292 BIOGRAPHIE NATIONALE.
en 1585. toutes les villes belges se trouvèrent replacées sous l’autorité royale et réin-
tégrées dans leurs privilèges, à l’exclusion de la liberté religieuse.
Dès ce moment, peut-être, l’agitation à laquelle les Pays-Bas étaient en proie se
lut-elle complètement apaisée, si le protestantisme, qui dominait dans les provinces
hollandaises, n’avait été un obstacle insurmontable à tout accommodement. Il devait
prolonger la guerre soixante ans encore, pour aboutir à la paix de Munster et à la
reconnaissance solennelle de l’indépendance des Provinces-Unies.
Cependant Philippe lui-même songeait, depuis longtemps, à détacher les Pays-
Bas de l’Espagne et à les placer sous la souveraineté de sa fille l’infante Isabelle. Il se
fortifia dans cette pensée à mesure qu’il se sentait fléchir sous le poids de l’âge. Mais
il se prépara à l’exécution de ce projet avec la lenteur qui caractérisait tous les actes
de sa vie. A cet effet il avait fait venir en Espagne, en se chargeant de les établir,
trois des six archiducs nés de sa sœur Marie et de l’empereur Maximilien II.
Le cinquième de ces princes était Albert, né à Neustadt, en Autriche, le 13 no-
vembre 1559. 11 était à peine âgé de onze ans lorsqu’il parut à la cour grave et
majestueuse de Madrid, et nul ne se doutait encore de l’avenir réservé à cette intel-
ligence à peine éclose, mais dont la culture avait été ébauchée par des hommes aussi
éminents que l’étaient Mathieu Othen, nom illustre dans l’aristocratie danoise,
Nicolas Goret, qui occupa plus tard le siège épiscopal de Trieste, et surtout le Belge
Auger-Ghislain de Busbeck, qui, à la fois savant et diplomate, fit dire à l'empereur
Maximilien II : .< Les ambassadeurs flamands sont presque les seuls dont les négo-
ciations aient été utiles à l’empire d’Allemagne. » Cependant on s’accordait généra-
lement à croire le jeune Albert destiné à entrer dans les ordres et à revêtir
quelqu’une de ces hautes dignités ecclésiastiques qui étaient, à cette époque, l’apa-
nage habituel des cadets des familles souveraines. Son caractère discret et réservé,
autant que ses habitudes sérieuses et réfléchies, lui concilièrent, dès le principe, l’af-
fection particulière de Philippe II, qui s’appliqua à en faire un homme capable de
porter un jour le fardeau d’une grande prélature ou celui des affaires publiques. De
son côté, le prince répondit si bien à cette sollicitude royale qu’à peine âgé de
seize ans, il maniait avec une égale facilité la langue latine, l’espagnole, l’ita-
lienne, la française et l’allemande, et que deux ans plus tard le pape Grégoire XIII
l’investit du cardinalat au titre de Sainte-Croix de Jérusalem. A cette dignité le roi
joignit celle d’archevêque de Tolède, la plus haute qu’il y eût en Espagne, car elle
était pourvue d’un revenu de trois cent mille ducats, et c'est à elle que se rattachait
la charge d’inquisiteur général, autorité religieuse qui marchait de pair avec l’auto-
rité royale. Décidément le fils de Maximilien II était homme d’Église, et, que
savait-on? peut-être un jour devait-il porter la triple couronne des successeurs de
saint Pierre. A la vérité, pour être homme d’Église complet, il ne lui manquait plus
que la chose principale, c’est-à-dire son admission aux ordres sacrés. Mais il ne se
hâtait pas trop de s’y engager.
Aussi bien, un grave événement politique ne tarda pas à attirer ailleurs l’activité
du futur prélat. Le roi de Portugal, Sébastien, avait été tué en 1578 dans la bataille
d’Alcazar en Afrique, sans laisser un seul héritier direct à sa couronne. Son grand-
oncle le cardinal Henri, sixième fils d’Emmanuel le Fortuné, monta sur le trône
en 1585. toutes les villes belges se trouvèrent replacées sous l’autorité royale et réin-
tégrées dans leurs privilèges, à l’exclusion de la liberté religieuse.
