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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tecture militaire, quoique le point de vue d’art n’en soit jamais
banni, et je ne peux, à mon grand regret, m’y attacher ici davantage.
A combien de types de donjons n’eût-il pas fallu s’ari’êter avant le
xme siècle, rectangulaires, cylindriques, mi-parties cylindriques et
rectangulaires, polygonaux, flanqués de tourelles, divisées intérieu-
rement en salles excellemment voûtées, très robustes dans leur
ensemble, très ingénieux dans leurs détails! Pour la suite, il fau-
drait, au moins, décrire l’enceinte de Poitiers, la cité de Carcassonne,
les remparts d’Aigues-Mortes ; les tours farouches de Gisors, de
Château-Gaillard, au donjon elliptique, bardé de dix-sept segments
de maçonnerie d’un pied de ressaut, reliés par deux pieds de cour-
tine, deCoucy, de Bonaguil (Dordogne), où le xive siècle se préoccupa
de résister à l’artillerie; les défenses de l’abbaye du Mont Saint-
Michel, le palais fortifié des papes, à Avignon, et les hôtels forts des
évêques de Laon, de Beauvais, de Narbonne et d’Albi, dans leurs
villes épiscopales; le donjon de Septmonts (dans l’Aisne), bâti vers
1440, par les évêques de Soissons, et les manoirs, d’une invention
non exempte de formules, de Gaston Phébus, en Béarn, et du roi
René, en Provence... Mais, pour ne point sortir de mon cadre, je me
borne à enregistrer que, depuis Philippe-Auguste, le désir du bel
aspect, dans les constructions militaires, et du confortable, en leur
aménagement, tend sensiblement à s’accroître. A Coucy, en 1230,
douze branches d’ogives supportaient, d’étage en étage, les voûtes
du colossal cylindre, encadrant douze niches profondes et une
galerie circulaire et la haute plate-forme se marque superbement, au
dehors, par sa couronne de mâchicoulis saillants, de créneaux entiers-
point et de crochets formant corniche. Moins sauvage et presque
aussi fier sera le donjon de Yincennes, bâti pour Charles Y par le
maître d’œuvre Raymond du Temple; mais les commodités de l’habi-
tation s’y font leur part. Carré, cantonné de quatre tourelles
montant de fond, nous le voyons toujours se profiler sans lourdeur,
percé de fenêtres symétriques en arc brisé ou à linteau droit, ceint
d’un double rang de corniches et d’ouvertures. Chaque étage contient
quatre petites salles octogones dans les tourelles et une grande pièce,
pourvue d’une élégante cheminée et recueillant le faisceau de ses
nervures sur un pilier central, orné à ravir et sans chapiteau.
L’agencement est d’un art extrême. C’est pour le même Charles V
que le même Raymond du Temple imagine le magnifique escalier à vis
du Louvre, construit tout à jour, au dire de Sauvai, décoré de statues
et couvert d’une voûte â douze branches, rehaussées des armes du
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tecture militaire, quoique le point de vue d’art n’en soit jamais
banni, et je ne peux, à mon grand regret, m’y attacher ici davantage.
A combien de types de donjons n’eût-il pas fallu s’ari’êter avant le
xme siècle, rectangulaires, cylindriques, mi-parties cylindriques et
rectangulaires, polygonaux, flanqués de tourelles, divisées intérieu-
rement en salles excellemment voûtées, très robustes dans leur
ensemble, très ingénieux dans leurs détails! Pour la suite, il fau-
drait, au moins, décrire l’enceinte de Poitiers, la cité de Carcassonne,
les remparts d’Aigues-Mortes ; les tours farouches de Gisors, de
Château-Gaillard, au donjon elliptique, bardé de dix-sept segments
de maçonnerie d’un pied de ressaut, reliés par deux pieds de cour-
tine, deCoucy, de Bonaguil (Dordogne), où le xive siècle se préoccupa
de résister à l’artillerie; les défenses de l’abbaye du Mont Saint-
Michel, le palais fortifié des papes, à Avignon, et les hôtels forts des
évêques de Laon, de Beauvais, de Narbonne et d’Albi, dans leurs
villes épiscopales; le donjon de Septmonts (dans l’Aisne), bâti vers
1440, par les évêques de Soissons, et les manoirs, d’une invention
non exempte de formules, de Gaston Phébus, en Béarn, et du roi
René, en Provence... Mais, pour ne point sortir de mon cadre, je me
borne à enregistrer que, depuis Philippe-Auguste, le désir du bel
aspect, dans les constructions militaires, et du confortable, en leur
aménagement, tend sensiblement à s’accroître. A Coucy, en 1230,
douze branches d’ogives supportaient, d’étage en étage, les voûtes
du colossal cylindre, encadrant douze niches profondes et une
galerie circulaire et la haute plate-forme se marque superbement, au
dehors, par sa couronne de mâchicoulis saillants, de créneaux entiers-
point et de crochets formant corniche. Moins sauvage et presque
aussi fier sera le donjon de Yincennes, bâti pour Charles Y par le
maître d’œuvre Raymond du Temple; mais les commodités de l’habi-
tation s’y font leur part. Carré, cantonné de quatre tourelles
montant de fond, nous le voyons toujours se profiler sans lourdeur,
percé de fenêtres symétriques en arc brisé ou à linteau droit, ceint
d’un double rang de corniches et d’ouvertures. Chaque étage contient
quatre petites salles octogones dans les tourelles et une grande pièce,
pourvue d’une élégante cheminée et recueillant le faisceau de ses
nervures sur un pilier central, orné à ravir et sans chapiteau.
L’agencement est d’un art extrême. C’est pour le même Charles V
que le même Raymond du Temple imagine le magnifique escalier à vis
du Louvre, construit tout à jour, au dire de Sauvai, décoré de statues
et couvert d’une voûte â douze branches, rehaussées des armes du