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Gazette des Ardennes: journal des pays occupés — Januar 1916 - Dezember 1916

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2" Année. — N- 279.

Charleville, le 13 Octobre 1916.

Gazette des Ardennes

JOURNAL DES PAYS OCCUPÉS PARAISSANT QUATRE FOIS PAR SEMAINE

Ou s'abonne ilaus tous les bureaux de poste

LA FORTUNE D'UN NEUTRE

La guerre, qui ruina lu uni, enrichit les mitres. Un
coup d'oeil tur le* dernière* alatUtlque* publiée* p*r le « Dé-
portement du commerce » américain démontre que, pendant
l'année fiscale finissant la So Juin dernier, les exportation*
américaine» ont atteint l'énorme tomme de 4,334 millioni
de dollars, «dépassant d* i ,565 millions de dollars celles de
l'année précédente. De cette formidable exportation, à peu
près les 3/4 (a,gag millions de dollars) allèrent en Europe
et ont été absorbés presque entièrement par les puissance*
de l'Entente (Angleterre 1S18, France 63i, Italie 371, Rus-
sie européenne 164 millions).

D'autre part les exportations vers les autres continents
se sont élevée* à : 733 million* de dollars pour le Nord de
l'Amérique (possessions anglaises) ; 1S8 millions de dollars
pour l'Amérique du Sud ; 378 militons pour l'Asie ; og mil-1
lions pour l'Australie et 44 millions pour l'Afrique. En
éliminant l'Amérique du Sud, on peut attribuer toute* ce*
exportations aux dominions britanniques, au Jspon et à la
Russie d'Asie, à l'exception de la Chine, qui figure dan. ce
relevé avec une importation américaine de aô millions de
dollars seulement.

Cela représente donc, pour le compte des Alliés, une
nouvelle tranche d'importations de 112g millions de dollars,
ce quij ajouté aux chiffres cités plus haut, donne le formi-
dable montant de 3,73a millions de dollars, soit plus des
8,5 dixième* de l'ensemble det exportations américaine!
pour le compte des puissance* de l'Entente.

Grice au blocus anglais, l'Allemagne et ses alliés échap-
pent à cette emprise économique du Nouveau Monde sur
la vieille Europe. En l'obligeant à se suffire a elle-même,
l'encerclement anglais a rendu la force allemande plus
consciente d'elle-même ; elle a développé se* facultés d'or-
gann-ation qui lui permettront de tenir et de vaiucre.

Mais dans le camp des Alliés ce n'est pas sans appréhen-
sion qu'on envisage la suprématie croissante du monda
américain et ses dangers pour l'avenir de l'Europe. Sou*
le titre h Le Triomphe d'un /Veutre 11, M. Gilles Normand
tUldie le problème dans un article dont voici* les passages
essentiels *

« La fièvre industrielle monte. Il n'y a pas assez de
moteurs ; il n'y a pas assez de tours ; il n'y a pas assez de
cheminées qui fument, de cerveaux qui dirigent et de corps
qui ahanent dans les géhennes nées de la guerre. Le phéno-
mène est le même universellement : en France, er Angleterre,
en Allemagne, en Russie, en Italie, en-Amérique, err Asie. . .
El puitoul, dans les airs, les panaches noirs des combustions
se dissipent au vent : ce sent la* panaclics d* la-inort qi i
prend les os de In jeunesse en Heur. *

Les missions commerciale* traversent les mers ; nous
avons eu la notre, sous la conduite-de M. Damour, au cours
de l'hiver dernier. Elle visita nos- amis des Etats-Unis.
Aujourd'hui, c'est à nous de recevoir la Commission indus-
trielle américaine, qui effectue u une étude sympathique des
conditions industrielles et commerciales de la Francen.