Dès ce moment, peut-être, l’agitation à laquelle les Pays-Bas étaient en proie se
lut-elle complètement apaisée, si le protestantisme, qui dominait dans les provinces
hollandaises, n’avait été un obstacle insurmontable à tout accommodement. Il devait
prolonger la guerre soixante ans encore, pour aboutir à la paix de Munster et à la
reconnaissance solennelle de l’indépendance des Provinces-Unies.
Cependant Philippe lui-même songeait, depuis longtemps, à détacher les Pays-
Bas de l’Espagne et à les placer sous la souveraineté de sa fille l’infante Isabelle. Il se
fortifia dans cette pensée à mesure qu’il se sentait fléchir sous le poids de l’âge. Mais
il se prépara à l’exécution de ce projet avec la lenteur qui caractérisait tous les actes
de sa vie. A cet effet il avait fait venir en Espagne, en se chargeant de les établir,
trois des six archiducs nés de sa sœur Marie et de l’empereur Maximilien II.
Le cinquième de ces princes était Albert, né à Neustadt, en Autriche, le 13 no-
vembre 1559. 11 était à peine âgé de onze ans lorsqu’il parut à la cour grave et
majestueuse de Madrid, et nul ne se doutait encore de l’avenir réservé à cette intel-
ligence à peine éclose, mais dont la culture avait été ébauchée par des hommes aussi
éminents que l’étaient Mathieu Othen, nom illustre dans l’aristocratie danoise,
Nicolas Goret, qui occupa plus tard le siège épiscopal de Trieste, et surtout le Belge
Auger-Ghislain de Busbeck, qui, à la fois savant et diplomate, fit dire à l'empereur
Maximilien II : .< Les ambassadeurs flamands sont presque les seuls dont les négo-
ciations aient été utiles à l’empire d’Allemagne. » Cependant on s’accordait généra-
lement à croire le jeune Albert destiné à entrer dans les ordres et à revêtir
quelqu’une de ces hautes dignités ecclésiastiques qui étaient, à cette époque, l’apa-
nage habituel des cadets des familles souveraines. Son caractère discret et réservé,
autant que ses habitudes sérieuses et réfléchies, lui concilièrent, dès le principe, l’af-
fection particulière de Philippe II, qui s’appliqua à en faire un homme capable de
porter un jour le fardeau d’une grande prélature ou celui des affaires publiques. De
son côté, le prince répondit si bien à cette sollicitude royale qu’à peine âgé de
seize ans, il maniait avec une égale facilité la langue latine, l’espagnole, l’ita-
lienne, la française et l’allemande, et que deux ans plus tard le pape Grégoire XIII
l’investit du cardinalat au titre de Sainte-Croix de Jérusalem. A cette dignité le roi
joignit celle d’archevêque de Tolède, la plus haute qu’il y eût en Espagne, car elle
était pourvue d’un revenu de trois cent mille ducats, et c'est à elle que se rattachait
la charge d’inquisiteur général, autorité religieuse qui marchait de pair avec l’auto-
rité royale. Décidément le fils de Maximilien II était homme d’Église, et, que
savait-on? peut-être un jour devait-il porter la triple couronne des successeurs de
saint Pierre. A la vérité, pour être homme d’Église complet, il ne lui manquait plus
que la chose principale, c’est-à-dire son admission aux ordres sacrés. Mais il ne se
hâtait pas trop de s’y engager.
Aussi bien, un grave événement politique ne tarda pas à attirer ailleurs l’activité
du futur prélat. Le roi de Portugal, Sébastien, avait été tué en 1578 dans la bataille
d’Alcazar en Afrique, sans laisser un seul héritier direct à sa couronne. Son grand-
oncle le cardinal Henri, sixième fils d’Emmanuel le Fortuné, monta sur le trône