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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
par le droit de la chronologie, les œuvres des frères van Eyck,.
Hubert et Jean1. Dès le xvie siècle, déjà, lorsque la veuve de Jérome
Cock publiait à Anvers, en 1572, son recueil de. portraits de peintres
célèbres des Pays-Bas, la galerie de ces artistes s’ouvrait, ainsi que
le remarque Carel van Mander dans son Livre des Peintres, de 1604,
par « ceux des deux illustres frères, comme les plus anciens repré-
sentants du noble art de la peinture dans les Pays-Bas ».
Or, les van Eyck, en même temps qu’ils marchent les premiers
dans la suite des années, dominent aussi, de la hauteur de leur
génie, tous les peintres, sans exception, qui ont travaillé avant
Rubens dans la Flandre et les régions voisines. Sans doute leurs
successeurs immédiats, les Petrus Cbristus, les Rogier van der Wey-
den, les Jacques Daret —- si tant est qu'il faille reconnaître elfecti-
vement Jacques Daret dans le mystérieux « maître de Flémalle »,
— les Bouts, les Memling. les Gérard David, ont été souvent de
très grands artistes. Mais aucun n’a jamais pu se hausser jusqu’à
ce point culminant auquel, dès le début, les van Eyck avaient porté
l’art de leur école. Ee retable de Y Agneau mystique de Saint-Bavon,
à Gand, qui porte l’indication de 1432 pour terme d’achèvement de
l’œuvre, est, par sa date, comme la pierre angulaire du magistral
édifice de la peinture llamande du xv° siècle; il eu est également le
morceau capital et resté toujours sans équivalent.
Et avant les van Eyck c’est l’obscurité presque complète. Van
Mander, en 1601, s’appuyant sur des autorités plus anciennes,
avouait qu’on ignorait quel fut le maître de Hubert. Nous en sommes
au même point; nous ne connaissons pas, pour les deux frères, de
ces artistes précurseurs, éducateurs des grands génies, qui, restés
très au-dessous de leurs élèves, annoncent et expliquent cependant
leur apparition sur la scène du monde des arts, un Pérugin pour un
Raphaël, un Squarcione pour un Mantegna, un yerrocchio pour
un Léonard. Le prodigieux talent des van Eyck semble se révéler
tout à coup, comme une espèce de brillant météore qui éclate en
éblouissant les regards. Il y a là un problème singulièrement
passionnant. Comme l’a dit notre savant collègue M. Hymans,
1. Je tiens à conserver, pour le prénom du plus jeune des van Eyck, suivant
d’ailleurs l’exemple de M. W.-H.-James Weale dans le catalogue officiel de l’expo-
sition de Bruges de 1902, l’orthographe française Jean qui correspond à la vieille
forme Jehan. Je me guide d’après les documents contemporains, émanés de la
cour de Bourgogne, dans lesquels le maître est toujours nommé Jehan, à moins
qu’on n’emploie, dans ces mêmes documents, une forme locale, laquelle est
Johannes et non Jan.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
par le droit de la chronologie, les œuvres des frères van Eyck,.
Hubert et Jean1. Dès le xvie siècle, déjà, lorsque la veuve de Jérome
Cock publiait à Anvers, en 1572, son recueil de. portraits de peintres
célèbres des Pays-Bas, la galerie de ces artistes s’ouvrait, ainsi que
le remarque Carel van Mander dans son Livre des Peintres, de 1604,
par « ceux des deux illustres frères, comme les plus anciens repré-
sentants du noble art de la peinture dans les Pays-Bas ».
Or, les van Eyck, en même temps qu’ils marchent les premiers
dans la suite des années, dominent aussi, de la hauteur de leur
génie, tous les peintres, sans exception, qui ont travaillé avant
Rubens dans la Flandre et les régions voisines. Sans doute leurs
successeurs immédiats, les Petrus Cbristus, les Rogier van der Wey-
den, les Jacques Daret —- si tant est qu'il faille reconnaître elfecti-
vement Jacques Daret dans le mystérieux « maître de Flémalle »,
— les Bouts, les Memling. les Gérard David, ont été souvent de
très grands artistes. Mais aucun n’a jamais pu se hausser jusqu’à
ce point culminant auquel, dès le début, les van Eyck avaient porté
l’art de leur école. Ee retable de Y Agneau mystique de Saint-Bavon,
à Gand, qui porte l’indication de 1432 pour terme d’achèvement de
l’œuvre, est, par sa date, comme la pierre angulaire du magistral
édifice de la peinture llamande du xv° siècle; il eu est également le
morceau capital et resté toujours sans équivalent.
Et avant les van Eyck c’est l’obscurité presque complète. Van
Mander, en 1601, s’appuyant sur des autorités plus anciennes,
avouait qu’on ignorait quel fut le maître de Hubert. Nous en sommes
au même point; nous ne connaissons pas, pour les deux frères, de
ces artistes précurseurs, éducateurs des grands génies, qui, restés
très au-dessous de leurs élèves, annoncent et expliquent cependant
leur apparition sur la scène du monde des arts, un Pérugin pour un
Raphaël, un Squarcione pour un Mantegna, un yerrocchio pour
un Léonard. Le prodigieux talent des van Eyck semble se révéler
tout à coup, comme une espèce de brillant météore qui éclate en
éblouissant les regards. Il y a là un problème singulièrement
passionnant. Comme l’a dit notre savant collègue M. Hymans,
1. Je tiens à conserver, pour le prénom du plus jeune des van Eyck, suivant
d’ailleurs l’exemple de M. W.-H.-James Weale dans le catalogue officiel de l’expo-
sition de Bruges de 1902, l’orthographe française Jean qui correspond à la vieille
forme Jehan. Je me guide d’après les documents contemporains, émanés de la
cour de Bourgogne, dans lesquels le maître est toujours nommé Jehan, à moins
qu’on n’emploie, dans ces mêmes documents, une forme locale, laquelle est
Johannes et non Jan.