Comme on le voit, ce n'est pas chez les Alliés seulement,
ni seulement chez le* empires centraux qu'on se prépare à
ta guerre économique dont la déclaration n'a rien a voir
avec lu paix future ; le pays de M. Wilson, quoique neutre,
examine lui-même dan* quelles conditions nous serons, de-
main, pour soutenir cette lutte qui s'annonce plus ipre que
las hostilités elles-mêmes. Il n'apparaît pas, toutefois, que
si nous nous préoccupons de rivaliser avec l'Allemagne au
machinisme intact et tout prêt, nom soyons émut de la
prépondérance anglaise, non plus que de la toute-puis-
sance américaine, au point de vue de la production. Pour-
tant, il est intéressa^ de prévoir demain, en jetant un
rapide coup d'oeil sur Te passé et sur le présent ; on établira
ainsi de* pronostics suggestifs, tout a l'honneur et tout k la
gloire des Etats-Unis d'Amérique, auxquels nous achetons
pour plus de 10 millions d'obus par jour, et auxquels nous
aurons recours pouf une infinité de produits, dès que le
conflit mondial aura pris fis* ....

•L'Europe qui, hier, exportait aux Etats-Unis, relative-
ment moins qu'elle n'exportait en 1870, n'exportera pal
davantage. En effet, si la population des Etats-Unis s'était
multiplié par deux, nos exportations n'avaient pas cr^ù dans
cette proportion. Il n'y a pas lieu de croue que ce phéno-

mène se modifiera, à la faveur de nos moyens de production,,
considérablement réduits par lu guerre. C'était surtout uns
diminution de nos produits finis, en fer et en acier, qu'il
fallait constater, parce que les Américains se suffisaient de
plus en plus grâce au développement extraordinaire de leur
industrie métallurgique, amplifiée,outre mesure par le choc
de* peuple*.

Demain, en ce qui'nous concerne personnellement, no*
exportations se loculiseront, il n'en fout point douter, aux
seules industries d'art. Certes, notre suprématie continuera
k s'affirmer dans ce domaine, mais ce domaine, à lui seul,
établira-t-il les compensations nécessaires P Je crois que
l'équilibre déjà faussé, le sera bien davantage encore. . . .
En tous cas, ceux qui parlent de la prohibition du luxe
ont bir.'u tort, puisque les industries de luxe sont la seule
porte de sortie qui nous soi^yéritahlement ouverte.

Ceci ne peut être contesté, car, non seulement les Euils-
Unis qui se suffisaient à eux-mêmes, pour ainsi dire, se suf-
firont da plus eu plus dans l'avenir, mais ils auront uns
surproduction telle,, en raison de l'organisation née" de la
guerre, qui: cette surproduction débordera forcément sur
l'Europe entière, sur l'Angleterre elle-même et sur l'Alle-
magne encore I

Les Etats-Unis avaient décuplé l'importance de leurs
envois manufacturés et multiplié par quinze leurs envois da
machines-outils, machines agricoles, machines à écrire,
machines à coudre, montres, chaussures, vélos, tramways,
etc., etc^ ff sera intéressant, dans quelque temps, de sa-
voir quels suppléments occasionnera la fin du cataclysme
qui ruine l'Europe. L'Amérique, en outre, ne s'en tenait
point là ; elle nous expédiait ses produits •bruts : coton,
peaux, laines, cuirs ; naguère elle ne manufacturait pas ;
l'Europe lui expédiait les objets fabriqués. Maintenant, on
manufacture là-bas dans des proportions sans cesse agran-
die*. C'est le débouché qui se ferme, ~

Rien plus, la guerre développe, de l'autre côté de l'océan,
parallèlement, l'agriculture. Faut-il suppléer à l'insuffi-
sance de nos récolles?... l'Amérique nous envoie: blé,
avoine, viandes, lard, fromages. Les difficultés de la main-
d'œuvre auxquelles nous nous heurtions avant la m'êlée
gigantesque, ne s'atténueront pas ; la hausse des salaires in-
timement liée à celle du prix de la vie ne modifiera pas d'un
iota l'état de choses existant. /Votre pays connaîtra une
enic agraire sans précédent ; les bien«-fonds diminueront
de valeur ; le propriétaire terrien ne trouvera pas toujours
un fermier, et le fermier ne rencontrera pas toujours un
garçon de ferme. -

