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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
calmes, la lune pleine, à mi-hauteur du tableau, absolument nette
dans une large trouée de ciel pur; le tout incomparablement vrai et
beau, de couleur, de force, de transparence, de limpidité. Un Claude
Lorrain de nuit, plus grave, plus simple, plus plein, plus naturelle-
ment exécuté d’après une sensation juste : un véritable trompe-l’œil,
avec l’art le plus savant ». Où le peintre avait-il trouvé ce motif?
Avait-il voyagé? Quelle contrée lui avait offert ces rochers escarpés
qu'il a d’autres fois encore disposés le long du cours d’un fleuve, dont
on chercherait vainement la trace dans toute la Hollande et qu’il
aurait pu voir, à ce qu’on croit, en remontant le Rhin ou la Meuse?
Nous serions d’autant plus disposé, pour notre part, à considérer ces
motifs comme purement imaginés, que ces rochers à pans verticaux
et couronnés par des plateaux à leur sommet, nous les retrouvons
également dans lepaysage de Rembrandt,la Ruine, du Musée deCassel,
dans le Coup de soleil de Jacob Yan Ruysdael et dans plusieurs compo-
sitions de Berchem. Ces accidents et les contrastes auxquels ils prê-
taient avaient sans doute séduit l’artiste qui d’ailleurs ne les a
introduits qu’exceptionnellement dans ses œuvres. Avec une impres-
sion presque pareille, le Clair de lune de l’Ermitage, peut-être parce
que la donnée en est plus simple, nous paraît plus poétique encore. Un
pays plat, dénudé et sous un ciel couvert, trois barques sur l’eau
endormie, c’est là tout le tableau. Mais ces bateaux échelonnés, qui
raient d’un mince sillage la nappe tranquille où tremble leur reflet,
ce doux rayonnement de la lune qui monte éclatante et pure dans l’air
immobile, entrouvrant dans sa marche les nuages frangés d’argent
qui semblent lui faire cortège, ces formes flottantes et ces couleurs
indécises, tout ce vague mélange d’ombres et de clartés, vous pénètre
peu à peu d’un recueillement involontaire et, par sa simplicité même,
l’image se grave inoubliable dans votre souvenir.
Deux autres Clair de lune, presque de valeur semblable, font
partie des collections de M. A. Von Carstanyen, à Berlin, et du duc de
Bedford, à Londres, et dans cette dernière collection un Effet d'hiver,
— dont le Musée de Dulwich College possède une variante un peu infé-
rieure, — nous fournit une nouvelle preuve delà souplesse du talent
de Cuyp. Le groupe assez nombreux de patineurs et le traîneau
placés de chaque côté de cette composition y forment deux masses
sombres entre lesquelles, dans cette transparence de l’air qui est
propre aux journées de grand froid, on découvre une vaste étendue
de pays. Mais si excellent que soit ce tableau, le comte de Yarborough
en possède un du même genre plus important et encore supérieur.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
calmes, la lune pleine, à mi-hauteur du tableau, absolument nette
dans une large trouée de ciel pur; le tout incomparablement vrai et
beau, de couleur, de force, de transparence, de limpidité. Un Claude
Lorrain de nuit, plus grave, plus simple, plus plein, plus naturelle-
ment exécuté d’après une sensation juste : un véritable trompe-l’œil,
avec l’art le plus savant ». Où le peintre avait-il trouvé ce motif?
Avait-il voyagé? Quelle contrée lui avait offert ces rochers escarpés
qu'il a d’autres fois encore disposés le long du cours d’un fleuve, dont
on chercherait vainement la trace dans toute la Hollande et qu’il
aurait pu voir, à ce qu’on croit, en remontant le Rhin ou la Meuse?
Nous serions d’autant plus disposé, pour notre part, à considérer ces
motifs comme purement imaginés, que ces rochers à pans verticaux
et couronnés par des plateaux à leur sommet, nous les retrouvons
également dans lepaysage de Rembrandt,la Ruine, du Musée deCassel,
dans le Coup de soleil de Jacob Yan Ruysdael et dans plusieurs compo-
sitions de Berchem. Ces accidents et les contrastes auxquels ils prê-
taient avaient sans doute séduit l’artiste qui d’ailleurs ne les a
introduits qu’exceptionnellement dans ses œuvres. Avec une impres-
sion presque pareille, le Clair de lune de l’Ermitage, peut-être parce
que la donnée en est plus simple, nous paraît plus poétique encore. Un
pays plat, dénudé et sous un ciel couvert, trois barques sur l’eau
endormie, c’est là tout le tableau. Mais ces bateaux échelonnés, qui
raient d’un mince sillage la nappe tranquille où tremble leur reflet,
ce doux rayonnement de la lune qui monte éclatante et pure dans l’air
immobile, entrouvrant dans sa marche les nuages frangés d’argent
qui semblent lui faire cortège, ces formes flottantes et ces couleurs
indécises, tout ce vague mélange d’ombres et de clartés, vous pénètre
peu à peu d’un recueillement involontaire et, par sa simplicité même,
l’image se grave inoubliable dans votre souvenir.
Deux autres Clair de lune, presque de valeur semblable, font
partie des collections de M. A. Von Carstanyen, à Berlin, et du duc de
Bedford, à Londres, et dans cette dernière collection un Effet d'hiver,
— dont le Musée de Dulwich College possède une variante un peu infé-
rieure, — nous fournit une nouvelle preuve delà souplesse du talent
de Cuyp. Le groupe assez nombreux de patineurs et le traîneau
placés de chaque côté de cette composition y forment deux masses
sombres entre lesquelles, dans cette transparence de l’air qui est
propre aux journées de grand froid, on découvre une vaste étendue
de pays. Mais si excellent que soit ce tableau, le comte de Yarborough
en possède un du même genre plus important et encore supérieur.