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Gazette des Ardennes: journal des pays occupés — Januar 1916 - Dezember 1916

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2- Année. — N' 217.

JOURNAL DES PAYS OCCUPÉS PARAISSANT QUATRE FOIS PAR SEMAINE

On s'abonue dans lous les bureaux de poste

Lettres familières d'un prisonnier français

a

Je

n.

Parlons donc aujourd'hui, «mi Chauvin, de ce»
fsmoux « excès» aussi variéa qu'innumérables que, dès
les premières semaines de l'invasion, votre chauvinisme
averti (oh I combien I), et-vengeur (oh J que vengeur !),
accusa, à la face d'un monde horrifié, l'armée alle-
mandn tout entière de commettre délibérément et par
ordre : Le vol, le viol, le meurtre, le pillage, l'incendie
à la guise des pétroleuse*, le dépeçage par quartiers dea
pauvres petits enfants, etc., etc., faisaient, il j'oie dire,
comme un désert de tel derrière le* hordes ger-
maniques.

Bref, c'était une nouvelle invasion de» Barbares, un
déchaînement inouï du /uror teutonicus, la plus car-'
nagienne terreur érigée en système I C'était, à voui
ouïr, Attila et Cambyse, Cartouche et Gengis Khan fai-
sant quadrige au char de l'infâme « Kultur » I

Mon pauvre ami I

Qu'il y ait eu dea excès, en Belgique aurtout, où la
population ne fut pas toujours tendre à l'envahisseur
et se livra (cela semble dûment acqui» à l'histoire), à de
cruels sévices sur les blessés et les traînards, je veux
bien vous le concéder, car le contraire aérait, pardieu,
trop étonnant, — la guerre étant par excellence l'élé-
ment de la « bote humaine u. Mais cet excès (je devrais
plutôt écrire ces représailles), ne furent que le fait
d'une infime minorité, et il est souverainement injuste
et d'une déplorable politique d'en faire porter la res-
ponsabilité à toute l'armée allemande, si merveilleuse-
ment disciplinée,-abondante en intellectuels du plus
rare mérite, et commandée par des chefs qui ne sont
pas des brutes. Oui, si les Allemands eurent parfois
la main lourde, ce ne- fut point parce qu'Allemands,
mais parce que conquérants en butte à cette guérilla
meurtrière qui, de tout temps et cher tous les peuple*,
eut le don d exaspérer le aoldat" régulier. Que diantre,
vous me concéderez bien que l'on ne met pas des mil-
lion* d'hommes en branle, les armes a la main, sans
remuer- peu ou prou,l'écume et la lie d'une nation. Et
ce que les Germains, par nécessité vitale, firent en Bel-
gique eL dans quelques rarissimes coins de notre Nord
français, nous l'aurions fait de même, cher eux, nous
les Alliés, — mus par la seule haine. Souvenez-vous du
y geste s cosaque dans la Prusse orientale !

Autrement dit, point d'armée sans soudards I....

Ami Chauvin, j'ai fait toute la guerre de tranchées
jusqu'au déclanchcnient formidable de la bataille de
Verdun. Durant ces seize mois de front, J'ai connu
grand nombre de poilus et d'officiers ayant combattu
en Belgique, en Champagne, en Artois, «n Argonne,
on Woëvre ; je les ai interrogés avidement sur ce qu'il»
avaient pu voir ou apprendre de certain touchant cette-
a barbarie allemande u qui me tenait si fort au eccur,
lorsque je partis pour la guerre. J'ai donc le droit d es-
compter que mon dire ici ne vous paraîtra point dénué
de toute compétence. Hé bien, je n'ai jamais ouï porter
par aucun de ces poilus-là, non, jamais, la moindre
accusation contre les « Boches ». Par contre, plusieurs
se sont loués de leurs procédés. L'un, par exemple, en
,« carafe » depuis trois jours dans un champ de bet-
teraves, avec » une patte de derrière » cassée, avait été
secouru par un feldwebel qui, après l'avoir pansé

♦ Voir nu N' 2M de la « Gaiettt »

«comme aurait pu le faire un infirmier», lui avait
donné à boire, du pain et des cigares, et puis était parti
en lui serrant la muin, et en s'excusanl «poliment»
de ne pouvoir faire mieux, lui-même «'efforçant de
regagner ses propres lignes. Un autre, légèrement
amoché, avait été pansé sur le champ de bataille par
un major allemand, puis renvoyé avec plusieurs cama-
rades encore ingambes, ledit major poussent même la
oomplaisancc jusqu'à leur indiquer sur la carte le plus
■ûr chemin pour rejoindre les lignes françaises. Je
vous donne ces deux exemples entre dix, parce qu'ils
datent de la bataille de la Marne et n'en sont donc que
plus topiques. Moi-même, oui, moi qui vous parle, je
dus, avec toute ma demi-section, la vïc à la générosité
des poilus allemands, dans les branchées de 1'....
Peut-être vous conterai-je cela quelque jour — et de
quelle noble manière un faraud de aous-oft" manifesta
à ces k barbares >< sa reconnaissance de Français civilisé!