Cette révolution profonde dans la valeur de la pro-
priété foncière sera peut-être l'événement le plus considé-
rable d'après-guerre. Les temps seront propices aux raids
audacieux-de l'industrie d'outre-mer. L'Amérique, U y a
deux ans, vendait meilleur marché que nous, dans deux
ans elle tiendra infiniment à meilleur compte: la clientèle
affluera. L'Europe, qui, il y a vingt ans, restait en face
d'elle débitrice de plus de deux milliards, sera débitnee
de combien de milliards alors ? ... 11

U y a dans cet article d'un auteur français de quoi faire)
réfléchir les fanatiques de la haine exterminatrice qui, pour-
suivant leur irréalisat-Jc chimère do la « défaite allemande u,
se refusent de voir qu'ils ne font qu'aggraver de jour en jour
la ruine de la.vieille Europe au profit des continents plus
jeunes, qui guettent l'héritage de sa prospérité et de sa
civilisation.

BULLETINS OFFICIELS ALLEMANDS

Grand Quartier général, le 1* octobre W1C.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.

Sur la partie Nord du front les patrouilles anglaises se
montrèrent très actives, comme les jours précédents.

La bataille de la Somme continue. Une répétition dea
attaques ennemies au Nord, de la Somme, sur un large front
comme le 13 octobre, ne réussit pas, gi.îce à nos tnï de
barrage; entre l'Ancre et Morval une forte attaqué par-
tielle parvint seule à se développer pleinement près de
Cueudccourt ; elle fut repoussée ; les attaques débouchant
dr la ligne de Morval jusqu'au Sud de Bouchavesne* abou-
tirent presque partout'à de rudes-coin* h corps, dans les-
quels l'infanterie française cul partout le dessous. Les trou-
pes de* généraux von Boelin et von Canner maintiennent

totalement leurs positions. Au enin Sud de la forêt de St.-
Pierre-Vaast des avantages, ram portés dans des attaques pré-
cédentes, furent de nouveau arrachés aux Français 7 offi-
ciers, 337 hommes et plusieurs mitrailleuses furent oap-
turés. Le 36™° régiment de fusiliers, le /181™ d'infanterie et
la division du major-général von Dresler und Scharfenstein
sv distinguèrent particulièrement. Au Sud de la Somme le
combat repritWe nouveau à Ablaincourt et nous rapporta
de* auccès. Des parties de régiments saxons reprirent par
un hardi coup de main la partie Est de la forêt de l'Enclume
(au Nord de Chaulnes), faisant prisonniers 6 officiers 4oo
hommes.

Dans la région de la Meuse la canonnade atteignit pas-
sagèrement une plus grande violence. A l'Est de la Meuse,
,quelques combats à la grenade sans importance et de faillies
poussées ennemies sans résultat. •

Théâtre de la guerre d l'Est.

Sur beaucoup de points du front à l'Ouest de Luck, vivo
activité de combat.

En Transylvanie. *

La poursuite sur le front Est a fait de bons progrès.
L'ennemi a également cédé à la route de Csik—Szere'da—
"Col de tjyroes.

Aux col «-frontière de la région do Burzcn, les troupe»
coalisées gagnèrent du terrain ; les Roumains perdirent ici
392 prisonniers, dont 8 officiers, ainsi que 6 mitrailleuses.
A l'Ouest du col du Volcan des attaques ennemies furent
- rejetées par coptre-poussée ; & un endroit seulement, l'en-
nemi a pris pied sur la crête.

Théâtre de la guerre aux Balkans.
Groupe d'armée du feldmarichal von Mackensen.
Aucun événement. ' *

Front de Macédoine.
Dans l'arc de la Cerna les nouvelles attaques serbes, qui
se répétèrent jusque dans la-nuit, échouèrent. La situation
est saus changeaient.

