S’il est des gloires qui ne sortent guère des livres
et ne se révèlent qu’aux esprits cultivés, il en est
qui peuvent se passer de toute parure littéraire, et,
LE COMTE D’EGMONT
ET LE COMTE DE HORN.
par un heureux privilège, deviennent plus éclatantes en raison de leur vulgarité.
Bien des acteurs passent sur la scène du monde, mais très-peu, universellement
applaudis, transmettent leurs noms de siècle en siècle. Ces noms favorisés com-
posent l’érudition de l’ignorance; le pauvre les répète comme le riche, la chau-
mière comme le château, et l’histoire cédant la place à la légende, le peuple, ce
grand poète, compose à ses héros une biographie fabuleuse, où la réalité s’entrevoit
à peine sous les naïves broderies de la fiction.
C’est ainsi que 1 homme étonnant qui conçut l’idée gigantesque de refaire avec des
barbares l’empire d’Auguste et de Constantin fut longtemps le roi Charlon des trou-
vères et des jongleurs ; pour le vainqueur de Ligne et de l’ibère il est une Henriade
dans le cœur de tous les Français; la plèbe, si souvent accusée d’ingratitude, croit
toujours qu’un comte d’Egmont, qu’elle défigure, à sa manière, livra pour le pays sa
tête au bourreau.