SIMON-JACQUES ROCHAUD.
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Ce que Rochard a surtout gagné au commerce des Anglais, c’est
la volonté de répudier tout type général, tout idéal convenu : chez lui
nulle conception uniforme d’un modèle déterminé comme ceux qu’a-
vaient imposés Nattier au xvme siècle et Prud’hon au commencement
du xixe. Sans doute, il donne à ses portraits de femmes cet air senti-
mental et comme ce voile de mélancolie et de tristesse, qui était de
mode alors dans la littérature et dans l’art, et qui semblait aux
clientes un complément obligé de leurs attraits. Mais le plus souvent,
il reste en deçà de cette morbidesse romantique et se contente d’une
expression de molle rêverie, de contemplation vague, sans afféterie
et pleine de séduction. Il sait conserver à ses modèles une physio-
nomie propre, un caractère individuel, quelque chose de naturel et
de vrai même dans l’imprévu, le geste et l’attitude étant toujours en
parfait accord avec l’expression du visage.
Quoique miniaturiste, il a une vision large; ses miniatures sem-
blent plutôt des réductions de grands portraits accommodées au besoin
d’un cadre exigu que de petits portraits dans de petits cadres. Rien
de mesquin ni d’étroit; le joli et le maniéré sont proscrits; les vête-
ments, les accessoires et les fonds, conçus avec un sens largement
décoratif, concourent à l’impression générale d’ampleur. Le pinceau,
un peu froid et trop lisse au début, s’assouplit et s’anime; la couleur
devient fluide et accuse une extrême sensibilité de l’œil; la coulée
plus franche communique au coloris plus de vigueur et d’accent sans
lui faire rien perdre de sa finesse; éclatant et délicat à la fois dans
la lumière des chairs, transparent dans les ombres, il approprie les
notes lumineuses à l’harmonie sombre mais vibrante de l’ensemble;
sa palette a un prestige incomparable, une saveur piquante; elle se
joue de toutes les difficultés.
Tel nous apparaît Rochard dans sa longue carrière, que nous
pouvons suffisamment apprécier d’après la collection formée par
M. Garnier-Heldewier. Ces qualités maîtresses, malgré une facture
un peu monotone, se montrent déjà dans une miniature de jeune
femme blonde, assise dans un fauteuil, vue jusqu’aux genoux, de
face, la tête tournée vers la droite; les bras nus sortant de manches
à gigot. Robe de satin blanc, corsage très échancré laissant voir de
belles épaules rondes et une gorge aux tons d’ivoire. L’expression
est distinguée, un peu grave, les traits agréables, quoique les yeux
soient trop écartés et le nez tombant; dans le fond, un rideau vieux
rouge à ramages; sur le fauteuil, une écharpe jaune-or et bleu; à
gauche, une échappée sur un paysage avec un ciel bleu aux nuages
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Ce que Rochard a surtout gagné au commerce des Anglais, c’est
la volonté de répudier tout type général, tout idéal convenu : chez lui
nulle conception uniforme d’un modèle déterminé comme ceux qu’a-
vaient imposés Nattier au xvme siècle et Prud’hon au commencement
du xixe. Sans doute, il donne à ses portraits de femmes cet air senti-
mental et comme ce voile de mélancolie et de tristesse, qui était de
mode alors dans la littérature et dans l’art, et qui semblait aux
clientes un complément obligé de leurs attraits. Mais le plus souvent,
il reste en deçà de cette morbidesse romantique et se contente d’une
expression de molle rêverie, de contemplation vague, sans afféterie
et pleine de séduction. Il sait conserver à ses modèles une physio-
nomie propre, un caractère individuel, quelque chose de naturel et
de vrai même dans l’imprévu, le geste et l’attitude étant toujours en
parfait accord avec l’expression du visage.
Quoique miniaturiste, il a une vision large; ses miniatures sem-
blent plutôt des réductions de grands portraits accommodées au besoin
d’un cadre exigu que de petits portraits dans de petits cadres. Rien
de mesquin ni d’étroit; le joli et le maniéré sont proscrits; les vête-
ments, les accessoires et les fonds, conçus avec un sens largement
décoratif, concourent à l’impression générale d’ampleur. Le pinceau,
un peu froid et trop lisse au début, s’assouplit et s’anime; la couleur
devient fluide et accuse une extrême sensibilité de l’œil; la coulée
plus franche communique au coloris plus de vigueur et d’accent sans
lui faire rien perdre de sa finesse; éclatant et délicat à la fois dans
la lumière des chairs, transparent dans les ombres, il approprie les
notes lumineuses à l’harmonie sombre mais vibrante de l’ensemble;
sa palette a un prestige incomparable, une saveur piquante; elle se
joue de toutes les difficultés.
Tel nous apparaît Rochard dans sa longue carrière, que nous
pouvons suffisamment apprécier d’après la collection formée par
M. Garnier-Heldewier. Ces qualités maîtresses, malgré une facture
un peu monotone, se montrent déjà dans une miniature de jeune
femme blonde, assise dans un fauteuil, vue jusqu’aux genoux, de
face, la tête tournée vers la droite; les bras nus sortant de manches
à gigot. Robe de satin blanc, corsage très échancré laissant voir de
belles épaules rondes et une gorge aux tons d’ivoire. L’expression
est distinguée, un peu grave, les traits agréables, quoique les yeux
soient trop écartés et le nez tombant; dans le fond, un rideau vieux
rouge à ramages; sur le fauteuil, une écharpe jaune-or et bleu; à
gauche, une échappée sur un paysage avec un ciel bleu aux nuages