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et qui lui succéda, le célèbre Charles Martel, continua de protéger de tout son pou-
voir ces courageux propagateurs de la civilisation. Si Radbod, le farouche Frison et
le violent champion de la barbarie, était mort en 71 9, après avoir refusé le baptême,
du moins le siège épiscopal d’Utrecht avait été consolidé par Willibrord. Il le fut
mieux encore par les campagnes glorieuses que le fils d’Alpaïs entreprit en 718, en
719 et en 721 contre les Saxons campés entre le Rhin et le Weser; car elles furent
les premières entreprises tentées pour isoler les Frisons et pour couper le lien qui les
unissait aux populations païennes de la Germanie.
Dans ces entrefaites, un autre Anglo-Saxon, Winfrith, qui devint plus tard si
célèbre, dans l’histoire de la conversion des barbares, sous le nom de saint Roniface,
avait apparu sur le continent. La Frise, où son apostolat devait commencer et finir,
l’avait accueilli en 716, au moment même où Radbod se trouvait en lutte avec
Charles Martel. Mais, reparti presque aussitôt, il était allé visiter à Rome le tom-
beau de saint Pierre et de saint Paul et recevoir du pape Grégoire II le titre d’apôtre
des Germains. Revêtu de ce caractère, il revint en Frise où il passa trois années
(719-721) et travailla avec saint Willibrord à combattre le paganisme. En 721, il
commença en Allemagne cette odyssée évangélique qui fait encore, après plus de
onze siècles, l’admiration de ceux qui en suivent les phases diverses et presque
miraculeuses. La Thuringe, la Hesse, la Vieille Saxe, la Bavière, tous ces centres
d’idolâtrie où la croix est inconnue, sont visités tour à tour par l’intrépide mission-
naire. En 723, il est de retour à Rome et obtient l’investiture d’évêque régionnaire
en Germanie. Puis il reparaît au milieu de toutes les tribus obscures qu’il a déjà par-
courues. Les idoles s’écroulent à sa voix, sur ce sol où la lumière de la vérité ne
s’est pas montrée encore. Il brise les temples païens-, il déracine les arbres sacrés; il
sanctifie les sources auxquelles s’adressait naguère l’adoration des infidèles; il bâtit
des églises et des chapelles au Dieu des chrétiens, et échelonne sur ses pas des mo-
nastères, forteresses avancées qu’il peuple de moines anglo-saxons pour tenir con-
stamment en échec la vieille barbarie odinique.
Or, cette double ligne de circonvallation, tracée à l’est par saint Boniface et au
nord par saint Willibrord, avait entièrement enveloppé les groupes de populations
païennes qu’il restait à éclairer dans l’Ostrasie. Ce fut à les introduire dans le cercle
de la civilisation que dès lors s’appliquèrent avec plus d’ardeur que jamais les colo-
nies religieuses fondées dans nos provinces par saint Amand, ses compagnons et ses
successeurs. Toutefois ce travail marcha avec plus de lenteur qu’on ne pourrait
croire. En effet, les actes du concile qui fut assemblé, en 743, par Carloman, duc
d’Ostrasie et fils de Charles Martel, à Leptines en Hainaut, et auquel présida saint
Boniface lui-même, nous révèlent tout un catalogue de pratiques païennes encore en
usage dans nos contrées, telles que les gildes démoniaques (diabol gelde) ou libations
communes en l’honneur des divinités germaniques *, les sacrifices odiniques, les au-
gures et d’autres semblables. La célèbre formule d’abjuration qui fut dressée dans le
même concile à l’usage des prêtres chargés d’admettre les néophytes dans la commu-
nauté chrétienne, nous atteste aussi que le culte de Thonar, de Wodan et de Saxnot
1 Capit. Frankof. a. 794, c. 4L Cf. Baluzii Capitular. I, p. 4 50.
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et qui lui succéda, le célèbre Charles Martel, continua de protéger de tout son pou-
voir ces courageux propagateurs de la civilisation. Si Radbod, le farouche Frison et
le violent champion de la barbarie, était mort en 71 9, après avoir refusé le baptême,
du moins le siège épiscopal d’Utrecht avait été consolidé par Willibrord. Il le fut
mieux encore par les campagnes glorieuses que le fils d’Alpaïs entreprit en 718, en
719 et en 721 contre les Saxons campés entre le Rhin et le Weser; car elles furent
les premières entreprises tentées pour isoler les Frisons et pour couper le lien qui les
unissait aux populations païennes de la Germanie.
Dans ces entrefaites, un autre Anglo-Saxon, Winfrith, qui devint plus tard si
célèbre, dans l’histoire de la conversion des barbares, sous le nom de saint Roniface,
avait apparu sur le continent. La Frise, où son apostolat devait commencer et finir,
l’avait accueilli en 716, au moment même où Radbod se trouvait en lutte avec
Charles Martel. Mais, reparti presque aussitôt, il était allé visiter à Rome le tom-
beau de saint Pierre et de saint Paul et recevoir du pape Grégoire II le titre d’apôtre
des Germains. Revêtu de ce caractère, il revint en Frise où il passa trois années
(719-721) et travailla avec saint Willibrord à combattre le paganisme. En 721, il
commença en Allemagne cette odyssée évangélique qui fait encore, après plus de
onze siècles, l’admiration de ceux qui en suivent les phases diverses et presque
miraculeuses. La Thuringe, la Hesse, la Vieille Saxe, la Bavière, tous ces centres
d’idolâtrie où la croix est inconnue, sont visités tour à tour par l’intrépide mission-
naire. En 723, il est de retour à Rome et obtient l’investiture d’évêque régionnaire
en Germanie. Puis il reparaît au milieu de toutes les tribus obscures qu’il a déjà par-
courues. Les idoles s’écroulent à sa voix, sur ce sol où la lumière de la vérité ne
s’est pas montrée encore. Il brise les temples païens-, il déracine les arbres sacrés; il
sanctifie les sources auxquelles s’adressait naguère l’adoration des infidèles; il bâtit
des églises et des chapelles au Dieu des chrétiens, et échelonne sur ses pas des mo-
nastères, forteresses avancées qu’il peuple de moines anglo-saxons pour tenir con-
stamment en échec la vieille barbarie odinique.
Or, cette double ligne de circonvallation, tracée à l’est par saint Boniface et au
nord par saint Willibrord, avait entièrement enveloppé les groupes de populations
païennes qu’il restait à éclairer dans l’Ostrasie. Ce fut à les introduire dans le cercle
de la civilisation que dès lors s’appliquèrent avec plus d’ardeur que jamais les colo-
nies religieuses fondées dans nos provinces par saint Amand, ses compagnons et ses
successeurs. Toutefois ce travail marcha avec plus de lenteur qu’on ne pourrait
croire. En effet, les actes du concile qui fut assemblé, en 743, par Carloman, duc
d’Ostrasie et fils de Charles Martel, à Leptines en Hainaut, et auquel présida saint
Boniface lui-même, nous révèlent tout un catalogue de pratiques païennes encore en
usage dans nos contrées, telles que les gildes démoniaques (diabol gelde) ou libations
communes en l’honneur des divinités germaniques *, les sacrifices odiniques, les au-
gures et d’autres semblables. La célèbre formule d’abjuration qui fut dressée dans le
même concile à l’usage des prêtres chargés d’admettre les néophytes dans la commu-
nauté chrétienne, nous atteste aussi que le culte de Thonar, de Wodan et de Saxnot
1 Capit. Frankof. a. 794, c. 4L Cf. Baluzii Capitular. I, p. 4 50.