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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 29.1903

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Nr. 6
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Bertaux, Émile: Victor Hugo, [1]: artiste
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https://doi.org/10.11588/diglit.24811#0520

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

ont remis an musée Carnavaletl. Au premier plan, des terrains
vagues et des chantiers, baignés par une lune blafarde; puis deux
grands murs de maisons noires, entre lesquelles un intervalle
reste béant; et, an-delà de cette écluse entr’ouverte, le flot
dentelé des maisons, dont la crête paraît trembler dans la nuit;
au-dessus de cette mer phosphorescente, qui luit sous le ciel sombre,
se dressent au loin, comme des mâts, les tours de Notre-Dame et la
coupole du Panthéon. La vision de Paris nocturne hantait Victor
Hugo; dans un dessin plus petit, il l’a comme transfigurée. Paris
est devenu la Ville, la Rome des temps modernes, Urbs. Son immen-
sité est dominée par les monuments de trois âges : l’Arc de triomphe
s’est joint à Notre-Dame et au Panthéon; Napoléon s’est levé entre
la grandeur religieuse du moyen âge et l’espérance des libertés
modernes.

A cette période féconde se rattachent encore d’autres œuvres
entre autres un superbe dessin provenant de la succession de
Mme Drouet : trois arbres frêles et gigantesques découpés en noir
par la lune, et, an loin, la silhouette d’un château français de la
Renaissance, tout noir et mort.

La technique de ces tableaux sombres est aussi mystérieuse que
leur aspect. Vers 1850, Victor Hugo ne se contente plus de dessiner ;
il peint. L’encre est devenue pour lui comme une pâte, d’où la
lumière doit se dégager.

Souvent l’artiste part d’une tache, qu’il étend, de manière à indi-
quer les grandes lignes, c’est-à-dire les grandes traînées d’ombre et de
lumière2. Pour brasser l’encre et pour l’estomper, tout lui est un pin-
ceau : la barbe de plume, le chiffon de papier ou l’allumette brûlée.
Quand les formes se sont accusées, il les anime d’une sorte de couleur.
Il travaillait, dit-on, à ces grands dessins le matin, quand on lui
apportait son premier déjeuner : une averse de café noir jetée sur la
feuille bronzait les noirs de tons chauds; la poussière du marc, en
adhérant à la paroi des rochers ou des tours, imitait le grain des
vieilles pierres; le soleil ocreux qui devait réchauffer les blancs
était répandu par un glacis de café au lait. Ces outils primitifs et
ces couleurs inattendues ont donné des effets dont l’intensité riva-

1. Ce dessin mesure 0m63 sur 0'"42.

2. Quand Victor Hugo ne parvient pas à tirer une forme de la tache qu’il étale,
parfois il essaie cependant de lui donner un sens. Sous Tune de ces taches, il écrit
le vers :

« Aspect crépusculaire, obstrué, noir, hideux. »
 
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