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GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
notre solitaire n’ignorait pas, en effet, les allures graves du héron et
son goût singulier pour l’isolement.
Mais ce dessin est-il bien de Pétrarque? La façon étroite dont
l’inscription est unie à l’ensemble le laisse penser, comme aussi le
peu d’importance de la composition, facile à attribuer à un simple
amateur plutôt qu’à un artiste de profession. Toutefois, il serait aussi
aisé d’admettre que notre bibliophile ait pu recevoir chez lui, à
Vaucluse, un peintre ou un miniaturiste, et le prier de fixer en
quelques coups de plume le paysage qu’ils avaient sous les yeux.
Nous avons, par bonheur, l’histoire très sûre de ce manuscrit, qui
exclue l'hypothèse d’un croquis d’après nature. Il porte, de la main
de Pétrarque, la date d’acquisition : Emptns Mantue, 1350. lui. 6°.
Or, les livres acquis par lui en ce voyage d’Italie furent laissés en
dépôt à Vérone, chez un ami, au moment où il rentra en France pour
la dernière fois, avec l’intention d’en revenir bientôt se fixer défini-
tivement dans l’Italie du Nord. Que notre Pline fût du nombre des
volumes déposés à Vérone, c’est ce que dit en propres termes la lettre
écrite d’Avignon à Francesco Nelli, le 8 janvier 1352, pendant le
dernier séjour de Pétrarque en Provence; il se plaint de ne pas
avoir son Pline avec lui et d’être obligé de recourir à celui de la
librairie pontificale : In versiculis autern ad te scriptis, quos tarn ardenter
efflagitas, scito Plinii Secundi opus esse, quem Italia excedens in patria
sua, Veronae scilicet, ingenti virorum illustrium comitatum acie (c’est-à-
dire avec d’autres ouvrages des anciens), dimisi. Hic mihi Plinius
nusquam est nec alteri, quod equidem ego noverim, nisi Romano
pontifici...1
Le volume n’étant pas venu en France, le petit dessin qu’il ren-
ferme n’a pu être exécuté que de souvenir; et ce souvenir, à qui
l’attribuer, sinon à Pétrarque lui-même ? Cette image de Vaucluse
n’est donc pas intéressante seulement par sa date, comme la plus
ancienne sans doute que le site célèbre ait inspirée ; elle nous
apprend encore par quels traits essentiels se représentait à l’esprit
du poète un paysage cher entre tous à son souvenir.
PIERRE DE NOLHAC.
1. Familiares, XII, 5 (éd. Fracassetti).
GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
notre solitaire n’ignorait pas, en effet, les allures graves du héron et
son goût singulier pour l’isolement.
Mais ce dessin est-il bien de Pétrarque? La façon étroite dont
l’inscription est unie à l’ensemble le laisse penser, comme aussi le
peu d’importance de la composition, facile à attribuer à un simple
amateur plutôt qu’à un artiste de profession. Toutefois, il serait aussi
aisé d’admettre que notre bibliophile ait pu recevoir chez lui, à
Vaucluse, un peintre ou un miniaturiste, et le prier de fixer en
quelques coups de plume le paysage qu’ils avaient sous les yeux.
Nous avons, par bonheur, l’histoire très sûre de ce manuscrit, qui
exclue l'hypothèse d’un croquis d’après nature. Il porte, de la main
de Pétrarque, la date d’acquisition : Emptns Mantue, 1350. lui. 6°.
Or, les livres acquis par lui en ce voyage d’Italie furent laissés en
dépôt à Vérone, chez un ami, au moment où il rentra en France pour
la dernière fois, avec l’intention d’en revenir bientôt se fixer défini-
tivement dans l’Italie du Nord. Que notre Pline fût du nombre des
volumes déposés à Vérone, c’est ce que dit en propres termes la lettre
écrite d’Avignon à Francesco Nelli, le 8 janvier 1352, pendant le
dernier séjour de Pétrarque en Provence; il se plaint de ne pas
avoir son Pline avec lui et d’être obligé de recourir à celui de la
librairie pontificale : In versiculis autern ad te scriptis, quos tarn ardenter
efflagitas, scito Plinii Secundi opus esse, quem Italia excedens in patria
sua, Veronae scilicet, ingenti virorum illustrium comitatum acie (c’est-à-
dire avec d’autres ouvrages des anciens), dimisi. Hic mihi Plinius
nusquam est nec alteri, quod equidem ego noverim, nisi Romano
pontifici...1
Le volume n’étant pas venu en France, le petit dessin qu’il ren-
ferme n’a pu être exécuté que de souvenir; et ce souvenir, à qui
l’attribuer, sinon à Pétrarque lui-même ? Cette image de Vaucluse
n’est donc pas intéressante seulement par sa date, comme la plus
ancienne sans doute que le site célèbre ait inspirée ; elle nous
apprend encore par quels traits essentiels se représentait à l’esprit
du poète un paysage cher entre tous à son souvenir.
PIERRE DE NOLHAC.
1. Familiares, XII, 5 (éd. Fracassetti).