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Le Grelot: journal illustré, politique et satirique — 12.1882

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https://doi.org/10.11588/diglit.6801#0092
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12me ANNEE. — N° 582 PARIS ET DEPARTEMENTS : 15 CENTIMES LE NUMERO 4 Juin 1882.

Ce que vous chanterez dans vingt ans, quand vous serez docteurs, notaires, substituts, dans une ville de
quinze cent trentre-deux âmes; alors qu'avocat athée, vous irez à confesse, pour conserver votre clientèle; alors
que, médecin, vous répandrez de douces larmes sur le sort d'un jeune interne mort de dévouement... et que vous
ferez payer vos visites d'avance; alors que, juge intègre, oubliant vos fredaines d'antan, vous tonnerez contre un
pauvre diable, lui reprochant d'avoir, un soir, mangé vingt-sept sous, avec des pliâmes, en débauches sardana-
palesques.

Te souviens-tu, disait un juge d'âge
Au bon docteur qui lui serrait la main,
Te souviens-tu de l'horrible tapage
Que nous faisions dans le quartier Latin ?
Au Luxembourg, contre monsieur Alphonse,
Tous deux, souvent, nous avons combattu ;
En y pensant, mon vieux sourcil se fronce.
Dis-moi, docteur, dis-moi ; t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu qu'un soir, devant les femmes,

Café Mùrger, où servait ma Loulou,

Cids valeureux, sur les bocks, nous jurâmes

D'exterminer jusqu'au dernier marlou ?

Dans tes discours, toi, tu fus intraitable,

Et moi, singeant le ton d'un substitut,

Pour pérorer je grimpai sur la table.

Dis-moi, docteur, dis-moi ; t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu du menaçant cortège
Qui s'avançait, effroi des promeneurs,
Quand nous allions au pas mettre le siège
Devant Bullier, l'antre des souteneurs.
Justement tiers de notre but honnête,
Pour ranimer ton courage abattu,
Nous entonnions : « Chantons la pomponnetie ! »
Dis-moi, docteur, dis-moi ; t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu de la cohue énorme,
Lorsqu'à Bullier nous donnâmes l'assaut ?
Sous le veston nous servant d'uniforme.
Nous dégotions Kléber, Hoche et Marceau !

Sans coupe-choux, sans fusil sur l'épaule.
— On est bien fort, luttant pour la vertu ! —
Nous avons pris de force le contrôle.
Dis-moi, docteur, dis-moi, t'en souviens-tu?

Te souviens-tu de la grande bataille,
Etudiants, filles, accroche-cœurs,
Quand, pourchassant la hideuse canaille,
Sur le champ-clos nous restâmes vainqueurs ?
Cœur valeureux, bras fort, âme vaillante,
Tout le quartier bravement s'est battu,
Et nous étions cinq mille contre trente !
Dis-moi, docteur, dis-moi, t'en souviens-tu?

Te souviens-tu — souvenirs lamentables !
Des bois cassés, des morceaux de cristal,
Des becs tordus et des débris de tables
Eparpillés sur le parquet du bal ?
On brisait tout en blaguant Gamescasse.
Le lendemain sur un prix débattu,
Benoîtement nous payons tous la casse.
Dis-moi, docteur, dis-moi, t'en souviens-tu'

Te souviens-tu des vives escarmouches
Qui se livraient au bon vieux Luxembourg,
Ayant nos poings comme seules cartouches,
Nous expulsions les rôdeurs du faubourg.
Aux souteneurs croyant faire des niches,
Dans le bassin, tous, nous avons f...ichu
...Un employé des Petites-Affiches.
Dis-moi, docteup; dis-moi, t'en souviens-tu?

Te souviens-tu des courses intrépides
Que nous faisions, en vrais triomphateurs ?
Dans les cafés, féroces et stupides,
Nous nous ruions sur les consommateurs,
Aux carrefours, aux ruelles, aux places,
Le désespoir, par nous, s'est abattu :
Nous brisions tout, les chaises et les glaces,
Dis-moi, docteur, dis-moi, t'en souviens-tu?

Te souviens-tu du bon sergent de ville
Qui nous mena, certain soir, au Dépôt ?
Mais le préfet, de façon fort civile,
De la prison nous délivra bientôt.
L'égalité règne toujours en France :
Un calicot, parmi nous tous perdu,
Ne put sortir que moyennant finance.
Dis-moi, docteur, dis-moi, t'en souviens-tu?

Mais, soyons francs; aux amants de ces dames,
Tu sais pourquoi nous collions tant de pins?
C'est qu'ils voulaient empêcher, les infâmes!
Qu'à nos Phrynés nous posions des lapins.
Avouons-le, car le grand âge est sage,
Nous criions bien : morale! honneur! vertu!
Mais ce n'était qu'un prétexte au tapage.
Dis-moi, docteur, dis-moi, t'en souviens-tu?

JULES JOUY.
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