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BIOGRAPHIE NATIONALE.
a intéresser à sa querelle Philippe Ier et sa cour, et à pousser une armée française
contre la Flandre, qui ne refusait pas son hommage au roi. Impossible d’expliquer
ce fait autrement que par une antipathie de race.
La Flandre offrait déjà un tout autre spectacle. Les chroniqueurs nous y montrent
des populations concentrées, de véritables milices bourgeoises, combattant à pied
avec cette terrible pique qui fut si fatale à la cavalerie française et qui longtemps
après, sous Charles le Téméraire, devait faire triompher les Suisses de l'élite de la
noblesse européenne. L’auteur de cette notice a essayé de prouver ailleurs 1 que la
commune germanique, — association d’hommes libres s’armant, se défendant, se
jugeant et s’administrant eux-mêmes dans des conditions d’égalité et de solidarité
parfaites, — est beaucoup plus ancienne qu’on ne le croit généralement. Rétablisse-
ment des communes est une expression impropre; les communes furent non pas éta-
blies, mais reconnues et étendues dans le xie, le xne et le xnr siècles. Il en existait un
grand nombre, avant Richilde, dans la Flandre et même dans le Brabant; seulement
elles n’avaient pas acquis ce caractère officiel qui leur fut généralement imprimé
après les croisades.
Richilde mérite peut-être le premier rang parmi les femmes illustres qui ont vu le
jour en Belgique. Le résumé de sa vie justifiera cette assertion.
Enfant unique de Régnier V, comte de Hainaut, et veuve de Herman, comte de
Saxe et d’Ardennes, qui l’avait rendue mère de deux enfants, Richilde épousa,
en 1050, Baudouin VI ou de Mons, comte de Flandre. Le Hainaut fut joint ainsi, pour
la première fois, à 1 héritage de Baudouin Bras de Fer. Mais cette réunion ne fut ni
longue ni heureuse. A cette époque, il y avait une profonde incompatibilité d’humeur
entre les provinces flamandes et wallonnes; l’ambition des princes envenima encore
cette cause de discorde. Baudouin VI fit à Audenarde, en juillet 1070, un testament
public par lequel il institua son frère Robert tuteur de ses fils Arnould, à qui il légua
la Flandre, et Baudouin, à qui il donna le Hainaut. Richilde se trouvait ainsi exclue
de toute autorité sur ses propres enfants 2. Naturellement fière, entreprenante, ambi-
tieuse et avide de vengeance, elle résolut de ressaisir par la force des armes une
tutelle qui paraissait lui avoir été injustement ravie.
Elle proteste donc contre le testament de son mari, et, s’enfermant au château de
Lessines avec ses deux enfants, elle appelle à son secours les principaux seigneurs
du Hainaut; elle leur dépeint le testament de Baudouin VI comme une infraction à
ses droits, comme une injure faite à tous les llennuyers; elle assure que Robert le
Frison hait tout ce qui n’est pas Flamand comme lui, que bientôt les guerriers des
bords de l’Escaut et de la Lys viendront mettre à contribution Valenciennes, Mons, le
Quesnoy, l’héritage entier de Régnier V ; elle les supplie de ne pas se laisser désho-
norer ainsi... En même temps, elle répand l’or dans les principales villes de Flandre,
elle y envoie des émissaires fidèles qui calomnient Robert le Frison et qui s’efforcent
'Les Communes belges, 1 vol. in-12, publié en 1846 parM. JAMARdans la Bibliothèque nationale.
2 II règne quelque obscurité dans cette partie de nos annales. Ce n’est pas ici le lieu de discuter
des dates et des noms propres. Il nous suffira de dire que le Hainaut appartenait de droit à Roger,
premier enfant de Richilde et de Herman de Saxe, mais que Roger renonça, on ne sait comment,
à cette belle succession pour entrer dans les ordres et devenir évêque de Châlons-sur-Marne.
