44
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sorte de canon de la beauté contemporaine. En arrivant à Londres,
Rochard dut être étonné et d’abord un peu déconcerté en face de
l’art anglais, libre et indépendant, sans éducation collective, sans
tradition commune, sans préceptes académiques et par suite plein de
surprises troublantes pour un oeil français. Mais Rochard se remit
vite de ce premier étonnement; soit qu’il eût des affinités natives
avec les peintres d’outre-Manche, soit que la vue quotidienne de
leurs oeuvres l’ait converti à leur esthétique autonome, il devient
très promptement anglais. Reynolds le séduit bientôt; il admire en
lui la force et le bonheur d’invention, la science consommée, rompue
à tous les procédés, les arrangements d’une distinction souveraine,
faite de grâce et d’imprévu charmant, qui font des portraits du
maître autant de véritables tableaux. L’élégance aristocratique des
femmes et des enfants de Reynolds, toujours placés au milieu
d’accessoires et vêtus de costumes adaptés à la physionomie et au
rang du modèle, reparaîtront plus d’une fois dans les miniatures de
Rochard '.
Après Reynolds, c’est son brillant élève, Thomas Lawrence, qui
attire le plus le jeune émigré. Quoique très inférieur à son maître,
dont il n’a ni le savoir profond ni la puissance créatrice, Lawrence,
par son coloris facile, par son sens de l’ajustement féminin, sa dispo-
sition abondante des étoffes et des draperies, par sa mise en scène
luxuriante, toutes choses qui tiennent une si grande place dans
ses portraits, captiva Rochard qui avait naturellement un goût très
affiné du pittoresque. Gainsborough et Constable ne le laissèrent
point indifférent; on trouve leur souvenir dans quelques-unes de ses
études de paysage. Faut-il s’étonner que la fréquentation de ces
peintres ait fait de Rochard un artiste vraiment anglais? Il se
britannise à tel point qu’on le prendrait pour un homme du terroir;
il pénètre à fond le type anglais, il en saisit les traits distinctifs, les
gestes familiers, l’allure spéciale; le drap même dont il habille ses
modèles, le fauteuil où il les fait asseoir, le paysage qui les encadre,
tout est foncièrement anglais. Toutefois il se montre moins anglo-
saxon dans ses figures de femmes qui laissent transparaître l’artiste
de race latine, interprétant la beauté féminine avec un sentiment
trop personnel et trop subjectif pour se laisser dominer par les
influences ambiantes.
1. Cette influence de Reynolds éclate dans un portrait du général Mac Gregor,
que nous connaissons par une gravure à la manière noire, de S.-W. Reynolds,
d’après l’original de Rochard. On dirait une œuvre de sir Joshua.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sorte de canon de la beauté contemporaine. En arrivant à Londres,
Rochard dut être étonné et d’abord un peu déconcerté en face de
l’art anglais, libre et indépendant, sans éducation collective, sans
tradition commune, sans préceptes académiques et par suite plein de
surprises troublantes pour un oeil français. Mais Rochard se remit
vite de ce premier étonnement; soit qu’il eût des affinités natives
avec les peintres d’outre-Manche, soit que la vue quotidienne de
leurs oeuvres l’ait converti à leur esthétique autonome, il devient
très promptement anglais. Reynolds le séduit bientôt; il admire en
lui la force et le bonheur d’invention, la science consommée, rompue
à tous les procédés, les arrangements d’une distinction souveraine,
faite de grâce et d’imprévu charmant, qui font des portraits du
maître autant de véritables tableaux. L’élégance aristocratique des
femmes et des enfants de Reynolds, toujours placés au milieu
d’accessoires et vêtus de costumes adaptés à la physionomie et au
rang du modèle, reparaîtront plus d’une fois dans les miniatures de
Rochard '.
Après Reynolds, c’est son brillant élève, Thomas Lawrence, qui
attire le plus le jeune émigré. Quoique très inférieur à son maître,
dont il n’a ni le savoir profond ni la puissance créatrice, Lawrence,
par son coloris facile, par son sens de l’ajustement féminin, sa dispo-
sition abondante des étoffes et des draperies, par sa mise en scène
luxuriante, toutes choses qui tiennent une si grande place dans
ses portraits, captiva Rochard qui avait naturellement un goût très
affiné du pittoresque. Gainsborough et Constable ne le laissèrent
point indifférent; on trouve leur souvenir dans quelques-unes de ses
études de paysage. Faut-il s’étonner que la fréquentation de ces
peintres ait fait de Rochard un artiste vraiment anglais? Il se
britannise à tel point qu’on le prendrait pour un homme du terroir;
il pénètre à fond le type anglais, il en saisit les traits distinctifs, les
gestes familiers, l’allure spéciale; le drap même dont il habille ses
modèles, le fauteuil où il les fait asseoir, le paysage qui les encadre,
tout est foncièrement anglais. Toutefois il se montre moins anglo-
saxon dans ses figures de femmes qui laissent transparaître l’artiste
de race latine, interprétant la beauté féminine avec un sentiment
trop personnel et trop subjectif pour se laisser dominer par les
influences ambiantes.
1. Cette influence de Reynolds éclate dans un portrait du général Mac Gregor,
que nous connaissons par une gravure à la manière noire, de S.-W. Reynolds,
d’après l’original de Rochard. On dirait une œuvre de sir Joshua.