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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’oeuvre sans discussion, on condamnera cette œuvre à une réclusion
plus ou moins longue dans les dépôts ignorés de Fontainebleau ou de
Compiègne où elle sera perdue pour le public.
Dans le second cas, c’est-à-dire si l’on se trouve dans les conditions
réglementaires, l’artiste désigné pour le Louvre prendra-t-il, au
milieu des maîtres contemporains, chronologiquement et logique-
ment, la place qui lui appartient?
Si nous partons toujours de cette idée que les Musées ne sont pas
de simples dépôts, des promenoirs pour les militaires et les nourrices,
mais des établissements d’enseignement supérieur tenus de donner
un tableau synthétique et complet de l’histoire de l’art pour l’époque
à laquelle ils sont consacrés, — et le Luxembourg, comme le Louvre,
ne doit pas échapper à cette règle, — voit-on, au point de vue de
l’histoire de l’art contemporain, le désordre que peut causer l’entrée
prématui’ée au Louvre des ouvrages de certains artistes morts avant
le terme moyen de l’existence humaine? Si l’on tient aux habitudes
acquises d’appliquer pour l’entrée au Louvre le délai minimum de
dix ans depuis la date du décès, ces artistes entreront au Louvre
avant leurs maîtres qui les expliquent et dont ils continuent la tradi-
tion, placés ainsi brusquement auprès d’artistes antérieurs à leur
génération, dans des rapprochements inexplicables, sans pouvoir se
rattacher à eux par l’intermédiaire naturel de leurs devanciers immé-
diats restés au Luxembourg. En ce qui concerne le Luxembourg, ils
laisseront dans ce Musée des lacunes que le souvenir est incapable
de combler. C’est ainsi que des peintres comme Bastien-Lepage ou
Rapin, suivront directement au Louvre, le premier, Léopold Robert
et Millet, le second, Corot, sans la transition indispensable, pour l’un
de Jules Breton, pour l’autre de Français; c’est ainsi que Neuville
aura devancé Meissonier; c’est ainsi encore que les derniers repré-
sentants de l’école romantique : Jules Dupré, Isabey, Robert-Fleury,
auront vu passer avant eux les chefs des écoles qui ont réagi contre
celles qu’ils représentaient : Courbet, Manet, etc. De même en sculp-
ture, où tant de beaux talents formant la fleur de notre Ecole ont
été fauchés en pleine jeunesse, Idrac, Hiolle, Longepied, entreront
dans leur gloire définitive avant Degeorge, Delaplanche et Chapu et
leurs illustres devanciers vivants aujourd’hui.
Il y a là une véritable anomalie. Pour parer à ce vice de classe-
ment et de méthode, il conviendrait simplement de garder plus
longtemps au Luxembourg les ouvrages des artistes morts. Un
instant, pressé par la situation de plus en plus difficile faite au
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’oeuvre sans discussion, on condamnera cette œuvre à une réclusion
plus ou moins longue dans les dépôts ignorés de Fontainebleau ou de
Compiègne où elle sera perdue pour le public.
Dans le second cas, c’est-à-dire si l’on se trouve dans les conditions
réglementaires, l’artiste désigné pour le Louvre prendra-t-il, au
milieu des maîtres contemporains, chronologiquement et logique-
ment, la place qui lui appartient?
Si nous partons toujours de cette idée que les Musées ne sont pas
de simples dépôts, des promenoirs pour les militaires et les nourrices,
mais des établissements d’enseignement supérieur tenus de donner
un tableau synthétique et complet de l’histoire de l’art pour l’époque
à laquelle ils sont consacrés, — et le Luxembourg, comme le Louvre,
ne doit pas échapper à cette règle, — voit-on, au point de vue de
l’histoire de l’art contemporain, le désordre que peut causer l’entrée
prématui’ée au Louvre des ouvrages de certains artistes morts avant
le terme moyen de l’existence humaine? Si l’on tient aux habitudes
acquises d’appliquer pour l’entrée au Louvre le délai minimum de
dix ans depuis la date du décès, ces artistes entreront au Louvre
avant leurs maîtres qui les expliquent et dont ils continuent la tradi-
tion, placés ainsi brusquement auprès d’artistes antérieurs à leur
génération, dans des rapprochements inexplicables, sans pouvoir se
rattacher à eux par l’intermédiaire naturel de leurs devanciers immé-
diats restés au Luxembourg. En ce qui concerne le Luxembourg, ils
laisseront dans ce Musée des lacunes que le souvenir est incapable
de combler. C’est ainsi que des peintres comme Bastien-Lepage ou
Rapin, suivront directement au Louvre, le premier, Léopold Robert
et Millet, le second, Corot, sans la transition indispensable, pour l’un
de Jules Breton, pour l’autre de Français; c’est ainsi que Neuville
aura devancé Meissonier; c’est ainsi encore que les derniers repré-
sentants de l’école romantique : Jules Dupré, Isabey, Robert-Fleury,
auront vu passer avant eux les chefs des écoles qui ont réagi contre
celles qu’ils représentaient : Courbet, Manet, etc. De même en sculp-
ture, où tant de beaux talents formant la fleur de notre Ecole ont
été fauchés en pleine jeunesse, Idrac, Hiolle, Longepied, entreront
dans leur gloire définitive avant Degeorge, Delaplanche et Chapu et
leurs illustres devanciers vivants aujourd’hui.
Il y a là une véritable anomalie. Pour parer à ce vice de classe-
ment et de méthode, il conviendrait simplement de garder plus
longtemps au Luxembourg les ouvrages des artistes morts. Un
instant, pressé par la situation de plus en plus difficile faite au