BIOGRAPHIE NATIONALE.
a intéresser à sa querelle Philippe Ier et sa cour, et à pousser une armée française
contre la Flandre, qui ne refusait pas son hommage au roi. Impossible d’expliquer
ce fait autrement que par une antipathie de race.
La Flandre offrait déjà un tout autre spectacle. Les chroniqueurs nous y montrent
des populations concentrées, de véritables milices bourgeoises, combattant à pied
avec cette terrible pique qui fut si fatale à la cavalerie française et qui longtemps
après, sous Charles le Téméraire, devait faire triompher les Suisses de l'élite de la
noblesse européenne. L’auteur de cette notice a essayé de prouver ailleurs 1 que la
commune germanique, — association d’hommes libres s’armant, se défendant, se
jugeant et s’administrant eux-mêmes dans des conditions d’égalité et de solidarité
parfaites, — est beaucoup plus ancienne qu’on ne le croit généralement. Rétablisse-
ment des communes est une expression impropre; les communes furent non pas éta-
blies, mais reconnues et étendues dans le xie, le xne et le xnr siècles. Il en existait un
grand nombre, avant Richilde, dans la Flandre et même dans le Brabant; seulement
elles n’avaient pas acquis ce caractère officiel qui leur fut généralement imprimé
après les croisades.
Richilde mérite peut-être le premier rang parmi les femmes illustres qui ont vu le
jour en Belgique. Le résumé de sa vie justifiera cette assertion.
Enfant unique de Régnier V, comte de Hainaut, et veuve de Herman, comte de
Saxe et d’Ardennes, qui l’avait rendue mère de deux enfants, Richilde épousa,
en 1050, Baudouin VI ou de Mons, comte de Flandre. Le Hainaut fut joint ainsi, pour
la première fois, à 1 héritage de Baudouin Bras de Fer. Mais cette réunion ne fut ni
longue ni heureuse. A cette époque, il y avait une profonde incompatibilité d’humeur
entre les provinces flamandes et wallonnes; l’ambition des princes envenima encore
cette cause de discorde. Baudouin VI fit à Audenarde, en juillet 1070, un testament
public par lequel il institua son frère Robert tuteur de ses fils Arnould, à qui il légua
la Flandre, et Baudouin, à qui il donna le Hainaut. Richilde se trouvait ainsi exclue
de toute autorité sur ses propres enfants 2. Naturellement fière, entreprenante, ambi-
tieuse et avide de vengeance, elle résolut de ressaisir par la force des armes une
tutelle qui paraissait lui avoir été injustement ravie.
Elle proteste donc contre le testament de son mari, et, s’enfermant au château de
Lessines avec ses deux enfants, elle appelle à son secours les principaux seigneurs
du Hainaut; elle leur dépeint le testament de Baudouin VI comme une infraction à
ses droits, comme une injure faite à tous les llennuyers; elle assure que Robert le
Frison hait tout ce qui n’est pas Flamand comme lui, que bientôt les guerriers des
bords de l’Escaut et de la Lys viendront mettre à contribution Valenciennes, Mons, le
Quesnoy, l’héritage entier de Régnier V ; elle les supplie de ne pas se laisser désho-
norer ainsi... En même temps, elle répand l’or dans les principales villes de Flandre,
elle y envoie des émissaires fidèles qui calomnient Robert le Frison et qui s’efforcent
'Les Communes belges, 1 vol. in-12, publié en 1846 parM. JAMARdans la Bibliothèque nationale.
2 II règne quelque obscurité dans cette partie de nos annales. Ce n’est pas ici le lieu de discuter
des dates et des noms propres. Il nous suffira de dire que le Hainaut appartenait de droit à Roger,
premier enfant de Richilde et de Herman de Saxe, mais que Roger renonça, on ne sait comment,
à cette belle succession pour entrer dans les ordres et devenir évêque de Châlons-sur-Marne.