Je ne vous cacherai point, d'ailleurs, que les ridi-
cules préjugés de l'arrière ont toujours eu le don de
nous faire hausser les épaules, à nous Iranchériens, Et
nous en avons fait plus d'une gorge chaude, je vous
prie de le croire, dans nos longs entretiens au fond des
cagebis.

Vous savez que. les Allemands ont évacué, en 1915,
une appréciable partie de la population civile des pays
occupés, Vous savez aussi que la défense mobile de
Verdun comptait un nombre extrêmement considérable
d' « envahis ». Vous savez enfin que j'étais l'écrivain
public de beaucoup de ces camarades plus illettrés que
des mouches. Et je ne vous étonnerai point, en vous
affirmant que mes pauvres «envahis» s'enquéraient
diligemment de ce qui s'était passé chez eux. C'est par
dizaines de dizaines que j'ai eu a déchiffrer les réponses
des femmes, des pères, des mères, des sœurs, etc.,
rentrés en France après plus d'un an, souvent, de
domination allemande. Hé bien, là encore, jamais la
moindre discordance dans les renseignements donnés,
je pense, de bonne foi — en toute indépendance : pas
une seule accusation de barbarie ni de pillage. Pas une
•ewle femme se plaignant d'avoir été insultée. Certes,
des pillages de maisons abandonnées, il y en avait eu,
surtout dane les villages, alors 'que le populaire affolé
fuyait précipitamment l'invasion. Mais ces pillages
étaient le seul fait des mourais garnements du pays.
Un exemple entre cent de ces excès bel et bien français,
que votre chauvinisme si averti uc laisba point, cepen-
dant, de mettre avec sérénité au compte des" «Vandales»
(ces pelés, ces galeux 1). La famille de inon cuistot
•'•nfuit à la nouvelle de l'approche des Allemands.
A un quart de lieue du village, la mère se rappelle
soudain qu'elle a oublié sur la table la bourse du mé-
nage. Vite, un «Uot» retourne à toutes pédale* et,...
trouve en ce logis qui n-était pas abandonné depuis
vingt minute», un patriotique voisin qui s'activait
tranquillement, avec sa femme et ses gosse», à ne rien
laisser de vaillant aux n sales boches » attendus !

Tous ces correspondants vantaient, en outre, l'ordre
•t la propreté que les Allemands faisaient régner par-
tout où ils s'installaient, et j'ai bonne souvenance qua
beaucoup s'étonnaient dea singulières histoires qui
avaient cours en Fr»nce, sur le» « Boches ». Par contre,
combien de fois, dans les divers cantonnements que
me Ût connaître ma longue carrière de tranchérien,
n'ai-je pas entendu de malheureux paysans rneusiens
nous dire; «Nous avons eu le» Prussiens avant vous,
•t ils n'ont jamais touché à- rien. Tout ce qu'ils pre-
naient, ils le payaient, et ils respectaient no» femmes ;
tandis que vous autres, voub gâtez à plaisir, vou»
chapardez effrontément, et lorsque nous venons nous
plaindre à vos officiers, nous les trouvons qui tiennent

■ nos « piotes » des propos dont rougiraient des
•inges....»
Passons.

Je le dirai ici sans feinte ; je n'upprouve point cette
tactique — aussi vieille d'ailleurs que le canon lui-
même •— qui consiste à bombarder les villes même
ouvertes (comme s'il y avait encore des villes ouvertes,
i derrière les tranchées I) à ruiner matériellement le plus
possible l'adversaire, pour l'amener plus tôt à quia.
Mais devant que de m'indigner du u lâche» bombarde-
ment de Reims, d'Arrus, de Soissons, j'attendrai de voir
qu'elle sera la conduite de nos armées devant Coblentz,
Mayence et Cologne, lorsque le Napoléon attendu,
ayant enfin rompu le front allemand, atteindra vic-
torieusement le Rhin — ce qui, évidemment ne peut
manquer d'arriver une année ou l'autre, Tommy ai- -
dant ! N'en prend-il pas bien le chemin P 11 n'est,
pardicu, que d'avoir patience : La guerre de Troie ne
l'est pas faite en un jour."* •

