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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
une image aussi ridicule que cette traduction de la fable antique telle
qu’il l’a comprise. Son Orphée, un gros bonhomme réjoui, aux traits
vulgaires, couronné de lauriers et vêtu d’une jaquette avec un col
blanc rabattu, racle son violon avec l’entrain d’un ménétrier de
village, et derrière les animaux qui l’entourent, — un jeune chien
pataud, des chats, un éléphant et un lièvre blotti sous les feuillages
du premier plan, — on cherche involontairement à l’horizon le clo-
cher de Dordrecht au fond de ce paysage très hollandais *.
Comme son père, Cuyp devait aussi peindre des portraits, mais
les œuvres peu nombreuses que j’ai pu voir de lui en ce genre, à la
National-Gallery (datées de 1649), au Ryksmuseum, dans la collection
Rothan, etc., ne me permettent guère d’exprimer le regret qu’elles
soient assez rares 2. L’agréable portrait exposé à la Winter-Exhibition
en 1890 par lord Ashburton, me parait être celui de l’artiste lui-
même, une bonne et honnête figure, pleine et colorée. Le personnage
bien posé est vêtu avec une élégante simplicité et les murailles
blanches, ornées de quelques moulures et qui semblent celles d'une
église — sur lesquelles il se détache, — confirmeraient assez la
dénomination de cet ouvrage, Cuyp, ainsi que nous le verrons plus
tard, ayant rempli des charges importantes dans plusieurs des
communautés religieuses de Dordrecht. Mais, en général, les portraits
du peintre, avec leur dessin un peu mou, leur expression indifférente
et leur ressemblance assez vague, n’ont jamais ce caractère si forte-
ment individuel que Jacob Gerritsz Cuyp arrivait à mettre dans la
physionomie de ses visages. En revanche, Albert devait se montrer
créateur dans un autre genre de peintures bien faites pour plaire aux
riches amateurs de son époque. Nous voulons parler de ces portraits
équestres, de dimensions moyennes, dans lesquels il a représenté les
membres des familles patriciennes de sa ville natale. Promenades à
cheval, Haltes devant une auberge. Départs pour la chasse, Parties de
pêche, tels sont les motifs familiers au moyen desquels il a su varier
ces sortes de portraits, trouvant dans ces diverses données l’occasion
de nous montrer ses modèles paradant sur leurs montures. Les tur-
d. La collection de YAmalien-Stift, à Dcssau, possède une variante de cet Orphée
charmant les animaux de Cuyp.
2. 11 jouissait cependant d’une assez grande répulation à cet égard, et une gra-
vure de S. Savery, accompagnée de vers latins de Saumaise, nous fait connaître
un de ses meilleurs ouvrages en ce genre ; c’est le portrait d’Andréas Colvius,
pasteur de l’église gallo-belge de Dordrecht, peint en 1646, une figure maigre et
intelligente, pleine de distinction. Nous ignorons ce qu’est devenu ce portrait.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
une image aussi ridicule que cette traduction de la fable antique telle
qu’il l’a comprise. Son Orphée, un gros bonhomme réjoui, aux traits
vulgaires, couronné de lauriers et vêtu d’une jaquette avec un col
blanc rabattu, racle son violon avec l’entrain d’un ménétrier de
village, et derrière les animaux qui l’entourent, — un jeune chien
pataud, des chats, un éléphant et un lièvre blotti sous les feuillages
du premier plan, — on cherche involontairement à l’horizon le clo-
cher de Dordrecht au fond de ce paysage très hollandais *.
Comme son père, Cuyp devait aussi peindre des portraits, mais
les œuvres peu nombreuses que j’ai pu voir de lui en ce genre, à la
National-Gallery (datées de 1649), au Ryksmuseum, dans la collection
Rothan, etc., ne me permettent guère d’exprimer le regret qu’elles
soient assez rares 2. L’agréable portrait exposé à la Winter-Exhibition
en 1890 par lord Ashburton, me parait être celui de l’artiste lui-
même, une bonne et honnête figure, pleine et colorée. Le personnage
bien posé est vêtu avec une élégante simplicité et les murailles
blanches, ornées de quelques moulures et qui semblent celles d'une
église — sur lesquelles il se détache, — confirmeraient assez la
dénomination de cet ouvrage, Cuyp, ainsi que nous le verrons plus
tard, ayant rempli des charges importantes dans plusieurs des
communautés religieuses de Dordrecht. Mais, en général, les portraits
du peintre, avec leur dessin un peu mou, leur expression indifférente
et leur ressemblance assez vague, n’ont jamais ce caractère si forte-
ment individuel que Jacob Gerritsz Cuyp arrivait à mettre dans la
physionomie de ses visages. En revanche, Albert devait se montrer
créateur dans un autre genre de peintures bien faites pour plaire aux
riches amateurs de son époque. Nous voulons parler de ces portraits
équestres, de dimensions moyennes, dans lesquels il a représenté les
membres des familles patriciennes de sa ville natale. Promenades à
cheval, Haltes devant une auberge. Départs pour la chasse, Parties de
pêche, tels sont les motifs familiers au moyen desquels il a su varier
ces sortes de portraits, trouvant dans ces diverses données l’occasion
de nous montrer ses modèles paradant sur leurs montures. Les tur-
d. La collection de YAmalien-Stift, à Dcssau, possède une variante de cet Orphée
charmant les animaux de Cuyp.
2. 11 jouissait cependant d’une assez grande répulation à cet égard, et une gra-
vure de S. Savery, accompagnée de vers latins de Saumaise, nous fait connaître
un de ses meilleurs ouvrages en ce genre ; c’est le portrait d’Andréas Colvius,
pasteur de l’église gallo-belge de Dordrecht, peint en 1646, une figure maigre et
intelligente, pleine de distinction. Nous ignorons ce qu’est devenu ce portrait.