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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
finum de Prague ». Certes la couleur de cette peinture est belle et
éclatante, on pourrait dire giorgionesque, si ce n’était qu’il y
manque cette parfaite harmonie, cette profondeur et ce rayonnement
intérieur qu’on remarque dans les véritables pages du maître. On
jugera suffisamment de la composition et du dessin d’après la repro-
duction qu’en offre la Gazette des Beaux-Arts. Retrouve-t-on une
parcelle du vrai Giorgione dans cet enchevêtrement violent et
insuffisamment motivé des personnages, dans cet arrangement
absolument factice où aucun d’eux n’exprime clairement ce que le
peintre aurait voulu lui faire exprimer, où il n’existe entre ces
personnages nul véritable lien dramatique ou autre? Nous sommes
loin ici de la parfaite, de la trop grande sérénité du Giorgione, si
sobre d’expression et de gestes, mais sachant si bien — à juger par
les quelques toiles que nous pouvons dorénavant lui attribuer sans
crainte de nous tromper — laisser sur sa moindre œuvre l’empreinte
d’un tempérament ému, d’une souveraine autorité. Les types, les
figures sont certainement ce qu’il est convenu d’appeler giorgio-
nesques, mais ils ne le sont que par imitation. Cet homme cuirassé,
par exemple, à gauche du tableau, a une ressemblance frappante
avec le berger du dessin très connu de la collection Malcolm, dans
lequel Campagnola a pastiché un épisode du célèbre Concert du
Giorgione au Louvre. M. Sidney Colvin a fait observer qu’il existe
au British Muséum et à Chatsworth des dessins de Campagnola offrant
de fortes analogies avec le type de la Femme adultère, et il a su retrouver
aussi dans les gravures sur cuivre du même artiste (portant presque
toutes la date 1517) des traits, des gestes, des mouvements de jambes
qu’on reconnaît, moins développés, moins exaspérés dans la toile de
Glasgow. L’homme qui amène la pécheresse devant le Christ a une
étrange ressemblance de silhouette avec le Saint Roch dans le beau
Giorgione de Madrid, cette Vierge avec l’Enfant, trônant entre saint
Antoine et saint Roch, que Giovanni Morelli a le premier révélé sous la
désignation peu justifiée de Pordenon-e que lui donne le catalogue du
musée. Mais c’est là un emprunt fait avec maladresse et qui n’a point
réussi à l’emprunteur. Les deux têtes d’hommes qui se voient à
droite derrière la Femme adultère sont peut-être le meilleur morceau
du tableau; elles sont d’un type qui ne se retrouve guère chez
Barbarelli, mais qui rappelle au contraire, à ne pas s’y méprendre,
la manière du Titien : vers cette époque de 1510-11 où, encore sous
l’influence du Giorgione, il travaillait conjointement avec Campa-
gnola aux fresques de la Scuola del Santo à Padoue. Finalement, il
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finum de Prague ». Certes la couleur de cette peinture est belle et
éclatante, on pourrait dire giorgionesque, si ce n’était qu’il y
manque cette parfaite harmonie, cette profondeur et ce rayonnement
intérieur qu’on remarque dans les véritables pages du maître. On
jugera suffisamment de la composition et du dessin d’après la repro-
duction qu’en offre la Gazette des Beaux-Arts. Retrouve-t-on une
parcelle du vrai Giorgione dans cet enchevêtrement violent et
insuffisamment motivé des personnages, dans cet arrangement
absolument factice où aucun d’eux n’exprime clairement ce que le
peintre aurait voulu lui faire exprimer, où il n’existe entre ces
personnages nul véritable lien dramatique ou autre? Nous sommes
loin ici de la parfaite, de la trop grande sérénité du Giorgione, si
sobre d’expression et de gestes, mais sachant si bien — à juger par
les quelques toiles que nous pouvons dorénavant lui attribuer sans
crainte de nous tromper — laisser sur sa moindre œuvre l’empreinte
d’un tempérament ému, d’une souveraine autorité. Les types, les
figures sont certainement ce qu’il est convenu d’appeler giorgio-
nesques, mais ils ne le sont que par imitation. Cet homme cuirassé,
par exemple, à gauche du tableau, a une ressemblance frappante
avec le berger du dessin très connu de la collection Malcolm, dans
lequel Campagnola a pastiché un épisode du célèbre Concert du
Giorgione au Louvre. M. Sidney Colvin a fait observer qu’il existe
au British Muséum et à Chatsworth des dessins de Campagnola offrant
de fortes analogies avec le type de la Femme adultère, et il a su retrouver
aussi dans les gravures sur cuivre du même artiste (portant presque
toutes la date 1517) des traits, des gestes, des mouvements de jambes
qu’on reconnaît, moins développés, moins exaspérés dans la toile de
Glasgow. L’homme qui amène la pécheresse devant le Christ a une
étrange ressemblance de silhouette avec le Saint Roch dans le beau
Giorgione de Madrid, cette Vierge avec l’Enfant, trônant entre saint
Antoine et saint Roch, que Giovanni Morelli a le premier révélé sous la
désignation peu justifiée de Pordenon-e que lui donne le catalogue du
musée. Mais c’est là un emprunt fait avec maladresse et qui n’a point
réussi à l’emprunteur. Les deux têtes d’hommes qui se voient à
droite derrière la Femme adultère sont peut-être le meilleur morceau
du tableau; elles sont d’un type qui ne se retrouve guère chez
Barbarelli, mais qui rappelle au contraire, à ne pas s’y méprendre,
la manière du Titien : vers cette époque de 1510-11 où, encore sous
l’influence du Giorgione, il travaillait conjointement avec Campa-
gnola aux fresques de la Scuola del Santo à Padoue. Finalement, il