Pourquoi celte sage réserve, ami Chauvin }
Simplement parce que l'inflexible logique, dont je me
targue, me fait voir un parallélisme indiscutable, un
rapport étroit entre ceci : Reims, et cela : le Maroc I
C'est que je me souviens encore de la façon un peu
trop cavalière, vraiment (soyons modérés), dont no»
Lyautey et nos d'Ainade réduisirent les rebelle» (f)
marocains. Et si nos 75 n'incendièrent que des douars
et des gourbis, ne démolirent que de vulgaire» mos-
quées, c'est apparemment qu'ils n'eurent rien de mieux
à se mettre dans la marmite, si j'ose user d'une image
aussi risquée. Mais le principe est exactement le même.
D'ailleurs, voyez de quelle façon les Anglais viennent'
de traiter Dublin, pour réduire plus vite, pojir étouffer
dans l'œuf l'insurrection — la noble insurrection ir>
landau e /

Ami Chauvin, haïssons notre ennemi, soit: je le
veux bien. Mais, de grâce, ne le dénigrons point. Car
si nous dénigrons un ennemi que nous n'arrivons pas
à vaincre, — sur qui retombera le mépris, en fin de
compte ?

BULLETINS OFFICIELS ALLEMANDS

Grand Quartier gênerai, te 27 juin 1010.
Théâtre de la guerre à'l'Ouest.
Sur le front anglais et h l'aile nord du front français de»
combats de patrouilles se sont livrés à plusieurs reptiles.
De nombreuses nuées de gaz et de fumée furent dirigées
vers nous ; elles ne firent aucun tort aux troupes allemandes
et refluèrent partiellement dans lot tranchées ennemies.
Le feu de^l'adversaire fut particulièrement vif contre nos
positions des deux cdtéi de la Somme. Le bombardement
de Nesle par les Français a tué ou blessé a3 de leurs propre»
compatriote;.

Sur la rive droite de la Meuse, des attaques françaises
tu nord-ouest et à l'ouest de l'ouvrage cuirassé de Tlilaumont
ainsi qu'au sud-ouest du fort de Vaux restèrent sans ré-
aultst. Au Bois du Chapitre un détachement ennemi, fort
de deux officiers et de quelques douzaines d'hommes, fut
fait prisonnier par surprise.

Un biplan anglais fut abattu en combat aérien à l'est
d'Arras ; les passagers sont blessés et prisonniers,

Théâtre de la guerre à l'Est.
Groupe d'armée du feldmaréchal von Hindenburg.
Des détachements allemands, qui poussèrent jusque dans
les positions ennemies, ramenèrent au sud de Tvekkau 16 pri-
sonniers, 1 mitrailleuse et 1 lance-bombes et au nord da
■lac de Miadziol 1 officier, 1B8 hommes, fi mitrailleuses et
4 lance-bombes. Des patrouilles ennemies furent «pous-
sées.

La gare de marchandises de Dûuaburg fut copieusement
bombardée.

Croupe d'armée du feldmaréchal Prince Léopold de Bavière,

La situation est sans changement.

Groupe d'armée du général von^Linsingcn.

Au sud-ouest de Sokul nos troupes enlevèrent d'assaut
des lignes russes et firent quelques centaines de prisonniers.
Des contre-attaquca ennemies restèrent partout sans succès.
Théâtre de la guerre aux Ualkans.

Aucun événement essentiel. <
Grand quartier général, la 28 juin 1910.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.

Du canal de La Baisée jusqu'au sud de Is Somme, l'ad-
versaire entreprit, avec l'aide d'une artillerie nombreuse et
puissante et après des coups de mines, ainsi que sous la pro-
tection do nuées de fumée et de gaz, des poussées de recon-
naissance, qui furent rejettes sans peine.

En Champagne également, des entreprises de faibles dé-
tachements ennemis échouèrent au nord-est de Le Mesoil.

Sut la rive gauche de la Meuse des détachements de gré-'
nadiers ennemis furent repoussés, dans la nuit, au « Mort-
Homme ».

