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https://doi.org/10.11588/diglit.53598#0188
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BIOGRAPHIE NATIONALE
Toute la formule des pouvoirs se modifie et se refait. C’est un travail général de re-
nouvellement dans tout ce qui est.
Mais ce mouvement ne s’opère pas seulement dans l’ordre des faits; il se mani-
feste aussi dans l’ordre des idées. Car, de meme que les villes tendent à leur affran-
chissement politique, les poètes et les philosophes réclament, ceux-ci par la bouche
d’Abeilard et d’Érigène, ceux-là par la bouche de Rutebeuf, de Jean de Meung et des
auteurs anonymes du roman du Renard, l’affranchissement de la raison. L’esprit
d’examen s’établit. On en use, on en abuse. Si bien qu’à l’oeil le moins exercé à la
synthèse historique, le xvip siècle, avec ses haines politiques et religieuses et ses
luttes si pleines d’acharnement, et le xvme, avec ses thèses audacieuses, ses posi-
tions hardies et ses tendances violentes, se montrent tout entiers en germe dans
le xme siècle.
Entrons dans cette époque, si pleine d’intérêt, et regardons autour de nous. Les
querelles des papes et des empereurs bouleversent l’Empire et l’Italie. La croisade
contre les Albigeois dévaste les joyeuses cités du Languedoc, et cette expédition est
le dernier mouvement du flot de l’invasion franke dans les Gaules. La rivalité de la
France et de l’Angleterre commence et allume une guerre qui doit durer trois siècles
et une haine nationale qui doit durer à jamais. Les Anglais obtiennent cette grande
charte qui a fait si longtemps leur force et leur splendeur, tandis qu’en Espagne les
Mores plient sous les coups d’Alphonse IX, de Sanche le Brave et de Jayme F' qui
leur livre trente-trois batailles. En Orient, un prince flamand, Baudouin, commande
la cinquième croisade, prend Constantinople et s’assied quelques jours sur le trône
dévorant des empereurs de Byzance, comme cet autre prince belge, Godefroid de
Bouillon, avait pris Jérusalem et porté quelques jours le sceptre des rois de la ville
sainte. Enfin, au nord de l’Europe, d’autres croisés de l’Occident s’occupent à com-
battre, dans le fantôme de l’hérésie des Stadings, l’esprit de liberté que cette hère
population frisonne oppose à l’introduction des usages féodaux
Dans un horizon plus restreint, nous voyons d’un côté la Hollande livrée à toutes
sortes de luttes intestines, qu’elle n’interrompt par intervalles que pour tourner ses
armes contre l’indomptable race des Frisons, qui brave à la fois les foudres de l’Eglise
et les lances de la chevalerie féodale pour maintenir son indépendance traditionnelle;
l’évêché d’Utrecht, dont les prélats guerriers, toujours debout sur leurs frontières,
semblent mieux faits pour porter la masse d’armes que la crosse épiscopale; la Zé-
lande, sans cesse en querelle avec les Flamands pour leur disputer quelques bancs de
sable que la mer lui dispute à son tour ; la Gueldre, épiant dans toutes les divisions de
ses voisins l’occasion de s’agrandir, et prête à substituer aux perles de la couronne de
ses comtes les feuilles d’ache des ducs. De l’autre côté, c’est la Flandre, dont les com-
munes se développent d’une manière presque fabuleuse en force et en richesses, et
dont l’énergique population se dispose à croiser, dans les plaines de Gourtrai, ses
bâtons bourgeois avec les épées de tout le baronnage de France ; c’est le Hainaut.
que la fureur des d’Avesnes, ces Atrides de notre moyen âge, transforme en un vaste
champ de bataille; c’est Namur qui, après la mort de Henri l’Aveugle, devient suc-
cessivement le satellite du Hainautet de la Flandre; c’est le Luxembourg qui, tombé
sous la seigneurie des comtes de Limbourg, les chevaliers les plus batailleurs de leur
BIOGRAPHIE NATIONALE
Toute la formule des pouvoirs se modifie et se refait. C’est un travail général de re-
nouvellement dans tout ce qui est.
