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GAZETTE DES BEAUX-AItTS.
Saxe, à Dresde, reproduit le chef-d’œuvre de Léonard dans des
données assez conformes à l’original. Le second, un dessin à la
plume, du Cabinet des Estampes de Berlin (daté de 1635), contient
des modifications importantes : Rembrandt s’est appliqué à détruire
l’harmonie de l’ordonnance, dont il n’a conservé que les motifs prin-
cipaux ; il a, en outre, profondément altéré la mimique. Est-il
nécessaire d’ajouter qu’il a estropié le modèle italien? Ses groupes
sont confus, ses attitudes et ses gestes des plus vulgaires.
Le Corrège à son tour a été mis à contribution : l’eau-forte
représentant Jupiter et Antiope (date : 1659) est une copie libre, en
contre-partie, du tableau exposé dans le Salon carré du Louvre ; seul
Cupidon, endormi à côté d’Antiope, manque. Rembrandt a en outre
modifié l’attitude du bras droit de la dormeuse.
Une Lucrèce se poignardant, qui figurait autrefois dans la collection
de San-Donato et que M. Émile Michel a publiée dans son volume de
la collection des Artistes célèbres, semble inspirée du Titien. Il en est
de même d’un dessin de la collection de M. Léon Bonnat, une étude
d’après l’Assomption de la Vierge, si j’ai bonne mémoire.
On possède d’ailleurs, sur les études de Rembrandt d’après le
Titien, un témoignage plus catégorique encore. Écoutons Charles
Blanc (n° 75) : « Il est très rare que Rembrandt ait pris les motifs
de ses compositions dans celles des autres. Dans son Saint Jérôme
(n° 75), par exception, il s’est inspiré du Titien. Il existe en effet, du
grand maître vénitien, un dessin à peu près semblable, surtout pour
le paysage. Ce dessin se trouvait dans la collection Wellesley, qui a
été vendue. Nous savons, du reste, par l’inventaire des meubles et
objets d’art saisis chez Rembrandt, qu’il possédait un très gros
volume contenant l’œuvre du Titien. »
Signalons encore, au Cabinet des Estampes de Berlin, le portrait
en profil et en médaillon d’André Doria, exécuté lui aussi d’après
un original italien (Dessins, pi. 24).
Dans ce que l’on appelle les figures académiques (Charles Blanc,
n° 159), les attitudes se ressentent également de l’influence des
modèles italiens. On pourrait croire, dit Charles Blanc, en décrivant
la Vierge au linge (n° 33), que le peintre, quand il dessina la figure de
Marie, d’un style gracieux et affectant une tournure élégante, avait
sous les yeux quelqu’une de ces jolies eaux-fortes de l’École de
Bologne, dont il avait la collection dans ses portefeuilles.
Voilà donc une série d’emprunts établie par des preuves irré-
fragables. Mais le fonds même du style de Rembrandt, sa conception
GAZETTE DES BEAUX-AItTS.
Saxe, à Dresde, reproduit le chef-d’œuvre de Léonard dans des
données assez conformes à l’original. Le second, un dessin à la
plume, du Cabinet des Estampes de Berlin (daté de 1635), contient
des modifications importantes : Rembrandt s’est appliqué à détruire
l’harmonie de l’ordonnance, dont il n’a conservé que les motifs prin-
cipaux ; il a, en outre, profondément altéré la mimique. Est-il
nécessaire d’ajouter qu’il a estropié le modèle italien? Ses groupes
sont confus, ses attitudes et ses gestes des plus vulgaires.
Le Corrège à son tour a été mis à contribution : l’eau-forte
représentant Jupiter et Antiope (date : 1659) est une copie libre, en
contre-partie, du tableau exposé dans le Salon carré du Louvre ; seul
Cupidon, endormi à côté d’Antiope, manque. Rembrandt a en outre
modifié l’attitude du bras droit de la dormeuse.
Une Lucrèce se poignardant, qui figurait autrefois dans la collection
de San-Donato et que M. Émile Michel a publiée dans son volume de
la collection des Artistes célèbres, semble inspirée du Titien. Il en est
de même d’un dessin de la collection de M. Léon Bonnat, une étude
d’après l’Assomption de la Vierge, si j’ai bonne mémoire.
On possède d’ailleurs, sur les études de Rembrandt d’après le
Titien, un témoignage plus catégorique encore. Écoutons Charles
Blanc (n° 75) : « Il est très rare que Rembrandt ait pris les motifs
de ses compositions dans celles des autres. Dans son Saint Jérôme
(n° 75), par exception, il s’est inspiré du Titien. Il existe en effet, du
grand maître vénitien, un dessin à peu près semblable, surtout pour
le paysage. Ce dessin se trouvait dans la collection Wellesley, qui a
été vendue. Nous savons, du reste, par l’inventaire des meubles et
objets d’art saisis chez Rembrandt, qu’il possédait un très gros
volume contenant l’œuvre du Titien. »
Signalons encore, au Cabinet des Estampes de Berlin, le portrait
en profil et en médaillon d’André Doria, exécuté lui aussi d’après
un original italien (Dessins, pi. 24).
Dans ce que l’on appelle les figures académiques (Charles Blanc,
n° 159), les attitudes se ressentent également de l’influence des
modèles italiens. On pourrait croire, dit Charles Blanc, en décrivant
la Vierge au linge (n° 33), que le peintre, quand il dessina la figure de
Marie, d’un style gracieux et affectant une tournure élégante, avait
sous les yeux quelqu’une de ces jolies eaux-fortes de l’École de
Bologne, dont il avait la collection dans ses portefeuilles.
Voilà donc une série d’emprunts établie par des preuves irré-
fragables. Mais le fonds même du style de Rembrandt, sa conception