trouvé mademoiselle
l'Espanaye, ou au moins dans la chambre adjacente quand
la foule a moulé l'escalier. Ce n'est donc que dans eea deux
chambres que nous avons à chercher des issues. La police a
.levé les parqueta, ouvert les plafonds, sondé la maçonnerie
des murs. Aucune issue secret* n'a pu échapper à sa pers-
picacité. Mais je ne me suis pas fié à ses yeux, et j'ai examiné
avec les miens ; il n'y a réellement pas d'i&sue secrète. Les
déni portes qui conduisent des chambres dans le corridor
étaient solidement fermées, et les clefs en dedans. Voyons
les cheminées Celles-ci, qui sont d'une largeur ordinaire
jusqu'il une dislnnce de huit ou dix pieds au-dessus du
foyer, ne livreraient pas au delà un passage suffisant i un
gros chat.
L'un possibilité de la fuite, du inoins par les voies ci-
dessus indiquées, étant donc absolument établie, nous en
sommes réduits aux fenêtres. Personne n'a pu fuir par celle*
de la chambre du devant, sans être vu par la foule du de-
hors. Il a donc fallu que les meurtriers s'échappassent par
celles de lt chambre de derrière.
Maintenant, amenés, comme nous le sommes, • cette
conclusion par des déductions aussi irréfragables, noué
n'avons pas le droit, en tant que raisonneurs, de 1a rejeter
■ en raison de son apparente impossibilité. Il ne noua reste
donc qu'à démontrer que cette impossibilité apparente
n'existeras en réalités
Il y a deux fenêtres dans la chambre. L'une des deux
n'est pas obstruée par l'ameublement, et est restée entière-
ment visible. La partie inférieure de l'autre est cachée par
le chevet du lit, qui est fort massif ci qui cai puuuii-kuit
contre. On a constaté que la première était solidement assu-
jettie en dedans Elle a résisté aux efforts les plus violent*
de ceux qui ont essayé de ln lever. On avait percé dans son
châssis, h gauche, un grand trou avec une vrille, et on y
trouva un gros clou enfoncé presque jusqu'à la tête. En
examinant 1 autre fenêtre, on y a trouvé un clou sembla-
ble ; et un vigoureux effort pour lever le châssis n'a pas ea
plus de succès que de l'autre côté. La police était dès lor*
pleinement convaincue qu'aucune fuite n'avait pu s'effectuer
par ce chemin. II fut donc considéré comme superflu de re-
tirer les clous et d'ouvrir les fenêtres.
Mon examen fut un peu plus minutieux, et cela, par 1*
raison que je vous ai donnée tout à l'heure. C'était le ca*. -
je le savais, où il /allait démontrer que l'impossibilité
n'était qu'apparente.
Je conlinuai à raisonner ainsi, — à posteriori. Les meur-
triers s'étaient évadés par l'une de ces fenêtres. Cela étant,
ils ne pouvaient pas avoir réassujetti les châssis en dedan»,
comme on les a trouvés; considération qui, par son évi-
dence, a borné les recherches de la police dans ce sens-la.
Cependant ces châssis étaient bien fermés. 11 faut donô
qu'ils puissent se fermer d'eux-mêmes. U n'y avait.pin
moyeu d'échapper à cette conclusion. J'allai droit k la fe-
nêtre non bouchée, je retirai le clou avec quelque difficulté,
et j'essayai de lever le châssis. 11 a résisté k tous nie* ef-
forts, comme je m'y attendais. H y avait donc, j'en étais sûr
maintenant, un ressort caché ; et ce fait, corroborant mop
idée, me convainquit au moins de la justesse de mes pré-
misses, quelque mystérieuses que m'apparussent toujours
les circonstances relatives aux clous. Un examen minu-
tieux me fit bientôt découvrir le ressort secret. Je le pous-
sai, et, satisfait de ma découverte, je m'abstins de lever le
châssis.
(À suivre. )