GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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devant les lumineuses toiles de Claude Gellée, devant la Tempête sur les
côtes de Hollande.de Ruysdael suffirait à le prouver. Mais il me semble
que l’esprit moderne a introduit dans l’art une façon nouvelle de
comprendre les aspects grandioses de l’Océan. On l’avait surtout
envisagé dans ses rapports avec l’homme : vaisseaux à l’ancre dans
un port ou voguant au large, digues battues parla vague, barques
montant à la crête des lames, naufragés en détresse. Courbet lui-
même, dans son admirable Vague, n’a pu résister à l’envie de placer
deux pauvres barques au premier plan. La source d’émotions qui naît
du contraste entre la faiblesse de l’homme et la puissance des
éléments a donc été largement exploitée. Elle l’est encore d’ailleurs
et l’on peut voir cette année au Champ-de-Mars une Plage de Skagen
de M. Kroyer et, sous la signature de M. Mesdag, des Barques de
Pêcheurs qui rentrent dans une catégorie de sujets tout à fait clas-
siques, tandis que ce dernier a déjà au Luxembourg un Soleil couchant
où se révèle le caractère particulier des marines modernes : suppri-
mer le ressort dramatique de ces scènes pour n’envisager que la mer
toute seule, être vivant et complexe, doué d’une mobilité incessante,
tour à tour redoutable ou caressant, riche en couleurs vigoureuses
ou s’enveloppant de brumes insaisissables. L’homme a disparu et
pourtant la poésie est restée, plus profonde peut-être et plus ample.
Qu’on examine aux Champs-Elysées le Cap Nord de M. Normann, la
Matinée d’Octobre de M. Auguin, la Vague de M. Diéterle; qu’on s’arrête
au Champ-de-Mars devant la toile de M. Harrison, Après une tempête,
où, le beau temps revenu, les lames continuent à déferler furieuses
et pourtant déjà bleues, égayées par des rayons de soleil; qu’on voie
encore la Mer calme et le Soir de M. Iwill, les Vagues de M. Yerstraëte,
l'Eté de M. Moore. Dans ces grèves solitaires « au soleil proster-
nées », dans ces remous de pleine mer, nous sentons l’effort pour
peindre l’âme indécise des choses, et notre cerveau, bercé dès
l’enfance par les vers du poète qui a le mieux compris les grandes
voix de l’Océan, reconnaît là une des conquêtes précieuses de l’âme
moderne. Ce ne sont pas seulement de bonnes peintures de la réalité;
elles éveillent chez ceux qui aiment la mer pour elle-même tout
un monde de sensations et de souvenirs où la poésie et la philosophie
de notre siècle ont leur part.
Les sujets de la vie réelle. — Le réalisme est entré avec fracas
dans notre société pendant le second Empire et par plusieurs portes
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devant les lumineuses toiles de Claude Gellée, devant la Tempête sur les
côtes de Hollande.de Ruysdael suffirait à le prouver. Mais il me semble
que l’esprit moderne a introduit dans l’art une façon nouvelle de
comprendre les aspects grandioses de l’Océan. On l’avait surtout
envisagé dans ses rapports avec l’homme : vaisseaux à l’ancre dans
un port ou voguant au large, digues battues parla vague, barques
montant à la crête des lames, naufragés en détresse. Courbet lui-
même, dans son admirable Vague, n’a pu résister à l’envie de placer
deux pauvres barques au premier plan. La source d’émotions qui naît
du contraste entre la faiblesse de l’homme et la puissance des
éléments a donc été largement exploitée. Elle l’est encore d’ailleurs
et l’on peut voir cette année au Champ-de-Mars une Plage de Skagen
de M. Kroyer et, sous la signature de M. Mesdag, des Barques de
Pêcheurs qui rentrent dans une catégorie de sujets tout à fait clas-
siques, tandis que ce dernier a déjà au Luxembourg un Soleil couchant
où se révèle le caractère particulier des marines modernes : suppri-
mer le ressort dramatique de ces scènes pour n’envisager que la mer
toute seule, être vivant et complexe, doué d’une mobilité incessante,
tour à tour redoutable ou caressant, riche en couleurs vigoureuses
ou s’enveloppant de brumes insaisissables. L’homme a disparu et
pourtant la poésie est restée, plus profonde peut-être et plus ample.
Qu’on examine aux Champs-Elysées le Cap Nord de M. Normann, la
Matinée d’Octobre de M. Auguin, la Vague de M. Diéterle; qu’on s’arrête
au Champ-de-Mars devant la toile de M. Harrison, Après une tempête,
où, le beau temps revenu, les lames continuent à déferler furieuses
et pourtant déjà bleues, égayées par des rayons de soleil; qu’on voie
encore la Mer calme et le Soir de M. Iwill, les Vagues de M. Yerstraëte,
l'Eté de M. Moore. Dans ces grèves solitaires « au soleil proster-
nées », dans ces remous de pleine mer, nous sentons l’effort pour
peindre l’âme indécise des choses, et notre cerveau, bercé dès
l’enfance par les vers du poète qui a le mieux compris les grandes
voix de l’Océan, reconnaît là une des conquêtes précieuses de l’âme
moderne. Ce ne sont pas seulement de bonnes peintures de la réalité;
elles éveillent chez ceux qui aiment la mer pour elle-même tout
un monde de sensations et de souvenirs où la poésie et la philosophie
de notre siècle ont leur part.
Les sujets de la vie réelle. — Le réalisme est entré avec fracas
dans notre société pendant le second Empire et par plusieurs portes