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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sculptor regius faciebat. a. d. 1736 » le buste de Charles-Frédéric
de la Tour du Pin, marquis de Gouvernet, sénéchal de Yalentinois,
gouverneur de Montbéliard (1694-1775). Le marbre « sans draperie,
traité dans le goût de l’antique », exposé au Salon de 1738, est
aujourd’hui en possession de M. le comte de Chabrillant (M. A. Roserol
l’a reproduit dans son excellente monographie de Bouchardon*). « U
n’est point habillé », écrivait Caylus, « et le sentiment de la chair,
joint à la plus grande simplicité, rend ce portrait infiniment recom-
mandable. » On ne saurait mieux dire. A cette date, l’œuvre prend
l’importance d’une sorte de manifeste contre les chiffonnements el
les rocailles encore à la mode; largement et sobrement traitée,
modelée avec une fermeté sans sécheresse, tous les accents physio-
nomiques (le front accidenté et vivant, le dessin des sourcils, la
bouche et le menton impérieux) marqués avec intelligence et déci-
sion, elle est bien digne du sculpteur qui s’était signalé dès ses
débuts à Rome, par l’admirable étude d’après le Faune antique que
le Louvre a recueillie. La terre cuite de la collection André, exé-
cutée sans doute avant le marbre, qu’elle n’égale pas, est donc un
document du plus grand prix.
Et Ton peut dire que, dans la série des sculpteurs français du
Musée Jacquemart-André, tout a son intérêt, sa signification, que
presque rien n’est négligeable. Line terre cuite de Guillaume II
Coustou, Le Dieu Pan enseignant à jouer de la flûte à Apollon, qui
figura au Salon de 1745 et qui est aussi une œuvre de jeunesse,
annonce déjà, dans son élégance un peu molle, le style des figures
du Tombeau du Dauphin (fils de Louis XV et père de Louis XVI)et de
Marie-Joséphe de Saxe, qui fut la grande œuvre de ses dernières
années.
C’est aussi une œuvre de jeunesse — et très curieuse à ce titre —
que le buste d’un homme inconnu, terre cuite patinée en bronze,
au revers duquel on lit : « faite par son amy Gaffieri le jeune, an
1746 ». L’auteur, Jean-Jacques, n’a alors que vingt et un ans, étant
né rue des Canettes, le 30 avril 1725; il vient à peine de quitter
l’atelier de son père pour entrer chez Lemoyne et il n’obtiendra que
dans deux ans son premier prix de sculpture. Ce portrait est une
étude sincère, appliquée, un peu timide, mais très expressive; un
bout de draperie chiffonnée sur la poitrine découvre l’encolure nue;
le sourire de la bouche accompagne et complète le regard bienveiJ-
1. Paris, 1910, in-4°, pi. VIII.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sculptor regius faciebat. a. d. 1736 » le buste de Charles-Frédéric
de la Tour du Pin, marquis de Gouvernet, sénéchal de Yalentinois,
gouverneur de Montbéliard (1694-1775). Le marbre « sans draperie,
traité dans le goût de l’antique », exposé au Salon de 1738, est
aujourd’hui en possession de M. le comte de Chabrillant (M. A. Roserol
l’a reproduit dans son excellente monographie de Bouchardon*). « U
n’est point habillé », écrivait Caylus, « et le sentiment de la chair,
joint à la plus grande simplicité, rend ce portrait infiniment recom-
mandable. » On ne saurait mieux dire. A cette date, l’œuvre prend
l’importance d’une sorte de manifeste contre les chiffonnements el
les rocailles encore à la mode; largement et sobrement traitée,
modelée avec une fermeté sans sécheresse, tous les accents physio-
nomiques (le front accidenté et vivant, le dessin des sourcils, la
bouche et le menton impérieux) marqués avec intelligence et déci-
sion, elle est bien digne du sculpteur qui s’était signalé dès ses
débuts à Rome, par l’admirable étude d’après le Faune antique que
le Louvre a recueillie. La terre cuite de la collection André, exé-
cutée sans doute avant le marbre, qu’elle n’égale pas, est donc un
document du plus grand prix.
Et Ton peut dire que, dans la série des sculpteurs français du
Musée Jacquemart-André, tout a son intérêt, sa signification, que
presque rien n’est négligeable. Line terre cuite de Guillaume II
Coustou, Le Dieu Pan enseignant à jouer de la flûte à Apollon, qui
figura au Salon de 1745 et qui est aussi une œuvre de jeunesse,
annonce déjà, dans son élégance un peu molle, le style des figures
du Tombeau du Dauphin (fils de Louis XV et père de Louis XVI)et de
Marie-Joséphe de Saxe, qui fut la grande œuvre de ses dernières
années.
C’est aussi une œuvre de jeunesse — et très curieuse à ce titre —
que le buste d’un homme inconnu, terre cuite patinée en bronze,
au revers duquel on lit : « faite par son amy Gaffieri le jeune, an
1746 ». L’auteur, Jean-Jacques, n’a alors que vingt et un ans, étant
né rue des Canettes, le 30 avril 1725; il vient à peine de quitter
l’atelier de son père pour entrer chez Lemoyne et il n’obtiendra que
dans deux ans son premier prix de sculpture. Ce portrait est une
étude sincère, appliquée, un peu timide, mais très expressive; un
bout de draperie chiffonnée sur la poitrine découvre l’encolure nue;
le sourire de la bouche accompagne et complète le regard bienveiJ-
1. Paris, 1910, in-4°, pi. VIII.