BULLETINS OFFICIELS FRANÇAIS

'< Paris, 9 octobre 1916, aoir.

Sur la Somme, activité soutenue do notre artillerie et riposte
de l'ennemi, partiecJicremcnt vive dans la région Sud-Ouest ds
Burlcui et dan* celle do Dclloy et do Dcniccourt. Dans la ma-
tinée, une attuquo ennemie parlant d'un saillant du bois lie Saint-
Piorre-Vaast, à l'Est de Ranc'ourt, a 616 repoussée à la greoade.
Un peu plue tard, une reconnaissance débouchant d'un petit bois,
su Nord-Est de Bouchavesneg, a été dispersée par nos feux 00
mitrailleuses. Bien à signaler sur le reste du front.

Paris, 10 octobre 1916, 3 heures.

Au Sud- do la Somme, activité réciproque "d'artillerie. An
début de la nuit, l'ennemi a dèclanctié un tir do barrage sur la
secteur de Deniécourl et bombardé par obus lacrymogène* las
abords de Lihons. Bien à signaler aur le reste du front.

La guerre aérienne : ' No* avions se sont montré* particulière-
ment actifs dans la région de Rcmircmont et celle de la Somms.
Us ont livré suc combats, bombardé le bois ds Saint-Pierre-Vaasl
et exécuté de nombreuses reconnaissances.

BULLETINS OFFICIELS ANGLAIS

' (Fronl occidental.)

Londres, 9 octobre 1910, 6 h. 40 soir.
Vers le Transloy, un détachement minorai a Sté pris en terrain
découvert sous le feu de notre aitillerie et s'est retiré en désordre.
A lu suite d'une opération secondaire, nous avons progressé au
Nord de la redoute Sluff, en infligeant des pertes sérieuses à l'ad-
versaire et lui faisant plus do 2uu prisonnière, dont 0 officier*. Au
début de 1*/ matinée, nos troupes ont pénétré, avec d'heureux
résultais, dans tes tranchées allemandes, su Sud d'Arraa. Au

Sud-Est d« Souchez, un vigoureux coup de main a amené l'en-
nemi jusque dans un entonnoir a proximité do nos ligne*.
11 en a aussitôt été rejeté avec de fortes pertes.

Londres, 10 octobre 1910, 11 h. 25 matin.
Ce matin au point du jour, un détachement d'infanterie ennomi
a élé pria soui le feu de notre artillerie en terrain découvert
dans les environs de Grandcourt. Un coup de main a été exécuté
avec succès la nuit dernière au Sud-Ouest de Givenchy. Nos
troupes ont pénétré dans les tranchées allemandei qui étaient
Unue* en force. Elle* ont attaqué deux abris i la grenade et
Infligé des pertes à l'adversaire.

RÉPONSE AU « FIGARO »

La <i Gazette de Lorraine», journal quotidien de langue
française qui ic publie k Metz a weproduit également l'ar-
ticle de haine paru en tète du « Figaro n de Paris (voir la
« G aie fie des Ardennes» du 8 octobre). Le journal lorrain
y ajoute « les commentaires d'un collaborateur, né fran-
çais, qui, ayant encore gardé le souvenir de cette ancienne
a noble » France qu'on a toujours admirée et aimée en Alt
lemagne, s'est trouvé profondément violé dans ses senti»
ment* de respect pour son ancienne patrie ».

Le vieux Lorrain écrit en substance :

« Et lorsque vous avez parcouru un pareil morceau de
littérature, amis lecteurs, est-ce que,vous ne sentez pas les
cheveux se dresser Sur votre tête et la sueur vous couler de
votre front ?