Mais ce mouvement ne s’opère pas seulement dans l’ordre des faits; il se mani-
feste aussi dans l’ordre des idées. Car, de meme que les villes tendent à leur affran-
chissement politique, les poètes et les philosophes réclament, ceux-ci par la bouche
d’Abeilard et d’Érigène, ceux-là par la bouche de Rutebeuf, de Jean de Meung et des
auteurs anonymes du roman du Renard, l’affranchissement de la raison. L’esprit
d’examen s’établit. On en use, on en abuse. Si bien qu’à l’oeil le moins exercé à la
synthèse historique, le xvip siècle, avec ses haines politiques et religieuses et ses
luttes si pleines d’acharnement, et le xvme, avec ses thèses audacieuses, ses posi-
tions hardies et ses tendances violentes, se montrent tout entiers en germe dans
le xme siècle.
Entrons dans cette époque, si pleine d’intérêt, et regardons autour de nous. Les
querelles des papes et des empereurs bouleversent l’Empire et l’Italie. La croisade
contre les Albigeois dévaste les joyeuses cités du Languedoc, et cette expédition est
le dernier mouvement du flot de l’invasion franke dans les Gaules. La rivalité de la
France et de l’Angleterre commence et allume une guerre qui doit durer trois siècles
et une haine nationale qui doit durer à jamais. Les Anglais obtiennent cette grande
charte qui a fait si longtemps leur force et leur splendeur, tandis qu’en Espagne les
Mores plient sous les coups d’Alphonse IX, de Sanche le Brave et de Jayme F' qui
leur livre trente-trois batailles. En Orient, un prince flamand, Baudouin, commande
la cinquième croisade, prend Constantinople et s’assied quelques jours sur le trône
dévorant des empereurs de Byzance, comme cet autre prince belge, Godefroid de
Bouillon, avait pris Jérusalem et porté quelques jours le sceptre des rois de la ville
sainte. Enfin, au nord de l’Europe, d’autres croisés de l’Occident s’occupent à com-
battre, dans le fantôme de l’hérésie des Stadings, l’esprit de liberté que cette hère
population frisonne oppose à l’introduction des usages féodaux
Dans un horizon plus restreint, nous voyons d’un côté la Hollande livrée à toutes
sortes de luttes intestines, qu’elle n’interrompt par intervalles que pour tourner ses
armes contre l’indomptable race des Frisons, qui brave à la fois les foudres de l’Eglise
et les lances de la chevalerie féodale pour maintenir son indépendance traditionnelle;
l’évêché d’Utrecht, dont les prélats guerriers, toujours debout sur leurs frontières,
semblent mieux faits pour porter la masse d’armes que la crosse épiscopale; la Zé-
lande, sans cesse en querelle avec les Flamands pour leur disputer quelques bancs de
sable que la mer lui dispute à son tour ; la Gueldre, épiant dans toutes les divisions de
ses voisins l’occasion de s’agrandir, et prête à substituer aux perles de la couronne de
ses comtes les feuilles d’ache des ducs. De l’autre côté, c’est la Flandre, dont les com-
munes se développent d’une manière presque fabuleuse en force et en richesses, et
dont l’énergique population se dispose à croiser, dans les plaines de Gourtrai, ses
bâtons bourgeois avec les épées de tout le baronnage de France ; c’est le Hainaut.
que la fureur des d’Avesnes, ces Atrides de notre moyen âge, transforme en un vaste
champ de bataille; c’est Namur qui, après la mort de Henri l’Aveugle, devient suc-
cessivement le satellite du Hainautet de la Flandre; c’est le Luxembourg qui, tombé
sous la seigneurie des comtes de Limbourg, les chevaliers les plus batailleurs de leur