Overview
Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Überblick
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
— 79

d’aucune époque n’ont été arrêtés par cette
prétendue difficulté, et, sans remonter à plu-
sieurs siècles, les plus beaux tableaux de
l’école de David, école essentiellement ar-
chaïque et rétrograde cependant, ne sont-ils
pas les Pestiférés de Jaffa, le portrait de Ma-
rat assassiné, le couronnement de Napoléon
Ier, le radeau de la Méduse? M. Tony Robert-
Fleury, convaincu que toutes les époques
convenaient également à la peinture, a su
choisir une scène qui lui présentait avec des
types caractéristiques, des costumes pitto-
resques. L’intérêt même du sujet pouvait
devenir un danger. Rien de plus facile que
de tomber dans les excès de sensiblerie ou
d’horreur. Mais conçu avec intelligence et
réflexion, ce massacre a pris une grandeur,
un héroïsme bien au dessus des violences et
des exagérations. Toutes les grandes choses
sont simples et gagnent à être dites simple-
ment. Ici nous n’avons pas les emportements
d’un combat; ce ne sont plus les Grecs égor-
gés à Scio après s’être au moins vaillamment
défendus ou le sublime transport des femmes
Souliotes. Un peuple tout entier a voulu périr
sans se défendre (c’est ce qui est arrivé dans
l’affaire de Varsovie que nous avons sous les
yeux); tous, femmes, enfants, vieillards et
jeunes gens, nobles et paysans se sont réunis
pour protester en priant et pour offrir en-
semble à la sainte patrie le sacrifice volon-
taire de leur vie. Notre époque sceptique a pu
rester insoucieuse; mais cette guerre demeu-
rera à jamais un des épisodes les plus héroï-
ques de l’histoire de notre temps. M. Tony
Robert-Fleury a choisi le trait qui résumait
le mieux les caractères et la grandeur de la
lutte. Il a compris en homme et en peintre
tout le parti que l’art pouvait tirer de ce ma-
gnifique spectacle. Enfermée dans une mu-
raille de fer, entre les cavaliers armés du
sabre et les soldats qui tuent, la foule des
victimes est là qui prie et qui meurt, sans
défense, sans colère, sans cris. Les mouve-
ments sont variés et naturels : un fils tombe
entre les bras de son père; des étudiants se
serrent et s’enlacent pour mourir ensemble ;
une jeune fille affolée se cache dans le giron
de sa mère; une paysanne se renverse frap-
pée tandis qu’une belle jeune femme attend !
et prie, résignée. Au devant, s’étend le ca-
davre d’un homme du peuple, sur la ban-
nière gisante de la Vierge. Au fond, appa-
raissent d’autres groupes, dans diverses at-
titudes, à moitié masqués par la fumée. Tout
contribue à l’harmonie du tableau; la nuance
sombre des vêtements, le bleu intense du
ciel et les rouges briques des bâtiments qui
ferment le fond. M. Tony Robert-Fleury, s’il
a eu la bonne fortune de choisir un sujet d’un
intérêt universel, n’a pas ce seul mérite ; car

il l’a composé avec une intelligence pleine de
mesure et de goût, il l’a exécuté avec beau-
coup de science et de soin. Toutes les figures
sont sérieusement étudiées; quelques-unes,
entr’autres la paysanne frappée dont la poitri-
ne rappelle les chairs aux tons ambrés de M.
Baudry , sont d’une exécution irréprochable.
Il n’est pas, dans l’exposition, d’œuvre mieux
réussie et qui réunisse autant, à notre gré, cet
ensemble de qualités qui constitue un excel-
lent tableau. Aussi, le mérite absolu de
cette production, en dehors de toute autre
considération, doit-il décider des récompen-
ses? M. Tony Robert-Fleury, dans ce cas,
obtiendra pour son début la médaille d’hon-
neur; car il la mérite mieux que personne.