« Eai-ce que vous ne restez pas un moment comme
anéanti, vou* demandant si c'est bien U de l'inspiration
française, s'il est bien possible que pareilles pensées et pa-
reils sentiments soient réellement eclos chez les inUlloc-.
tuels d'une nation qui se flatte à"chaquc page de ses jour-
naux, dans chaque discours de ses académiciens et de ses
hommes d'Etat, de n'avoir entrepris la guerre actuelle que,
« pour le progris de la civilisation ? »

Bravade, dérision, inconscience, folie ou aveuglement ?
— On ne sait tout d'abord........

11 Lisez, amis lecteurs, et relisez bien cet article, et vous
.vous dires sans doute ce que je me suis dit à moi-même :

« L'homme «qui a pondu ces lignes est Certainement
suggestionné par la force de sa propre haine, de su propre
imagination. C'est un de ces plumitifs qui écrivent en
chambre, sous l'impression exclusive des picjugîs qu'ils ae
sont forgés et i l'influence desquels ils ne peuvent plu* *e
soustraire, mai* qui n'ont jamais eu de contact séi.eux avec
la grande masse de ceux qui souffrent, qui travaillent et çui
luttent et do ceux ou de celles qui restent la-bas a lu garde
de leurs foyera. Cet écrivain-là ne doit pu connaître le vrai
caractère du vrai peuple français.

« Comme il calomnie les Allemands, de même, eL par
un conLre-coup dont il ne s aperçoit même pas, if n&rat
ses propres compatriotes, en leur prêtant un caractère ttlfc-
ment odieux, qu'il les rendrait méprisables aux yeux de
tous les peuples exempts de préjugés et de parti pris.

« Non, je ne pense pas, je ne peux et ne veux p^s pen-
ser si mol, si affreusement mal des générations chns les
veine* desquelles coule le même sang que dans les miennes
et dans celles de mes Bis et de me* lillce !

k Non, dan* cet abject tabjtau, je ue reconnais plus
rien de la grande âme, de l ame chevaleresque de la vieille
Gaule, telle que j'ai appris à la connaître dans l'hisloiic des
Clolilde, daa Geneviève, des Jeanne d'Arc, des 'Saint-Louis,
rien du sublime esprit des Diderot, des d'AIcmbcil, des
Montesquieu, de* Voltaire, ces génies humains qui ont
arraché la France à la servitude, et l'ont conduite a la con-

Îuête des droits de l'homme ; nen entiu de la boule muée,
e la cordiale franchise que j'ai jadis paitoul rencontrée,
aussi bien cirez les habitants du Nord, que chez (.eux dm
Midi, chez le* nobles et chet les bourgeois et dans les fa-
mille* des plus simples ouvriers de la ville et de* champs.

« D'ailleurs, en relisant bien, j'ai trouvé dans l'iirticlo
deux phrase* où l'auteur inconsciemment se donne tort à
lui-même et qui contribuent singulièrement à me remonter
le moral. D'abord celle-ci : a. Je plains les mères d'Allema-
gne, si ce sont Us Anglais qui, les premiers, pr.ss-ril le
Rhin. » ,

« Par cette remarque, ne met-il pas déjà le peuple fran-
çais à une meilleure place ? Ne rejelte-t-il pas la part la

flus odieuse de cette haine monstrueuse sur le compte do
aillé d'Outre-Manche, laissant entendre par H que, saijs

FEUILLETON DE LA iGAZlîTTB DBS ARDENNES*

le

m « le

Par Pierre Hacl.

PREMIERE PARTIE.

Terre et Ciel.

La prudence la plus élémentaire commandait de lif-
Mrer la tentative et d'attendre le moment oppoilun nour la
renouveler.

Peut-être l'occasion s'offrirait elle plus tôt qu'en ne le
pensait ?

On était, en effet, à l'équinoxe, et les tempêtes du large
■ont terribles dans ces paiagea semés d'Iles et d'tlotwdun-
yereux, hérissés de roches basses et d'écueils implacables,
fardés, en outre, par des courants variables et des Lunes
Capricieuses.

