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la création de l’art septentrional. Ils ont dres-
sé un arc de triomphe à des peintres chimé-
riques et célébré pompeusement leur gloire.
Mais cet arc doit être démoli, ces fanfares
doivent cesser de retentir.

» Mes recherches sur les origines de la
peinture flamande me paraissent en avoir
expliqué l’embryogénie, avoir montré com-
ment elle a peu à peu réuni et groupé ses
éléments constitutifs. Des miniatures, des
tableaux et une école nationale de sculpture,
produisant des travaux analogues à ceux des
coloristes, ont fait voir ses premiers dévelop-
pements. A-t-elle eu besoin d’une aide ex-
térieure pour atteindre un nouveau degré
de croissance, pour entrer dans l'àge fécond
de la puberté? Celte aide lui est-elle venue
de l’Allemagne? Double question qu’il faut
débattre avec l’impartialité de l’histoire.

» Et d’abord est-il vraisemblable qu’une
race organisée d’une manière tout à fait su-
périeure pour les beaux-arts, comme la race
flamande, ait pu contracter n’importe quelle
obligation envers une rare inférieure, et, à
plus forte raison, ait dû s’appuyer sur elle
pour entrer dans une carrière où ses facultés
la prédestinaient à d’imposants triomphes?
Personne ne le croira. Eh bien, la race ger-
manique ne saurait être comparée, en fait de
goût, d’imagination, de facultés inventives
et d’adresse manuelle, avec le peuple fla-
mand. L’Allemagne n’a rien produit d’ana-
logue aux splendides phalanges de peintres
qui, durant trois siècles, ont défdé sur le sol
néerlandais comme un glorieux cortège. Même
lorsqu’elle se fut instruite dans les Pays-Bas,
lorsqu’elle fut devenue l’écolière des Van
Eyck et de Memlinc, elle demeura bien loin
derrière ces maîtres puissants. La nation eut
beau s’évertuer, elle resta ce que la nature
l’avait faite, une race barbare. Oui barbare,
et tout chez elle, jusqu’à nos jours, porte ce
caractère. Le Teuton des forêts primitives,
où mugissait l’aurochs, où se dressaient les
chênes d’Irmensul, où l’on invoquait dans
l’ombre de farouches divinités, ce Teuton n’a
jamais disparu. Quand on visite les collec-
tions , les églises de l’Allemagne, on demeure
stupéfait devant les productions baroques de
ses artistes pendant les quinzième et seizième
siècles. A Nuremberg, par exemple, où le
goût des œuvres plastiques et pittoresques
semble avoir été plus vif que dans toutes les
autres communes d’outre-Rhin, les statues
des églises Notre-Dame, Saint-Laurent et
Saint-Sébald causent l’étonnement le plus
profond. Le voyageur a d’abord peine à croire
qu’on les ait sérieusement travaillées. Quels
types, bon Dieu! quelles disproportions dans
les traits du visage, dans les formes du corps!
Et quelles postures bizarres, inexplicables,

fantastiques ! Les accoutrements ne valent
pas mieux, car on ne peut appeler costumes
les étoffes pendues ou tordues en plis extra-
vagants autour des personnages. Il faut arri-
ver jusqu’à la fin du quinzième siècle et au
commencement du seizième pour trouver un
Adam Krafft, un Pierre Vischer, qui manifes-
tent dans leurs ouvrages le sentiment des li-
gnes et de l’harmonie, le goût du vrai et du
beau. Mais avant ces tardives apparitions,
autour de ces lumineuses figures, nuit com-
plète, une froide nuit d’Allemagne où se dé-
chaînent des vents lugubres! La statuaire,
au delà du Rhin, n’a donc pu éveiller sa sœur
la peinture, et lui montrer, vers l’Orient,
l’idéal auquel toutes deux aspirent.

» L’école flamande elle-même ne l’a éveil-
lée qu’à demi dans les provinces leutoniques ;
les brouillards du sommeil continuèrent à
voiler en partie ses yeux, les fantômes des
heures sombres à rôder autour d’elle. Les
chefs d’atelier, les héros de la palette en Al-
lemagne sont encore des barbares. A quelle
distance Albert Durer et Cranach se traînent
de Jean van Eyck, Rogier van der Weyden,
Stuerbout et Memlinc! Les tableaux, les gra-
vures du maître de Nuremberg n’excitent,
en général, que l’étonnement. La dispropor-
tion, la bizarrerie, un amour passionné des
visions et des chimères y noient, y englou-
tissent les qualités supérieures, qui doivent
toujours dominer, comme des îlots fleuris,
le courant tumultueux de l’art. Lui-même,
avec sa figure étrange, ses longs cheveux
bouclés, son regard lixe et perdu dans les
songes, n’a-t-il pas l’air d’une évocation? Çà
et là, exceptionnellement, il crée des œuvres
qui rentrent dans les données essentielles de
l’art, le saint Jérôme, les Quatre Evangélistes,
la Trinité, de Vienne, mais il use une grande
partie de sa force à chercher la vraie route,
à suivre des sentiers perdus. Il le reconnaît
lui-même, il l’avoue trop tard , quand la mort
impatiente a déjà marqué sa porte d’un signe
funèbre (1). Et Lucas Cranach , en voyant ses
tableaux, qui le supposerait mort dans le

