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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 1)

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Sarcey, Francisque: De la mise en scène, [3]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16670#0271

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robes ! Nous autres hommes, nous ne nous connaissons guère à ces détails de toilette, et ne savons
rien de ce qu'ils coûtent. Mais il n'est pas un de ces costumes qui ne vaille de huit cents à mille
francs ; quelques-uns coûtent davantage. On peut dire qu'en moyenne toute création revient, à toute
comédienne, sur un théâtre de genre, à trois ou quatre mille francs. Or elle est considérée comme
ayant de beaux appointements quand on lui donne cinq à six cents francs par mois.

On voit tout de suite la conséquence. Les directeurs cherchent, non les meilleures comédiennes,
mais les plus richement entretenues. Ils savent le plaisir qu'a le public féminin à détailler ces toilettes;
ils savent qu'un certain journalisme s'étendra complaisamment sur la description qu'il se croira obligé
d'en faire ; que toutes les femmes, même celles de la bourgeoisie, qui ne se seraient peut-être pas
dérangées pour un bon drame, se disent : « l iens ! allons donc voir la jupe de M,le Pierson ou le cor-
sage de M"" Angelo ' » Ce sont des recettes assurées.

11 m'arrive souvent dans mon cabinet des jeunes filles piquées de la tarentule du théâtre, qui me
demandent conseil sur les moyens d'y pénétrer. La première question que je leur adresse est celle-ci :
'( Avez-vous de la fortune ? »

Llles me répondent généralement que c'est au contraire pour gagner beaucoup d'argent, en
même temps qu'un peu de gloire, qu'elles prétendent entrer dans la carrière de l'art dramatique.

« Eh bien ! mon enfant, il faut en faire votre deuil. On n'est pas payé, on paie pour être comé-
dienne. On ne gagne d'argent, dans cette profession, qu'en y ajoutant une autre profession, qui en est
l'annexe. Le tout est de savoir si vous vous résignez d'avance à cette nécessité. »

Aucune ne me veut croire, lotîtes me citent des noms; quelques-uns sont des exceptions
brillantes. Les autres... Pour les autres, hélas! il y a le revers de la médaille, et tout ce qui reluit
n'est pas or. Avec un talent hors ligne, un grande réputation et une incontestable honnêteté, telle que
l'on envié n'a réussi qu'à réaliser dix ou vingt mille francs de dettes, qu'il lui faudra bien payer un jour.
Et comment! Son directeur, lui, n'entre pas dans les considérations de morale. Il lui distribue un rôle
qui exige quatre mille francs de toilette. L'est à elle de se la procurer.

Les costumes, elle ne saurait s'en passer, car à côté d'elle paraîtra une comparse, une grue, à
qui le velours, les plumes et les diamants ne coûtent rien, et par qui elle ne peut se laisser écraser.
11 y a entre toutes ces dames une émulation de magnificence où le talent, réduit à ses seules
ressources, serait inévitablement vaincu.

Est-ce que la convention dont je parlais en commençant cet article n'eut pas été bonne à conser-
ver? Le théâtre est devenu, peu à peu, la proie des filles entretenues, et le mal va empirant tous les
jours.

On n'obtiendra de réforme sur ce point que si elle est déjà accomplie dans le reste de la mise
en scène. Quand les fauteuils sont recouverts de vrai lampas, quand les rideaux sont de brocatelle,
quand les meubles sont en palissandre ou en ébène, quand les tapis sont de Smyrne, quand tous les
accessoires donnent à l'imagination l'idée de la richesse somptueuse, est-il possible que la femme, ce
meuble vivant, apparaisse vêtue d'une simple mousseline ? Ce serait, dans cet ensemble, un ton criard
et faux. Tout se tient. Les décors magnifiques exigent des costumes superbes, et le gros du public,
habitué à ces merveilles, n'en fait plus grâce, même aux meilleures pièces.

Et voilà justement pourquoi votre fille est muette !

Mais le mal se corrige par son excès même. Le temps est proche, je crois, où la réaction va
se mettre en mouvement. Le public a déjà commencé de regimber contre les drames qui avaient paru
trop exclusivement compter sur le luxe et l'exactitude de la mise en scène. C'est ainsi que nous avons
vu tomber les Merveilleuses, qui étaient pourtant, à cet égard, un chef-d'œuvre d'élégance, d'ingé-
niosité et de goût. C'est ainsi que la Haine n'a pu durer, quoiqu'il y eût dans ce drame des parties
vraiment belles. C'est ainsi que, ces jours-ci, Geneviève de lirabant, en dépit ou peut-être à cause de
ses cortèges et de ses ballets, n'a reçu du public de la première représentation qu'un accueil défiant
et froid.

Nous avons fini par nous blaser sur toutes ces exhibitions d'oripeaux. Le moindre grain de mil
fait mieux notre affaire.

Francisque Sarcey.
 
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