56
GAZETTE DES BEAUX-A11TS.
en un prochain volume1, les scliolies dont il avait coutume de
charger les marges de ses livres, j’avais été frappé des rapides
esquisses à la plume accompagnant quelques-unes de ses notes
autographes. Ici, des mains indicatrices, dessinées avec plus de
légèreté et de finesse que les mains analogues si communément
employées aux loca notabilia par les lecteurs contemporains ; là, une
silhouette de rochers ou de chaînes montagneuses, aux sommets
arrondis ou aigus, placée en marge des passages du texte où sont
mentionnées des montagnes. Ces représentations sont surtout fré-
quentes dans le manuscrit de Pline l’Ancien, conservé à la
Bibliothèque nationale de Paris sous le n° Par. lat. 6802 (provenant
du château de Pavie), où se reconnaissent en grand nombre des notes
marginales de Pétrarque, sans aucun mélange d’écriture étrangère.
On y trouve, outre ces croquis élémentaires et de peu d’intérêt, une
toute petite tête barbue, dessinée à la plume et vue de trois-quarts
(f. 220), et une sorte de château fort (f. 226 v°), dont la silhouette
crénelée sert d’encadrement à l’inscription autographe suivante :
Roma sola mirabilis toto orbe terrarum (mots empruntés au texte de
Pline). Ce dessin par lequel Pétrarque symbolise la force de YUrbs et
affirme son amour pour elle, est, il est vrai, tout à fait sommaire;
mais il suffit à faire penser que la même main pouvait en exécuter de
plus soignés.
Un exemple de dessin véritable et complet, quoique réduit à des
dimensions restreintes, se trouve au f. 143 v° du même manuscrit.
Il représente la fontaine de Vaucluse et est accompagné de la
légende autographe : Transalpina solitudo mea iocundissima. Il a été
appelé sur cette page par le récit de Pline dans son Iiist. nat., XVIII, 51
(Est in Narbonensi prouincia nobilis fons, Orge nomine est; in eo herbae
nascuntur, etc.). Pétrarque, reconnaissant le nom de la source de la
Sorgue, a cru devoir corriger le texte en ajoutant au mot Orge un S
initial dans l’interligne et a mis en marge Sorgie fons. Il a youlu
fixer en cet endroit, destiné à repasser souvent sous ses yeux,
l’image de sa résidence tant aimée; et nous l’y trouvons, en effet,
très simplifiée, mais avec tous ses traits essentiels, la cavité d’où
s’échappe le torrent, « il gran sasso donde Sorga nasce », et, au
sommet du rocher, le petit ermitage dédié à saint Victor, qui était
autrefois un lieu de pèlerinage et dont les traces ont depuis long-
temps disparu 2.
1. Pétrarque et l’humanisme, Paris, 1892.
2. Il existait encore au xvn® siècle, comme on le voit par un dessin de la Biblio-
GAZETTE DES BEAUX-A11TS.
en un prochain volume1, les scliolies dont il avait coutume de
charger les marges de ses livres, j’avais été frappé des rapides
esquisses à la plume accompagnant quelques-unes de ses notes
autographes. Ici, des mains indicatrices, dessinées avec plus de
légèreté et de finesse que les mains analogues si communément
employées aux loca notabilia par les lecteurs contemporains ; là, une
silhouette de rochers ou de chaînes montagneuses, aux sommets
arrondis ou aigus, placée en marge des passages du texte où sont
mentionnées des montagnes. Ces représentations sont surtout fré-
quentes dans le manuscrit de Pline l’Ancien, conservé à la
Bibliothèque nationale de Paris sous le n° Par. lat. 6802 (provenant
du château de Pavie), où se reconnaissent en grand nombre des notes
marginales de Pétrarque, sans aucun mélange d’écriture étrangère.
On y trouve, outre ces croquis élémentaires et de peu d’intérêt, une
toute petite tête barbue, dessinée à la plume et vue de trois-quarts
(f. 220), et une sorte de château fort (f. 226 v°), dont la silhouette
crénelée sert d’encadrement à l’inscription autographe suivante :
Roma sola mirabilis toto orbe terrarum (mots empruntés au texte de
Pline). Ce dessin par lequel Pétrarque symbolise la force de YUrbs et
affirme son amour pour elle, est, il est vrai, tout à fait sommaire;
mais il suffit à faire penser que la même main pouvait en exécuter de
plus soignés.
Un exemple de dessin véritable et complet, quoique réduit à des
dimensions restreintes, se trouve au f. 143 v° du même manuscrit.
Il représente la fontaine de Vaucluse et est accompagné de la
légende autographe : Transalpina solitudo mea iocundissima. Il a été
appelé sur cette page par le récit de Pline dans son Iiist. nat., XVIII, 51
(Est in Narbonensi prouincia nobilis fons, Orge nomine est; in eo herbae
nascuntur, etc.). Pétrarque, reconnaissant le nom de la source de la
Sorgue, a cru devoir corriger le texte en ajoutant au mot Orge un S
initial dans l’interligne et a mis en marge Sorgie fons. Il a youlu
fixer en cet endroit, destiné à repasser souvent sous ses yeux,
l’image de sa résidence tant aimée; et nous l’y trouvons, en effet,
très simplifiée, mais avec tous ses traits essentiels, la cavité d’où
s’échappe le torrent, « il gran sasso donde Sorga nasce », et, au
sommet du rocher, le petit ermitage dédié à saint Victor, qui était
autrefois un lieu de pèlerinage et dont les traces ont depuis long-
temps disparu 2.
1. Pétrarque et l’humanisme, Paris, 1892.
2. Il existait encore au xvn® siècle, comme on le voit par un dessin de la Biblio-