(1) Memini virum excellentem ingenio et virtute, Al-
berlum Durerum pictorem, dicere se juvenein floridas
et maxime varias picluras amasse, seque admiratorem
suorum operum valdè lætalum esse contemplanlem liane
varietatem in suâ aliquâ piclurâ. Posleà se senem cœpis-
se intueri naturam, et illius nativam faciem intueri
conatum esse, eamque simplicilatem tum intellexisse
summum decus artis esse. Quam cum non prors ùs ad-
scqui posset, dicebat se jam non esse admiratorem ope-
rum suorum ut olim, sed sæpè gemere intuentem suas
tabulas et cogitanlem de infirmitale suâ, etc. (Epislolœ
Pli. Melanchlonis, ep, 47, pag. 42).

(2) « Lucas Cranach, dit un auteur moderne, inspire
une consolante réflexion : si beaucoup de choses ont dé-
généré depuis son époque, les femmes allemandes sont
incontestablement devenues plus belles. » Wien’s Gemœl-
de-Gallerien, von Betty Paoli, pag. 102.

milieu du seizième siècle, en 1553? Ses
maigres femmes, au nez retroussé, aux pos-
tures difficiles et anguleuses, aux membres
fluets et contournés, qu’il a voulu rendre sé-
duisantes, ne pourrait-on pas les croire pein-
tes au blanc d’œuf et antérieures à l’école de
Bruges? Leur afféterie naïve, leur gauche
indécence, les petits seins qu’elles étalent,
les grêles proportions de leurs cuisses, de
leurs jambes nues, transportent le spectateur
en plein moyen-âge (2). Et auprès de ces ta-
lents bizarres, quoique supérieurs, quels ta-
lents hétéroclites! On dirait que les auteurs
ont pris volontairement le contre-pied de
toutes les lois esthétiques. Les Schæufelein,
Burgkmair, Wohlgemuth, les Feselen, Wa-
gener, Zeitbloom, Hans Kulmbach, Barthé-
lemy Beham produisent sur le connaisseur
l’effet d’un mauvais rêve. Où trouver des com-
positions plus maladroites, des ajustements
plus baroques, des types plus désordonnés,
des chevelures moins élégantes et des yeux
plus hagards? L’année dernière, dans le mu-
sée de Berlin, dans la chapelle Saint-Maurice
et la collection du château, à Nuremberg,
aussi bien que dans la galerie de Munich,
j’ai eu quelques velléités de prendre des notes
sur ces extravagantes et farouches produc-
tions. Mais comme il n’y avait, pour ainsi
dire, aucun choix à faire, l’immensité du
travail m’en a détourné.

» Dans cette bande tudesque aux fantas-
ques inspirations, un seul homme a toujours
montré du goût, de la mesure, le sentiment
des proportions et de l’harmonie. Mais Hol-
bein ne s’est préservé des fausses voies et des
chutes qu’en suivant les traces de l’école fla-
mande. Il lui a prêté foi et hommage comme
un fidèle vassal; il lui doit son goût, sa ma-
nière et ses procédés.

» Si je voulais poursuivre cette enquête
sur les tendances barbares de l’esprit germa-
nique, je les signalerais dans les peintures
murales de la Bavière, expressives, bien
composées, mais du plus étrange aspect;
dans les fresques prussiennes, agréables de
forme, moelleuses de ton, mais conçues avec
une subtilité scolastique, autre phénomène
barbare, comme l’ont bien prouvé le moyen-
âge et les arguties de l’empire bysantin; dans
le style obscur, les laborieux échafaudages,
l’appareil inutile et compliqué de la philoso-
phie allemande, plus occupée de vaines for-
mules que des idées mêmes, et, pour con-
clure, dans les inventions excentriques des
plus grands poètes d’Outre-Rhin. Quels prin-
cipes littéraires peuvent excuser les divaga-
tions emblématiques du Second Faust, le
désordre intellectuel des Années de voyage (1)?

(1) Wilhelm Meisler's Wanderjahre.
 
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