Sur la rive droite du fleuve, après une très violente pré-
paration d'artillerie qui dura environ douze heures, les
Français attaquèrent pendant toute la journée," avec d'impor-
tantes forces, en partie nouvellement amenées, les positions
Conquises par nous, le a3 mai, sur la cote de u Froide-
Terre », le village de Fleury et les lignes y attenant 1 l'est.
Toutes les attaques s'effondrèrent complètement et l'ennemi
a subi des pertes extraordinaires sous les feux de barrage d»
notre artillerie et dans la lutte avec notre vaillante infanterie.

Un aviateur ennemi fut abattu près de Douaumont. Le
•6 juin, le lieutenant Hoehndorf mil hors de combat son
septième avion ennemi, un biplan français, près de mu-
sou rt (au nord de Nomeny).

_ Une nouvelle enquête a démontré que l'indication de no-
tre communiqué du a3 juin, disant que dea Anglais s'étaient
trouvés parmi les agresseurs de Karlsruhe tombés en capti-
vité, n'est pas exacte. Tous les prisonniers sont Français.

Théâtre de la guerre à l'Est,
Le groupe d'armée du général von Linsingen
a enlevé d'assaut le village de Linicwka (à l'ouest de Sokul)
et les positions russes situées au sud du village. A part cela,
aucune modification essentielle.

Théâtre de la guerre aux Balkans.
A part des combats d'artillerie entre le Verdar et le lac
de Dojrmn, rien a signaler.

BULLETINS OFFICIELS FRANÇAIS

Paris, 22. juin 1916, aoir.

Dana la Tégion au sud de Lassigny, une forte reconnaissance
allemande a attaque va da nos postes avancés après une prépara-
lion d artillerie, Repoussé par noa faux, 1 ennemi s'est disperse en
laissant plusieurs cadavres sur U terrain

Sur les deux rives da la Meuse, la bombardement par obus 4»
gros.calibra a continué toute la journée avec une extrême violence.

Sur la riva faucha, l'sanemi a particulièrement dirige ses feux
aur noa posluona d» la cote B04 et du Mort-Homme et sur no*
deuilfcmea lignes dans la région d'Eanes et de Chattancourl. A
Il heures, une attaque dirigée sur noa tranchées entre la cote 30*
•t U ruisseau de Déthiacourt a été-complètement repousse e après
eue lutte très vive è la grenade.

Sur ls riva droite, une contre-attaque effectuée par non: dans
raprés-mldi nous s permit de réoccuper la plus grande partie des
éléments où l'ennemi avait pris pied la nuit dernière cuire le bois
Fumio et 1* Cbenoia.

Le bombardement, à partir de 1S heures, a pris un caractère de
violenco inouïe sur le front au nord de 1 outrage de Thia unions, le
bon de Vaux-Chapitre et le secteur de la Laufée.

En WoSvra, ta lutte d'artillerie a été intense dans la région du -
fted-dei-Coles-de-Meuse

Canonnade ssses vive sur le reste du front, notamment ta
Champagne dans le secteur du Mont-Tétu.

Le guerre aérienne : En représailles des bombardée il'ni s suc-
•eaaifs effectuée par les Allemands cea derniers jours, sur les
rille» ouvertes de Bar-le-Duc et Lunévflla, nos escadrilles ont eié-
euté plusieurs opérations en territoire ennemi. Dana la nuit du 21
au 22, dix-huit obua ont été lancés sur la ville de Trêves 00 un

FEUILLETON DE LA •GAZETTM D&a ARDENHBS» 43

LA GUERRE FATALE

Par le Capitaine DANRIT

La veille, comme ce jour-là., 1a prise de possession des
avenues, des plates et des gares s'était effectuée sans un seul
coup de feu.

11 n'y avait eu, dans cet amas de cinq millions d'habi-
Unis, ni direction reconnue, ni pouvoir assez fort pour dé-
cider et organiser la résistance.

Ls division, cette arme ai familière à l'Angleterre elle*
•Mme, avait paralysé tout le monde. ,

Apres avoir, comme il convenait k leur phariaaïsme Irai
dilionnel, flétri les Parisiens qui, en 1870 avaient orga-
nisé la Commune après la prise de leur ville, les Anglais
venaient de donner au monde ls spectacle d'un pays se
déchirant 'kous les yeux de l'ennemi, avant même son
arrivée.

Il est vrai qu'il y avait à; cette Révolution qui se eubs-
HJtjait Q ls u Défense Nationale m un adjuvant terrible : la
f im

L'n pouvoir nouveau s'était dressé depuis un mois au
ceniie même de Londres, en face du gouvernement, d'abord
■ous couleur de vouloir l'assister, puis, quand les événe-
ments se précipitèrent, pour le supplanter.

