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GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
L’inventaire de 1656 mentionne, on l’a vu, un recueil (soit de
dessins, soit de gravures) d’Andrea Mantegna, celui des artistes du
xve siècle qui possédait le plus complètement et la perspective linéaire
et l’archéologie classique. Les enseignements d’un tel maître ne
furent pas perdus pour Rembrandt. Il imita son fameux Chris1 mort,
du Musée de Brera à Milan, avec son effet de raccourci si hardi, dans
une Leçon d’anatomie, malheureusement endommagée par un incendie,
qui est entrée, il y a quelques années, au Musée d’Amsterdam. Dans
les deux tableaux, le corps est représenté étendu sur le dos, dans
l’axe même du spectateur. Ce sont là tours de force où seuls des
artistes de la valeur de Mantegna et de Rembrandt pouvaient
s’essayer sans s’exposer à un échec.
L’influence du maître padouan se trahit en outre dans le person-
nage étendu sur le dos qui figure dans le Tombeau allégorique (voy. la
gravure ci-dessus).
Rembrandt a copié d’autre part un dessin à la plume attribué à
Mantegna et représentant la Calomnie d’Apelles. Sa copie est entrée au
British Muséum en même temps que l'original, qu’elle est loin
d’égaler pour la délicatesse des traits, la finesse de l’exécution et
l’expression1. J’ajouterai que beaucoup de raccourcis de Rembrandt,
par exemple ceux des dessins portant, dans la publication de Berlin,
les nos 22 et 39, se ressentent de la préoccupation familière à
Mantegna et à l’Ecole de Padoue.
Le beau-frère de Mantegna, Gentile Bellini, servit à son tour de
modèle au chef de l’Ecole hollandaise. Dans un dessin faisant partie
aujourd’hui de la Collection Albertine à Vienne, Rembrandt repro-
duisit une esquisse exécutée par ce maître pour les peintures, depuis
longtemps détruites, du palais des Doges à Venise :1e Pape Alexandre III
dirigeant la procession. Son dessin, une sépia, publiée, il y a quelques
années, par un savant viennois, M. Wickhoff2, offre un singulier
mélange d'éléments vénitiens et d’éléments hollandais.
Rembrandt pouvait d’ailleurs se persuader, en procédant à de tels
emprunts, qu’il ne faisait que rentrer dans son bien : qui ignore à
quel point les peintres vénitiens du xve siècle, et notamment Gentile
Bellini et Carpaccio, furent tributaires des peintres des Pays-Bas! Ils
leur prirent, avec le secret de la peinture à l’huile, leur goût pour un
coloris à la fois nourri et éclatant, ainsi que leur goût pour le réalisme.
1. R. Forster, Die Verlâumdung des Apelles in der Renaissance, p. 20.
2. Repertorium fur Kunstwissenschaft, 1883, p. 37.
GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
L’inventaire de 1656 mentionne, on l’a vu, un recueil (soit de
dessins, soit de gravures) d’Andrea Mantegna, celui des artistes du
xve siècle qui possédait le plus complètement et la perspective linéaire
et l’archéologie classique. Les enseignements d’un tel maître ne
furent pas perdus pour Rembrandt. Il imita son fameux Chris1 mort,
du Musée de Brera à Milan, avec son effet de raccourci si hardi, dans
une Leçon d’anatomie, malheureusement endommagée par un incendie,
qui est entrée, il y a quelques années, au Musée d’Amsterdam. Dans
les deux tableaux, le corps est représenté étendu sur le dos, dans
l’axe même du spectateur. Ce sont là tours de force où seuls des
artistes de la valeur de Mantegna et de Rembrandt pouvaient
s’essayer sans s’exposer à un échec.
L’influence du maître padouan se trahit en outre dans le person-
nage étendu sur le dos qui figure dans le Tombeau allégorique (voy. la
gravure ci-dessus).
Rembrandt a copié d’autre part un dessin à la plume attribué à
Mantegna et représentant la Calomnie d’Apelles. Sa copie est entrée au
British Muséum en même temps que l'original, qu’elle est loin
d’égaler pour la délicatesse des traits, la finesse de l’exécution et
l’expression1. J’ajouterai que beaucoup de raccourcis de Rembrandt,
par exemple ceux des dessins portant, dans la publication de Berlin,
les nos 22 et 39, se ressentent de la préoccupation familière à
Mantegna et à l’Ecole de Padoue.
Le beau-frère de Mantegna, Gentile Bellini, servit à son tour de
modèle au chef de l’Ecole hollandaise. Dans un dessin faisant partie
aujourd’hui de la Collection Albertine à Vienne, Rembrandt repro-
duisit une esquisse exécutée par ce maître pour les peintures, depuis
longtemps détruites, du palais des Doges à Venise :1e Pape Alexandre III
dirigeant la procession. Son dessin, une sépia, publiée, il y a quelques
années, par un savant viennois, M. Wickhoff2, offre un singulier
mélange d'éléments vénitiens et d’éléments hollandais.
Rembrandt pouvait d’ailleurs se persuader, en procédant à de tels
emprunts, qu’il ne faisait que rentrer dans son bien : qui ignore à
quel point les peintres vénitiens du xve siècle, et notamment Gentile
Bellini et Carpaccio, furent tributaires des peintres des Pays-Bas! Ils
leur prirent, avec le secret de la peinture à l’huile, leur goût pour un
coloris à la fois nourri et éclatant, ainsi que leur goût pour le réalisme.
1. R. Forster, Die Verlâumdung des Apelles in der Renaissance, p. 20.
2. Repertorium fur Kunstwissenschaft, 1883, p. 37.