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Grand-Carteret, John
Les moeurs et la caricature en France — Paris, 1888

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https://doi.org/10.11588/diglit.9066#0096

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LES MOEURS ET LA CARICATURE EN FRANCE

débarrassé des terribles inquiétudes de la Terreur, et cette sécurité du len-
demain exerçait sur les esprits une heureuse diversion.

Avec le Directoire, la caricature va donc pouvoir, à la fois, quitter son
caractère agressif et dépouiller son côté naïf d'instrument de propagande pour
s'attaquer aux mœurs, pour ridiculiser les hommes et les choses.

Deux types, deux classes d'individus constituent la société nouvelle :
les petits bourgeois ruinés par les mesures financières du gouvernement
et les parvenus. Les premiers, ces inconcevables, ces impayables, ces
insolvables rentiers de l'Etat qui vont prendre bientôt le chemin de
Bicêtre ', tomberont sous le coup de ses railleries, alors qu'elle rira à gorge
déployée, pour les nouveaux enrichis, pour tous ceux qui ont su trouver
dans les misères publiques un prétexte à fortune, qui spéculent sur les vic-
toires et sur les défaites, qui aventurent à la loterie ou au jeu un gain
facilement acquis.

C'est aux époques de transition comme celles dont il s'agit ici, que le
thème éternellement humain de la grandeur et de la décadence des indi-
vidus, est surtout invoqué. C'est alors que, dans la littérature comme
dans l'illustration, on voit apparaître les bonnes âmes compatissantes et
charitables qui s'apitoyent sur le sort des vaincus, des dépossédés, et peu
à peu cette tendance conduit à la sensiblerie, l'expression dominante de cer-
taines périodes historiques.

Que de bourses vides, que de ventre creux ; Gastronomes sans argent,
que Carie Vernet représente à la porte des rôtisseries, humant, hommes et
chiens, le fumet des victuailles. La caricature, disent les frères de Goncourt
dans leur Histoire de la Société française pendant le Directoire, « est une
vérité qui montre une poissarde faisant l'aumône à un rentier. » L'éventail
peint le peu qu'il est au présent, l'éventail des rentiers qui porte écrit sur
tous les côtés ce triste prétérit : « Je fus, tu fus, il fut, nous fûmes. »

Dans ce monde ainsi composé, le véritable riche se trouve être le prêteur
sur gages, et c'est pour lui que l'estampe réserve ses traits les plus acérés.
Assurément la peinture, pour fixer les traits d'Harpagon, n'avait pas attendu
la littérature, puisque les Flamands des xvi° et xvii" siècles nous ont laissé
des têtes d'usuriers d'une merveilleuse puissance de rendu. Mais la période
transitoire entre l'ancienne et la nouvelle société fut une de ces époques
qui voient sortir de terre des couches sociales inconnues. La Révolution

■Voir la caricature reproduite par Paul Lacroix, dans son volume : Le Directoire (page 121) et
représentant un rentier avec la légende suivante : « Les méchants me tourmentent, les bons me
ruinent. »
 
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