Son noyau avait été la municipalité de ls Cité, et étant
donné les traditions et l'esprit de cette corporation, tes urs-
rniirs actes n'avaient eu au début rien de révolutionnaire :
c était d'ailleurs la seule municipalité de ls capitale ; mais
autour d'elle étaient venus bientôt se grouper les «ainsi,
«puis longtemps mécontenlea de n'avoir aucune influence

da

. —q 1 moi-vjiiiciiici uc n avoir aucuns înuueuce
«11 la direction des affaires, de la police et des travaux
« la capitale, et cette assemblée avait pris le
Conseil Métropolitain.

Ce Conseil dont jamais le Parlement n'avait voulu, parce
Su « pressentait en lui un rival redoutable, les événements
«avaient créé presque naturellement. Le Lord-Maire, bien

qu'il fui de cceur avec le Gouvernement, avait été obligé d»
se mettre i sa t»te. Ses attributions avaient consisté exclu-
sivement tout d'abord s prendre ries mesures pour nourrir
la population : mais cette question même de ravitaillement
avait pris une telle acuité, que son rôle, sous la pression
da l'émeute, devint prépondérant quand les Français pa-
rurent.

A la nouvelle du débarquement dea Français, un autre
élément, celui U plus puissant et plus actif que tous les
sutrea, et dont l'altitude menaçante .Inquiétait vivement 1»
Gouvernement, entra dans 1s Conseil un soir d'émeute ;
•'était celui des Tradc-Unions, sociétés ouvrières liguées
four le maintien des salaires.

Cette fois c'était bien la Révolution qui s'installait dans
la Cité.

Ge jour-là, au lieu de délibérer avec un semblant de cor-
rection dans un- salle de séances, une fraction du Conseil
klétropolitsin commença à tenir ses aaeises sur les places et
I U croisée dea grandes avenues ; des orateurs populaires
surgirent qui accélérèrent ls marche de ses revendicatIons,
la multitude l'appuya de son Dot grondant et ce fut 0 coups
de canon que les volontaires du Wcst-End, défenseurs atti-
trés de l'aristocratie et du haut commerce, écartèrent ce
meeting de Traialgar-Square, le lieu de rcndez-vous-coiisa-
exé des grands mouvements populaires.

C'était le bruit de celle lutte que le général Jeamierod
avait entendu le 13 septembre du haut di la nacelle du
ballon captif. Pendant la nuit des placards révolutionnaires
furent apposés sur tous les murs, appelant le foulo dans la
Cité, et le lendemain 16, le Conseil Métropolitain, enflé de
•lus de 600 membres des Tra des-Un ions, se rassembla dans
la grande salle du Guildhall.

Le peuple y pénétra derrière lui en demandant du pain
eu la paix. Une bande d'ouvriers des docks, sans ouvrage
depuis trois mois, emporta lu statue du Lord-Maire Dcckford,
le premier qui eût osé, malgré l'étiquette, demander la pa-
role en présence du roi Georges III et que la corporation de
Londres avait récompensé, par l'érection d'un marbre, de cet
acte, de civisme ; une autre bande, formée des nombreux ma-
rins appartenant aux bâtiments de commerce entassés depuia
des mois dans l'estualrc de la Tamise, se saisit des colosses en
bols sculpté qui encadraient U tribune, Gog et Uagog, gar-
sliens symboliques de la Cilé, et la multitude s'enfla derrière

ces signes de ralliement qu'entourèrent bientôt toute un»
ûorsison de drapeaux rouges et noirs.

Les manifestants je dirigeaient vers Cannon-Strect pour
fagner Westminster par les quais.

A 11 heures du malin, un flot d'êtres humains, affamés,
livides, exaspérés, grossi d'un autre flot venu do la rive
droite par le pont do Londres et le pont de la Tour, roulsient
dans le Strand et le long do Vicloiia-EmbranLmcnt, cea mer-
veilleux quuis de deux milles de long qui avaient plus fait

pour la prospérité et l'embellissement de Londres que 1,'édi
fication de ceut monuments. Le flot poussant toujours, des
centaines de manifestants tombèrent a l'eau et débordèrent

sur les ponts de Waterloo et de Cbanng-Cross ; en quelques
minutes Trafalgar-Square, que le War-Office avait pu jus-
que-là. garder libre comme une place d'armes nécessaire
aux mouvements de troupe et de police, se trouva rempli
d'une multitude grouillante et hurlante ; les lions qui en-
tourent la colonne de Nelson, les stolues de Charles 1", de
Nspier, de Gordon, de Georges IV, les fontaines disparurent,
tous des grappes humaines ; une rumeur formidable accueil-
lit l'arrivée des baïonnettes vers Channg-Cross.

