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GAZETTE DES BEAUX-AliTS.
faisait bientôt de lui le peintre de la société élégante de Dordrecht.
Au dire d’Houbraken, un de ses tableaux en ce genre était surtout
célèbre ; c’est celui où il avait représenté les plus beaux chevaux de
cette ville avec une telle vérité que l’on pouvait reconnaître chacun
d’eux, et peut-être est-ce ce tableau : Un Manège avec des cavaliers,
que possède le duc de Bedford. Au Musée de Bruxelles, un Inté-
rieur d’étable avec un bœuf brun tacheté de roux et un bœuf noir
couché nous parait également avoir été peint d’après nature. Dans
ce tableau, le coq juché sur la cloison qui partage en deux cette
étable est une merveille de vérité, et les hérons, les canards, les oies
et les pigeons que nous avons pu observer dans plusieurs tableaux de
Cuyp nous prouvent la justesse avec laquelle il savait reproduire les
formes et les attitudes de ces divers animaux. Il est certainement, à
cet égard, supérieur à la plupart des peintres qui se sont fait une
spécialité de la représentation des basses-cours. Au Musée d’Amster-
dam, où Hondecoeter compte quelques-uns de ses ouvrages les plus
vantés, le Combat d'un coq et d’un dindon par Cuyp (n° 66), que nous
avons précédemment reproduit à l’eau-forte, permet de mesurer la
distance qui sépare les deux artistes, le sens supérieur dont ce der-
nier fait preuve pour agrandir à sa façon le domaine d’un genre un
peu secondaire. La lutte telle que Cuyp l’a imaginée est véritablement
épique. Des becs et des ongles les deux combattants s’escriment à qui
mieux mieux. Emportés par une fureur pareille, ils font voler autour
d’eux les plumes qu’ils s’arrachent et tandis qu’une poule, témoin
de la bataille, en attend l’issue avec émotion, une autre plus crain-
tive s’enfuit effarée, loin de cette bagarre. La largeur du parti, la
richesse des colorations, l’accord harmonieux entre les plumages des
volatiles et le fond bleuâtre d’un ciel d’orage, sont ici d’un maître: Cuyp
nous montre éloquemment que même en traitant les sujets les plus
modestes, un grand artiste peut mettre sa marque à tout ce qu’il fait.
Le désir de manifester son habileté à peindre les animaux de
toute sorte n’a cependant pas toujours aussi bien réussi à Cuyp.
Nous citerons ici, comme la plus malheureuse de ses tentatives à cet
égard, un Orphée charmant les animaux, qui fait partie de la collection
du marquis de Bute. C’était là un sujet alors assez en vogue et que
Jan Brueghel, Roelandt Savery et plus tard Paul Potter devaient
traiter tour à tour; sans grand succès d’ailleurs, car dans ces divers
tableaux la figure du personnage principal ne répond guère aux
poétiques idées qu'éveille une semblable donnée. La composition de
Cuyp est particulièrement grotesque, et l’on concevrait difficilement
GAZETTE DES BEAUX-AliTS.
faisait bientôt de lui le peintre de la société élégante de Dordrecht.
Au dire d’Houbraken, un de ses tableaux en ce genre était surtout
célèbre ; c’est celui où il avait représenté les plus beaux chevaux de
cette ville avec une telle vérité que l’on pouvait reconnaître chacun
d’eux, et peut-être est-ce ce tableau : Un Manège avec des cavaliers,
que possède le duc de Bedford. Au Musée de Bruxelles, un Inté-
rieur d’étable avec un bœuf brun tacheté de roux et un bœuf noir
couché nous parait également avoir été peint d’après nature. Dans
ce tableau, le coq juché sur la cloison qui partage en deux cette
étable est une merveille de vérité, et les hérons, les canards, les oies
et les pigeons que nous avons pu observer dans plusieurs tableaux de
Cuyp nous prouvent la justesse avec laquelle il savait reproduire les
formes et les attitudes de ces divers animaux. Il est certainement, à
cet égard, supérieur à la plupart des peintres qui se sont fait une
spécialité de la représentation des basses-cours. Au Musée d’Amster-
dam, où Hondecoeter compte quelques-uns de ses ouvrages les plus
vantés, le Combat d'un coq et d’un dindon par Cuyp (n° 66), que nous
avons précédemment reproduit à l’eau-forte, permet de mesurer la
distance qui sépare les deux artistes, le sens supérieur dont ce der-
nier fait preuve pour agrandir à sa façon le domaine d’un genre un
peu secondaire. La lutte telle que Cuyp l’a imaginée est véritablement
épique. Des becs et des ongles les deux combattants s’escriment à qui
mieux mieux. Emportés par une fureur pareille, ils font voler autour
d’eux les plumes qu’ils s’arrachent et tandis qu’une poule, témoin
de la bataille, en attend l’issue avec émotion, une autre plus crain-
tive s’enfuit effarée, loin de cette bagarre. La largeur du parti, la
richesse des colorations, l’accord harmonieux entre les plumages des
volatiles et le fond bleuâtre d’un ciel d’orage, sont ici d’un maître: Cuyp
nous montre éloquemment que même en traitant les sujets les plus
modestes, un grand artiste peut mettre sa marque à tout ce qu’il fait.
Le désir de manifester son habileté à peindre les animaux de
toute sorte n’a cependant pas toujours aussi bien réussi à Cuyp.
Nous citerons ici, comme la plus malheureuse de ses tentatives à cet
égard, un Orphée charmant les animaux, qui fait partie de la collection
du marquis de Bute. C’était là un sujet alors assez en vogue et que
Jan Brueghel, Roelandt Savery et plus tard Paul Potter devaient
traiter tour à tour; sans grand succès d’ailleurs, car dans ces divers
tableaux la figure du personnage principal ne répond guère aux
poétiques idées qu'éveille une semblable donnée. La composition de
Cuyp est particulièrement grotesque, et l’on concevrait difficilement