GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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portraiturer, dans des costumes très voyants, les membres de la
haute société de Dordrecht, étalant leurs élégances un peu massives
sur leurs lourdes montures. Ici, l’air repu et somnolent de ces deux
hôtes placides qui ruminent au bord de l’eau, le calme de ce vague
horizon et la mélancolie du ciel grisâtre traversé par un vol de van-
neaux suffisent à faire de cette œuvre une des perles de la collection,
et très caractéristique pour Cuyp. S’il en était besoin, les hardanes
aux larges feuilles et les folles pousses d’une ronce échevelée dont il
a si souvent garni ses premiers plans certifieraient, à défaut de
signature, l’authenticité de ce petit bijou.
Citons, enfin, un de ces délicieux Couchers cle soleil dont Aert
van der Neer est coutumier et qui reflète les splendeurs d’un ciel
embrasé dans le miroir d'une nappe d’eau immobile, avant de termi-
ner par Hobbema cette rapide étude des œuvres de l’école hollandaise.
L’un des deux tableaux de lui que possède la collection Dutuit,
Les Moulins, est célèbre et provient de la galerie de M. cle Morny.
Pourquoi ne pas l’avouer? son aspect brillant et clair ne laisse pas
d’être sec et un peu dur. Les tonalités y sont affirmées avec une
franchise excessive : l’azur du ciel bien bleu, les nuages bien
blancs, les toits des moulins bien rouges et leurs murailles bien
jaunes. Sur le ciel métallique, les arbres découpent impitoyablement
leurs silhouettes qui semblent déchiquetées â l’emporte-pièce. Tout
cela est d’une précision violente, sans harmonie, sans grand charme.
Peut-être P artiste n’est-il pas seul coupable de ces défauts ; l’ancien
possesseur ne voulant admettre chez lui que des peintures d’une
propreté irréprochable, on a frotté, récuré sans merci cet honnête
tableau. L’opération n’a que trop réussi, jusqu’à lui ôter son épi-
derme et à lui donner ce poli, ce luisant qui offensent aujourd’hui
le regard. Bien que moins réputé et un peu sombre d’aspect, le Chemin
dans une forêt (il faisait autrefois partie de la collection Schœnborn)
a plus de poésie.Si, comme d'habitude chez Hobbema,les silhouettes
des arbres sont tourmentées, hérissées, diversifiées à l’excès, Pair du
moins les enveloppe et les caresse. Quoique très intenses, les colo-
rations sont restées savoureuses et veloutées. Le premier plan, noyé
dans une ombre assez forte, a gardé sa transparence ; tous les détails
y sont lisibles, pas isolés, pas soulignés. Nulle part, en tout cas, la
peinture originale n’a perdu cette fleur native que l’artiste avait su
y mettre ; le temps y ajoute aujourd’hui cette patine délicate par
laquelle il finit les œuvres bien faites.
(La suite prochainement.)
EMILE MICHEL
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portraiturer, dans des costumes très voyants, les membres de la
haute société de Dordrecht, étalant leurs élégances un peu massives
sur leurs lourdes montures. Ici, l’air repu et somnolent de ces deux
hôtes placides qui ruminent au bord de l’eau, le calme de ce vague
horizon et la mélancolie du ciel grisâtre traversé par un vol de van-
neaux suffisent à faire de cette œuvre une des perles de la collection,
et très caractéristique pour Cuyp. S’il en était besoin, les hardanes
aux larges feuilles et les folles pousses d’une ronce échevelée dont il
a si souvent garni ses premiers plans certifieraient, à défaut de
signature, l’authenticité de ce petit bijou.
Citons, enfin, un de ces délicieux Couchers cle soleil dont Aert
van der Neer est coutumier et qui reflète les splendeurs d’un ciel
embrasé dans le miroir d'une nappe d’eau immobile, avant de termi-
ner par Hobbema cette rapide étude des œuvres de l’école hollandaise.
L’un des deux tableaux de lui que possède la collection Dutuit,
Les Moulins, est célèbre et provient de la galerie de M. cle Morny.
Pourquoi ne pas l’avouer? son aspect brillant et clair ne laisse pas
d’être sec et un peu dur. Les tonalités y sont affirmées avec une
franchise excessive : l’azur du ciel bien bleu, les nuages bien
blancs, les toits des moulins bien rouges et leurs murailles bien
jaunes. Sur le ciel métallique, les arbres découpent impitoyablement
leurs silhouettes qui semblent déchiquetées â l’emporte-pièce. Tout
cela est d’une précision violente, sans harmonie, sans grand charme.
Peut-être P artiste n’est-il pas seul coupable de ces défauts ; l’ancien
possesseur ne voulant admettre chez lui que des peintures d’une
propreté irréprochable, on a frotté, récuré sans merci cet honnête
tableau. L’opération n’a que trop réussi, jusqu’à lui ôter son épi-
derme et à lui donner ce poli, ce luisant qui offensent aujourd’hui
le regard. Bien que moins réputé et un peu sombre d’aspect, le Chemin
dans une forêt (il faisait autrefois partie de la collection Schœnborn)
a plus de poésie.Si, comme d'habitude chez Hobbema,les silhouettes
des arbres sont tourmentées, hérissées, diversifiées à l’excès, Pair du
moins les enveloppe et les caresse. Quoique très intenses, les colo-
rations sont restées savoureuses et veloutées. Le premier plan, noyé
dans une ombre assez forte, a gardé sa transparence ; tous les détails
y sont lisibles, pas isolés, pas soulignés. Nulle part, en tout cas, la
peinture originale n’a perdu cette fleur native que l’artiste avait su
y mettre ; le temps y ajoute aujourd’hui cette patine délicate par
laquelle il finit les œuvres bien faites.
(La suite prochainement.)
EMILE MICHEL