GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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aujourd'hui, mais de la résurrection quotidienne et indéfinie.
L’Égyptien ne concevait que ce qu’il voyait, son soleil, qui dispa-
raissait et mourait chaque soir derrière les montagnes du couchant
pour reparaître et renaître le matin sur celles du levant, et, de se
trouver mêlé à la lutte des forces créatrices de la nature contre les
forces destructives, il en était venu à s’identifier avec la divinité
qu’il s’était créée : tout homme juste, après sa mort, n’était pas seu-
lement un bienheureux et un élu, il devenait un Osiris et se confondait
avec le personnage divin qu’il suivait éternellement à travers l’espace,
mourant et renaissant avec lui.
C’est pour cela que la civilisation gréco-romaine passa sur l’Égypte
sans y laisser la moindre trace. Alexandrie pouvait être une ville
grecque, Memphis avoir un quartier grec, d’autres villes avoir
chacune leur colonie grecque, le reste de l’Égypte n’en ignorait pas
moins le premier mot de la civilisation hellénique. Aller à Alexandrie
était pour l’Égyptien « quitter l’Égypte », et pareillement sortir
d’Alexandrie « se rendre en Égypte ». Pour lui, l’étranger n’avait
pas un instant cessé d’être un barbare et un être immonde ; mais, si
se départissant de son préjugé, il avait appris à connaître le Grec,
son éloignement pour lui eût été plus grand encore.
Lui qui, religieux jusqu’aux moelles, passait sa vie à réciter des
hymnes et des litanies, à « aimer la mort et à haïr la vie », se fût
certainement écarté avec horreur d’un peuple à qui la vie paraissait
bonne et qui en jouissait sans le moindre souci du lendemain; ou,
qui si par hasard il y pensait, imaginait « des dieux heureux »
plongés dans les jouissances d’une fête éternelle et dont au besoin il
faisait ses compagnons de plaisir ou de débauche même. Spiritualiste
jusqu’à se déifier, il n’eût rien compris à cette religion qui avait
rabaissé le dieu jusqu’à l’homme et en avait fait son égal avant
d’avoir franchi l’au-delà.
Un tel milieu moral n’était guère favorable à la transplantation
de l’idée chrétienne : si fermé qu’il fût cependant, l’état de calamité
où se débattait alors le monde était arrivé à un degré tel qu’elle y
fut comme ailleurs accueillie avec enthousiasme. Le mysticisme
égyptien qui trouvait en elle un aliment nouveau, se ranime tout à
coup à la façon d’une flamme qui va s’éteindre. De tous côtés, des
fanatiques viennent en foule demander aux représentants de Rome
d’être envoyés au martyre : les anciennes tombes se transforment en
catacombes où les moins exaltés s’assemblent en cachette ; l’ascétisme
entre dans les mœurs avec toutes les pratiques de jeûne et de morti-
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aujourd'hui, mais de la résurrection quotidienne et indéfinie.
L’Égyptien ne concevait que ce qu’il voyait, son soleil, qui dispa-
raissait et mourait chaque soir derrière les montagnes du couchant
pour reparaître et renaître le matin sur celles du levant, et, de se
trouver mêlé à la lutte des forces créatrices de la nature contre les
forces destructives, il en était venu à s’identifier avec la divinité
qu’il s’était créée : tout homme juste, après sa mort, n’était pas seu-
lement un bienheureux et un élu, il devenait un Osiris et se confondait
avec le personnage divin qu’il suivait éternellement à travers l’espace,
mourant et renaissant avec lui.
C’est pour cela que la civilisation gréco-romaine passa sur l’Égypte
sans y laisser la moindre trace. Alexandrie pouvait être une ville
grecque, Memphis avoir un quartier grec, d’autres villes avoir
chacune leur colonie grecque, le reste de l’Égypte n’en ignorait pas
moins le premier mot de la civilisation hellénique. Aller à Alexandrie
était pour l’Égyptien « quitter l’Égypte », et pareillement sortir
d’Alexandrie « se rendre en Égypte ». Pour lui, l’étranger n’avait
pas un instant cessé d’être un barbare et un être immonde ; mais, si
se départissant de son préjugé, il avait appris à connaître le Grec,
son éloignement pour lui eût été plus grand encore.
Lui qui, religieux jusqu’aux moelles, passait sa vie à réciter des
hymnes et des litanies, à « aimer la mort et à haïr la vie », se fût
certainement écarté avec horreur d’un peuple à qui la vie paraissait
bonne et qui en jouissait sans le moindre souci du lendemain; ou,
qui si par hasard il y pensait, imaginait « des dieux heureux »
plongés dans les jouissances d’une fête éternelle et dont au besoin il
faisait ses compagnons de plaisir ou de débauche même. Spiritualiste
jusqu’à se déifier, il n’eût rien compris à cette religion qui avait
rabaissé le dieu jusqu’à l’homme et en avait fait son égal avant
d’avoir franchi l’au-delà.
Un tel milieu moral n’était guère favorable à la transplantation
de l’idée chrétienne : si fermé qu’il fût cependant, l’état de calamité
où se débattait alors le monde était arrivé à un degré tel qu’elle y
fut comme ailleurs accueillie avec enthousiasme. Le mysticisme
égyptien qui trouvait en elle un aliment nouveau, se ranime tout à
coup à la façon d’une flamme qui va s’éteindre. De tous côtés, des
fanatiques viennent en foule demander aux représentants de Rome
d’être envoyés au martyre : les anciennes tombes se transforment en
catacombes où les moins exaltés s’assemblent en cachette ; l’ascétisme
entre dans les mœurs avec toutes les pratiques de jeûne et de morti-