On pouvait prévoir le moment où les assiégeants, aux
prises avec une mer démontée, seraient contraints de s'éloi-

Cer de la côte trop périlleuse. 11 deviendrait possible alors
courir sus aux unités séparées et désemparées et de le*
combattre avec* quelque -chance de succès. Tels furent les
propos attristés et dépourvus de conviction que les ofliciers
entourant l'amiral lui tenaient afin de calmer son chagrin
«4 de ranimer ses*espérance*.

L'agression, d'ailleurs, avait été si brusque, si générale,

tbien concertée et préparée, qu'elle avait pris au dépourvu
France et sa marine. Il fallait, avant d'agir, attendis les
aedres du ministère, la communication du plan adopté par
Fomiraliasime et le Conseil d'amirauté. Jusque-là on ne
pouvait que « voir venir u. *

A toutes ces paroles qui avaient l'intention d'adoucir
■a peine, la vice-amiral dé Kervénan répondait par la plainte
sourde de son impuissance à secourir ses frères d'armes de
la division absente.

« Perdus 1 — proférait-il par saccades, en serrant les
poings, la face convulsée'; — ils sont perdus I »

Eu cet instant critique où les courage* les plus éprouvés
s'exaspéraient jusqu'à la folie, où les plus disiltreuseï ré-
solution* étaient en germe dans tous les esprits, un canot
sa détacha de la cote, Uuveisa le Goulet et vint st ranger
au pied de l'échelle de coupée de 1' « Indomptable a sur le-
quel l'amiral de kervénan avait arboré ses couleurs.

Deux hommes montaient la frêle embarcation. L'un
aemblait être un (impie pécheur, l'autre un officier de vais-
seau en habits bourgeois-dissimulant mal la souplesse da
ses mouvements et l'athlétique carrure de son torse. ,

Ou les avait laissés passer sans encombre au travers des
chaloupes et des canots de guerre. Mais en les voyant ac-
ooster le vaisseau-amiral, une surpnsc s'étuit manifestée à
bord de celui-ci. Un- enseigne, détaché par lof licier de
service, l'avança tur l'échelle et signifia aux deux hommes,
un peu rudement peut-être, l'ordre de .s'éloigner du bâti-
ment. '

Au lieu d'obéir, celui qui paraissait être un officier dé-
guisé prit son rlan à l'avant de l'embarcation cl sauta avec
tant de légèreté et d» bonheur qu'il tomba à pieds joints
sur lu première marche de l'échelle de coupée.

Lu, se découvrant avec politesse, quoique fléreiuent, 1
dit :

* « Lieutenant, voulez-vous annoncer à l'amiral qu'un da
ses anciens aides de camp e une communication urgente k
lui faire P 11 y va du repos de son esprit et du lalut de la
division des Antilles, u

Ces paroles furent prononcée* avec une telle assurance
que l'enseigne an subit l'autorité.

a Veuillez bien attendre, — répondH-fl.— Jm vaii transi
mettre votre dumande. u

Et appelant un matelot fusilier, ctrbout, l'arme au pied,
sur la plaie-forme de l'échelle, *U ajouta :

« Tu vois cet homme. Surveille-1«, et, a* moindre mou-
vement suspect, couche-le en joue I u

Mais à peine le matelot eut-il dévisagé le «bourgeois a,
qu'il ne put retenir un cri :

u Lieutenant, — dit-il k l'enseigne, — mais c'est mon
ancien communJant, c'est monsieur.... s

Il fut interompu par l'arrivée de plusieurs officiers, atti-
ré* pur les rumeur* de l'équipage.

L'un d'euXj un homme de quarante-oinq an* environ,
portant le* galons de capitaine de frégate, fendit la presse
el, reconnaissant, lui aussi, le personnage, objet et cause
de ce trouble soudain, s'écria :

« Comment I c'est toi, Jcuinont ? Toi ? Que viens-tu
faire ici ? »

Et, descenelunt l'échelle, il vint donner une chaleureuse
accplade à l'intrus qui, de son côté, avait gravi quelque*

marches.