Les volontaires n'osèrent, comme la veille, tirer le canon;
tls t>e replièrent sur Westminster, abandonnant su torrent
l'Amirauté, la caserne des llorse-Gnurds, le Forcign-Oflice,
Dowcntug-Strect et tout le parc de Saint-James.

Trouvant un écoulement dans le parc royal et dmis Pic-
cadily, la multitude cessa de s'écraser du côté du Palais du
Parlement et le courant put être endigué à WesLminstcr-
Slnlion, du côté du quai Victoria, à l'entrée de Whitehall,
k Buckinyhara-Palacc et Victoria Street ; les volontaires
braquèrent leurs pièces devant l'Aquarium ; c'était de là
que Cromwell, dont la mère demeurait Tfcm King-Strect, et
ses farouches Tefcs Rondes étaient partis en 1649, pour la
Icniblc campagne d'Irlande.

Dus lors, les membre» du Pailcineul qui s'étaient réunis
en 6éaiue depuis le matin fi lVnn-'in e des graves événe-
ments qui se préparaient uu Guildhall, se trouvèrent comme
enfermés dans leur Palau, entre la foule qui refluuit vers le
Nord et la Tamise.

Les innombrables fenêtres de l'édifice furent aussitôt
garnies de volontaires, magasins chargés ; leurs bataillons
refoulés par la marée montante de l'émeute, s'enfermèrent
dans New-Palace-Yard et bordèrent la terrasse du fleuve ;

les grilles furent fermées et, i 10 heures, le gouvernement
anglais, sveo ses derniers défenseurs, se trouva serré contre
IsuTamlse par l'Irrésistible pression populaire ; il n'avait

Elus d'Issue que du côte da pont de Westminster dont une
ktterie gardait l'entrée.
Or, c'était précisément de ce côté que l'armée français»
arrivait.

Ce jour-là, en effet, à 11 heures du matin, après une
marche lente et mesurée à travers les grande» artères de la
rive droite, les têtes de colonnes apparurent en vue dea ponts
que ohacuno d'elles avait pour objectif, suivsnt l'oidre de
mouvement développé la veille par le général Jeannerod ; Je
spectacle qui s'offrit aux bataillons d'avant-garde fut de ceux

Sue nul pinceau ne saurait rendre, parce qu'on ne rend pus
1 mouvement d'une fourmilière, de ceux même que la plume
se sent impuissante à décrire, parce que le cadre en est trop
vaste et les détails trop confus.

La Tamise s, au pont de Westminster, une lsrgeur de
400 mètres environ, o'est-i-dirc plus du double de ls plus
grande largeur de la Seine dans sa traversée de Paris ; tout
mouvement avait cessé sur ses esux limoneuses et grisi-,
très ; disparue la forêt de mats et d'agrès laissant à peiné),
su milieu du fleuve, un chemin suffisant pour les embarca-
tions de lous tonnages qui s'y croisaient ; disparus les innom-
brables mouches qui allant et venant, s'attachant quelque»
inslanta à la rive comme dea bateaux-insectes, se vidsient
«t se remplissaient sans cesse d'un chargement d'être hu-
mains. Au lieu d'être la grande artère commerciale sillon-
née par tous lea peuples, la Tamise n'apparaissait plus qu»
comme le fossé béant et profond qui séparait deux nations,
deux races irréconciliables.

D'un côté, la foule des révoltés hurlant à la faim et en-
tourant un gouvernement désarmé ; c'était tout ce qui
restait de ces jingoïstes orgueilleux et provoquants qui
se flattaient do ne jamais voir l'étranger dans leurs murs.

De l'autre, l'armée française, ou plutôt le dixième à peine
de cette orruée ; cent mille soldats tout au plus, mais cent
mille soldais disciplinés, confiants dans leurs chefs, enfié-
vrés par le souffle de victoire qui passait sur eux ; des régi-
ments serrés autour de leurs drapeaux comme des citadelle»
mouvante» et, au milieu d'eux, un chef porteur de» pouvoirs
le* plus étendus et venant Imposer à la Cnrthago moderne
les volontés de la France.

(A suivre.)
 
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