Beaucoup de critiques, devant cette toile,
ont nommé Paul Delaroche. Ce ne serait pas
pour M. Tony Fleury, un défaut, de rappeler
l’auteur de l’Hémicycle; mais nous ne croyons
pas que P. Delaroche ait jamais traité de su-
jets d’histoire contemporaine. Le plus sérieux
rival de M. Tony Robert-Fleury, pour la mé-
daille d’honneur, est M. Donnât. Des qualités
éminentes, que nous connaissions déjà, se
retrouvent plus accentuées dans le Saint Vin-
cent de Paul. Peu d’artistes sauraient mode-
ler avec cette vigueur les torses nus des gar-
diens qui mettent les fers aux pieds du saint
et le corps du galérien délivré. Dans cette
composition un peu vieille, je ne vois aucun
effort pour rajeunir l’intérêt du sujet. Il man-
que je ne sais quoi, dans l’arrangement du
tableau, qui produise une émotion; dans la
figure de saint Vincent de Paul, je cherche
une certaine noblesse, une distinction qui
n’exclut pas la bonté. Les paysans napolitains
devant le palais Farnèse à Panne, nous offrent
les mêmes qualités d’exécution, de la vigueur,
de l’éclat, et, de plus, beaucoup de grâce et
de charme. Délicieusement groupés dans des
mouvements simples et naturels, ils sont lar-
gement traités plutôt pour être vus d’ensem-
ble que pour être examinés à la loupe ; n’en
faisons pas un reproche à M. Bonnat; M.
Meissonier n’a déjà que trop d’imitateurs et
notre artiste est fait plutôt pour les grands
morceaux. Depuis plusieurs années, il mar-
che sans défaillance et sans hésitation dans
! une voie où personne ne le guide. De lui l’art
français attend beaucoup et s’il n’a pas encore
donné cette année le dernier effort de son
talent, il est, pour aujourd’hui, le seul qui
j puisse disputer à M. Tony Robert-Fleury la
médaille d’honneur par le seul mérite des
œuvres qu’il expose.

M. G. Courbet met aujourd’hui le comble
à sa réputation de paysagiste. La remise de
chevreuils est un des meilleurs tableaux qu’ait
encore exposés le peintre franc-comtois. Il y
a aussi de bien jolies parties dans la femme

au perroquet. Tout le monde s’accorde à trou-
ver le haut du corps, la tête et la main droite
d’une exécution merveilleuse ; mais cet éloge
unanime fait davantage remarquer le contour
disgracieux de la hanche et de la jambe; il
n’est aussi qu’une voix pour condamner cette
ridicule chevelure rousse qui rayonne autour
de la tête et qu’on n’a pu mieux comparer
qu’à des copeaux. Ces jupons sales sur les-
quels repose le corps de la femme prouvent
que si M. Courbet veut bien faire quelques
concessions, il n’est pas homme à abandon-
ner tout d’un coup son ancien parti. La con-
version du réaliste est cependant plus qu’à
moitié accomplie et les tableaux de cette an-
née nous prouvent que de l’ancien peintre
excentrique, il restera à l’Ecole française un
des artistes les mieux doués de notre temps
pour la partie matérielle de l’art, un grand
paysagiste, mais un homme incomplet et à
jamais incapable de faire un tableau sans
défaut. La preuve n’en est pas loin; dans ce
paysage que nous admirions tout à l’heure,
le fond de roches blanches vient en avant des
premiers plans déranger toute la perspective.

Si la grande médaille peut se donner équi-
tablement à l’ensemble d’une carrière bien
remplie, nul n’y a plus de titres que M. Co-
rot. Sa main toujours savante et ferme, re-
trace, avec le même attrait, l’interprétation
poétique que l’artiste prête à la nature. M.
Corot restera une des gloires les plus incon-
testées et les plus originales du paysage
moderne. Ses tableaux sont indescriptibles;
il faut les voir, on ne peut les imaginer. Son
Souvenir de Vigen (Limousin) est une nou-
velle page ajoutée à un poème plein d’eni-
vrantes rêveries. Il est inutile d’essayer la
description de ce tableau et des paysages en
général. Ici ia peinture vaut surtout, par l’exé-
cution, et le sujet, plus ou moins intéressant,
ne peut échapper à une certaine monotonie.
Nous nous contenterons donc de signaler les
œuvres les plus remarquables et les noms qui
ne peuvent être oubliés. Nous constaterons
que M. Th. Rousseau se perd dans les détails
d’une exécution lourde et pénible, tandis
que M. Daubigny, surtout dans son Effet du
matin sur V Oise, se surpasse lui-même; jamais
il ne nous a rien donné de plus sincère, de
plus frais et de plus magnifique. M. P. Huet
aime toujours les grandes scènes dramatiques,
les inondations, les forêts submergées par
les temps gris et brumeux, tandis que M.
Chintreuil recherche les effets bizarres et
excentriques; il réussira mieux quand il se
résignera à des motifs moins prétentieux,
comme MM. Blin et Desbrosses. Quels beaux
paysages nous donnerait M. Nazon s’il prenait
la peine de terminer ses arbres et ses terrains
avec plus de soin! M. Nazon est un artiste
 
Annotationen