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un ciel d’orage étend à nos pieds sa nappe couleur de plomb; c’est le lac
Asphaltite avec ses plages de sel, ses sables mouvants qu’on croirait
sillonnés par les flots. De larges plaines, couvertes de vase desséchée
dans laquelle des arbustes chétifs et des roseaux croissent péniblement,
le bordent d’une part, et de l’autre, des montagnes désolées ; au milieu
de la vallée passe le Jourdain1, ruisseau pale et jaune dont on distingue
le cours parmi des saules, des lauriers et des joncs, traçant au loin son
passage dans l’arène. Des taillis de verdure servent de cachette aux
Arabes pour attaquer les voyageurs. On conçoit aisément que l’imagi-
nation des prophètes ait placé sur un pareil théâtre les scènes de mort,
de résurrection et de jugement; il fallait une prodigieuse enceinte pour
les flots du genre humain; ce lieu, néanmoins, serait encore trop
étroit.
Arrivés sur le rivage encombré de troncs d’arbres déracinés et de
branchages enlevés par les ouragans aux coteaux voisins, nos chevaux
trempent leurs pieds effrayés dans les flots appesantis de la mer Maudite.
Elle est d’une nuance bourbeuse et exhale une assez forte odeur de bi-
tume 2. Zeboïm, Adama, Sodome et Gomorrhe l’ont empoisonnée dans
leur chute. ( Strabon parle de 15 villes englouties dans ce lac. ) Nous
remontons ensuite vers le Jourdain, le ciel nous menace d’une pluie
qui serait terrible dans le terrain défoncé et mou de la plaine que
nous traversons, notre lieutenant galoppe en avant pour éclairer
notre chemin; des collines s’élèvent et se succèdent; deux ou trois
Arabes sont aperçus échelonnés à de grandes distances les uns des au-
tres; ils sont postés en vedette pour épier notre marche; nos deux sol-
dats d’escorte qui les ont aperçus sans nous en rien dire, prennent peur
et, profitant d’un creux , se séparent de nous et disparaissent; le lieu-
tenant revient bientôt à toute bride, nous avertir qu’il a vu de loin
les Arabes et qu’il faut se tenir prêt à les repousser en cas d’atta-
que; nos armes sont chargées, et quoiqu’un nombre de sept, nous
pouvons faire bonne contenance avec 28 coups de feu à notre disposi-
tion. Nous marchons en rang militairement, lesfusils armés suida cuisse,
1 Le fleuve sacré dont la source est élevée de cent quatre vingt trois mètres au-dessus de
la Méditerrannée, coule dans une vallée qui devient de plus en plus profonde, et le niveau
de la nier Morte, où il se jette , est de quatre cents vingt mètres au-dessous de celui de la
Méditerranée. Le lac de Tibériade est à deux cent trente mètres au-dessous, et le lac Sama-
chonite (Bahr el houle) est à six mètres quarante centimètres.
2 Ce bitume est travaillé à Jérusalem et à Bethléem en petits vases, coupes, chapelets, etc.
Il y a du poisson seulement aux points avoisinantles eauxdouces. Quelques végétaux tels que
le tamarise, l’asclepiat gigantea, qui est la pomme remplie de cendre dont parle Tacite.
un ciel d’orage étend à nos pieds sa nappe couleur de plomb; c’est le lac
Asphaltite avec ses plages de sel, ses sables mouvants qu’on croirait
sillonnés par les flots. De larges plaines, couvertes de vase desséchée
dans laquelle des arbustes chétifs et des roseaux croissent péniblement,
le bordent d’une part, et de l’autre, des montagnes désolées ; au milieu
de la vallée passe le Jourdain1, ruisseau pale et jaune dont on distingue
le cours parmi des saules, des lauriers et des joncs, traçant au loin son
passage dans l’arène. Des taillis de verdure servent de cachette aux
Arabes pour attaquer les voyageurs. On conçoit aisément que l’imagi-
nation des prophètes ait placé sur un pareil théâtre les scènes de mort,
de résurrection et de jugement; il fallait une prodigieuse enceinte pour
les flots du genre humain; ce lieu, néanmoins, serait encore trop
étroit.
Arrivés sur le rivage encombré de troncs d’arbres déracinés et de
branchages enlevés par les ouragans aux coteaux voisins, nos chevaux
trempent leurs pieds effrayés dans les flots appesantis de la mer Maudite.
Elle est d’une nuance bourbeuse et exhale une assez forte odeur de bi-
tume 2. Zeboïm, Adama, Sodome et Gomorrhe l’ont empoisonnée dans
leur chute. ( Strabon parle de 15 villes englouties dans ce lac. ) Nous
remontons ensuite vers le Jourdain, le ciel nous menace d’une pluie
qui serait terrible dans le terrain défoncé et mou de la plaine que
nous traversons, notre lieutenant galoppe en avant pour éclairer
notre chemin; des collines s’élèvent et se succèdent; deux ou trois
Arabes sont aperçus échelonnés à de grandes distances les uns des au-
tres; ils sont postés en vedette pour épier notre marche; nos deux sol-
dats d’escorte qui les ont aperçus sans nous en rien dire, prennent peur
et, profitant d’un creux , se séparent de nous et disparaissent; le lieu-
tenant revient bientôt à toute bride, nous avertir qu’il a vu de loin
les Arabes et qu’il faut se tenir prêt à les repousser en cas d’atta-
que; nos armes sont chargées, et quoiqu’un nombre de sept, nous
pouvons faire bonne contenance avec 28 coups de feu à notre disposi-
tion. Nous marchons en rang militairement, lesfusils armés suida cuisse,
1 Le fleuve sacré dont la source est élevée de cent quatre vingt trois mètres au-dessus de
la Méditerrannée, coule dans une vallée qui devient de plus en plus profonde, et le niveau
de la nier Morte, où il se jette , est de quatre cents vingt mètres au-dessous de celui de la
Méditerranée. Le lac de Tibériade est à deux cent trente mètres au-dessous, et le lac Sama-
chonite (Bahr el houle) est à six mètres quarante centimètres.
2 Ce bitume est travaillé à Jérusalem et à Bethléem en petits vases, coupes, chapelets, etc.
Il y a du poisson seulement aux points avoisinantles eauxdouces. Quelques végétaux tels que
le tamarise, l’asclepiat gigantea, qui est la pomme remplie de cendre dont parle Tacite.