« Il faut que je voie l'amiral à l'instant même, que je
lui pai le sans tarder.

—""L'amiral est en plein conseil- de guertfe. Je doute
qu'il te reçoive.

— Fais l'impossible pour cela, Berguet, —: insista l'art
rivant, sur le ton de la euppRcation. — Il y va du salut de
l'escadre des Antilles, m

Il avait prononcé ces paroles h haute voix, pressant,
inquiet, ne craignant pas d'être entendu de l'auditoire de
plus en plus nombreux qui se pressait aux bastingages.

Ce nom de Jeumont avait, d'ailleurs, suscité toutes les
sympathies. C'était celui d'un ofbcier héroïquement, folle-
ment brave, que l'on connaissait dans la mariai par di> vé-
ritables tours de force accomplis au temps où il portait
l'uniforme. Car M de Jeumont avait donné eu démission A
la suite d'un Incident que la preb^e avait qualifié d scanda-
leux », et les plus jeunes parmi les officiers de i' « indomp-
table » étaient curieux de contempler les traits d'un hortiiue
dont on racontait qu'il avait, deux ans plus tôt, soufflaM
an haut fonctionnaire du ministère de la Marine, un poli-
ticien parvenu, è force d'intrigues, a exercer sa funeste in-
fluence sur le personnel civil des bureaux.

II

Ciel et Mer.

Brusquement, les hésitations prirent fin.

Un homme venait de paraître sur le pont, donl la pré-
•enco avait immédiatement imposé silence A tous les com-
mentaires. C'était l'amiral du Roc de KervéntiD en per-
sonne.

u Qu'y a-t-il, messieurs ? Que se pu5^c-t-il ?» — inter-
rogea le vieux marin.

Le capitaine de fu'gate Bci-uet s'avança vers son chef,
la tète di couverte.

« Amiral, — répondit-il, — il y a qu'un ancien officier
de vaisseau, que vous connaissez aussi bien que moi,
M. de Jeumont, est là qui demaude a vous entretenir d ur-
gence.

— Jeumont ? — se récria M. de Kervénan. — Certes,
si je le connut* ! Mais Jeumont n'appartient plus depuis
deux ans à la manne ! Eteâ-vous bien sûr que re soit lui,
Berguet ?

— Amiral, Jeumont et moi avons fait toutes nos cam-
pagnes ensemble. Vous pemëz bien que....

— Vous avez raison. D'ailleurs, je ne m'y tromperai
pas moi-même, u

Et, traversant les rangs, il atteignit l'échelle et le
pencha.

* Un seul coup d'oeil lui suffit, et sa face se dilata. Un bon
sourire se joua sur ses lèvres.

u Montes, Jeumont, — cria-l-il, — vous n'avez pas été
cassé pour.fauies contre le service, u

El quand l'arrivant fut sur le pont, M. de Kervénan lui
•tendit affectueusement la main :

« Vous mez une communiofjion à me faire, mon cher
ami ?

— Oui, amnul

— Uue communication importante ?

— De la dernière importance, amiral.

— Venez donc, u — conclut le Préfet maritime, qui fit
signe à quelques officiera de choix de l'accompagner.

Quand on fut dans le salon de 1' a Indomptable », de-
vant In table chargée de papiers et de document», l'amiral
de Kervénan fit un geste :

u Vou* pouvez -parler, » — dit-il A Philippe de Jeu-
mont

L'ex-lieutenant de vaisseau fit un pas vers son ancien
chef, qui ne 1 était plus aujourd'hui..

« Amiral, — commença-t-il, — votre plus cher désir
%n ce moment semit de prévenir la division des Antilles
des péril* quelle court; votre plus grand chagrin de ne
pouvoir 1* faire.... 11

L'amiral de Kervénan, qui s'était assis, tressaillit et se
leva :

u Comment le savez-vous ?____ demanda-t-ilV biusque-

iitent.

{A suivre.)
 
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