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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’invention et dans le dessin ? Une composition sage comme le
Plafond de M. Weerts au Champ-de-Mars, un Paris traité à la mode
de Baudry, un génie de la Renommée avec la trompette classique et
de gros nuages un peu lourds comme ceux des féeries.
L’allégorie n’est vivante que si elle exprime avec propriété les
idées morales d’une race et d’une époque ou les idées générales de
l’humanité entière. A cet égard le Ludus pro patria et le Rois sacré des
Muses de M. Puvis de Chavannes, le Soir de la Vie de M. Besnard
ont été des œuvres remarquablement suggestives. Prenons comme
exemple dans les Salons de cette année la grande composition de
l’Hiver. A dessein l’auteur laisse de côté toute forme précise de cos-
tume historique, parce qu’il cherche à symboliser un phénomène
éternel de la nature. A gauche, dans une ruine qui personnifie en
quelque sorte la mort des habitations, de pauvres gens se sont
réfugiés; l’un partage son pain avec une femme; un vieillard ré-
chauffe les pieds d’un enfant à la flamme d’un feu de broussailles :
c'est la misère et le cortège des souffrances qu’amène la dure saison.
Sur le devant un robuste gaillard lie des fagots qu’il charge sur les
épaules d’un camarade; au centre, des bûcherons abattent un arbre :
c’est la vie active des métiers qui mettent à profit le repos de la
végétation. A droite une glacière rappelle encore le parti que l’in-
dustrie humaine sait tirer des rigueurs du froid pour la chaude
saison. Ce qui fait surtout la pénétrante poésie du tableau, c’est le
paysage où l’on retrouve toutes les conquêtes de l’art moderne, le
sens du plein air, les lointains indéfiniment reculés, et de plus la
qualité maitresse de l’auteur, le charme personnel qu’il donne à
toutes ses compositions, je veux dire la sérénité, l’apaisement pro-
fond et silencieux qui se complique ici d’une tristesse hivernale, à
la fois douce et morne comme le blanc tapis de neige qui s’étend à
perte de vue. C’est l’expression d’une loi physique, inéluctable et
fatale, à laquelle se mêle un sens de la pitié pour les êtres et pour
les choses, qui est bien de notre pays et de notre époque.
M. Maignan, dont la poésie est moins philosophique et l’exécu-
tion plus fougueuse, a imaginé de son côté une alliance assez hardie
du réalisme et du genre allégorique. Comme on peut le voir par un
dessin de l’artiste reproduit ici en héliogravure, il a représenté le
sculpteur Carpeaux étendu sur un brancard dans son atelier, tel qu’il
se faisait transporter malade et presque mourant pour dire un dernier
adieu à ses maquettes et à ses études préférées ; mais voici que dans
le vaste hall, dont la fenêtre ouverte laisse apercevoir un coin de
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’invention et dans le dessin ? Une composition sage comme le
Plafond de M. Weerts au Champ-de-Mars, un Paris traité à la mode
de Baudry, un génie de la Renommée avec la trompette classique et
de gros nuages un peu lourds comme ceux des féeries.
L’allégorie n’est vivante que si elle exprime avec propriété les
idées morales d’une race et d’une époque ou les idées générales de
l’humanité entière. A cet égard le Ludus pro patria et le Rois sacré des
Muses de M. Puvis de Chavannes, le Soir de la Vie de M. Besnard
ont été des œuvres remarquablement suggestives. Prenons comme
exemple dans les Salons de cette année la grande composition de
l’Hiver. A dessein l’auteur laisse de côté toute forme précise de cos-
tume historique, parce qu’il cherche à symboliser un phénomène
éternel de la nature. A gauche, dans une ruine qui personnifie en
quelque sorte la mort des habitations, de pauvres gens se sont
réfugiés; l’un partage son pain avec une femme; un vieillard ré-
chauffe les pieds d’un enfant à la flamme d’un feu de broussailles :
c'est la misère et le cortège des souffrances qu’amène la dure saison.
Sur le devant un robuste gaillard lie des fagots qu’il charge sur les
épaules d’un camarade; au centre, des bûcherons abattent un arbre :
c’est la vie active des métiers qui mettent à profit le repos de la
végétation. A droite une glacière rappelle encore le parti que l’in-
dustrie humaine sait tirer des rigueurs du froid pour la chaude
saison. Ce qui fait surtout la pénétrante poésie du tableau, c’est le
paysage où l’on retrouve toutes les conquêtes de l’art moderne, le
sens du plein air, les lointains indéfiniment reculés, et de plus la
qualité maitresse de l’auteur, le charme personnel qu’il donne à
toutes ses compositions, je veux dire la sérénité, l’apaisement pro-
fond et silencieux qui se complique ici d’une tristesse hivernale, à
la fois douce et morne comme le blanc tapis de neige qui s’étend à
perte de vue. C’est l’expression d’une loi physique, inéluctable et
fatale, à laquelle se mêle un sens de la pitié pour les êtres et pour
les choses, qui est bien de notre pays et de notre époque.
M. Maignan, dont la poésie est moins philosophique et l’exécu-
tion plus fougueuse, a imaginé de son côté une alliance assez hardie
du réalisme et du genre allégorique. Comme on peut le voir par un
dessin de l’artiste reproduit ici en héliogravure, il a représenté le
sculpteur Carpeaux étendu sur un brancard dans son atelier, tel qu’il
se faisait transporter malade et presque mourant pour dire un dernier
adieu à ses maquettes et à ses études préférées ; mais voici que dans
le vaste hall, dont la fenêtre ouverte laisse apercevoir un coin de